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Claire Simon : « Les enfants et les adolescents sont animés par la découverte »

Claire Simon, photo d'Elizabeth Winberg

Claire Simon, photo d'Elizabeth Winberg

Dans Apprendre, sorti fin janvier 2025, Claire Simon filme une école où l’on a plaisir à s’installer pour regarder les enfants apprendre, justement. Entretien avec une réalisatrice fervente admiratrice de l’école et de ses acteurs.
Comment vos souvenirs d’école résonnent-ils avec votre documentaire ?

J’ai été scolarisée dans une classe unique dans un village du Var. Dans la classe, on allait d’un mur à la fenêtre opposée au fil des années. On avait une maitresse extraordinaire. On faisait de la musique, on chantait le Chant des partisans à l’école. La maitresse creusait nos trous pour les billes dans la cour avec sa binette. Tout ça était très beau !

J’habitais loin du village, cette école m’a aidée à me sentir partie prenante du village, alors que ma mère était étrangère, à me sentir citoyenne, car à partir du moment où on allait à l’école, on était des citoyens du village, d’où qu’on vienne. Il y avait des Gitans, toutes sortes de gens, les différences sociales étaient abolies à l’intérieur de l’école. Toutes les différences, parce que la maitresse avait une fille handicapée qui venait avec nous tous les après-midi. C’est une des choses les plus belles qui soient qu’offre l’école publique ! Et cette reterritorialisation par l’école, l’école qui fait que vous faites partie d’un lieu, d’une population, je l’ai vu aussi à Makarenko. L’école est le centre de la cité.

À propos de différences, quel regard portez-vous sur l’échange avec l’École alsacienne qui est montré dans le film ?

C’est un échange qui dure depuis plusieurs années, ils jouent ensemble pour la Fête de la musique. Le directeur de Makarenko est pour l’ouverture et la connaissance d’autres mondes, les parents aussi sont très favorables à ce partenariat, ils trouvent que ça ouvre des horizons aux enfants. Moi, j’ai trouvé que c’était dur, parce que les enfants de Makarenko sont pas en CHAM (classe à horaires aménagés musique), ils ont des instruments à l’école mais ce n’est pas pareil que de faire du violon trois fois par jour, d’avoir des parents qui écoutent de la musique classique… On sent qu’ils sont décalés, quand ils regardent une élève de l’École alsacienne qui joue très très bien du piano. Mais on voit que pour ce qui est de chanter Rihanna, ils y mettent tout leur cœur !

Pourquoi avez-vous fait ce film ?

J’étais partie sur l’idée de filmer la récréation en école élémentaire, comme j’avais filmé la cour de l’école maternelle de ma fille dans Récréations. Puis, quand j’ai commencé à visiter des écoles, j’ai réalisé que le rapport aux enseignants est très important, et que je m’en priverais en ne filmant que les enfants entre eux.

Je voulais filmer une école en banlieue, pour faire un film très différent, où je n’étais pas du quartier. J’ai eu le coup de foudre pour cette école, la cour, le directeur, l’ambiance. Je n’y suis venue qu’une fois avant de filmer, puis j’y suis restée un trimestre, et je suis revenue filmer la rentrée.

Comment faites-vous pour que les enfants oublient la caméra ?
Claire Simon dessinée par un élève de l’école.

Claire Simon dessinée par un élève de l’école.

Au début, ils me faisaient tout un cirque, puis, au bout de trois jours, c’était terminé. Je leur ai expliqué que ça m’intéressait pas qu’ils fassent les zouaves, qu’ils avaient l’air bête et que je préférais ce qui était naturel. Après, pour tout le monde, je faisais partie de la classe ou de l’école, je pouvais circuler. Et ce que les enfants faisaient était redevenu plus important pour eux que d’être filmés. On le voit très bien dans la séquence sur les dames, le jeu est beaucoup plus important que le fait que je filme.

Quel regard portez-vous sur l’école ?

C’est un lieu extrêmement important, les enseignants devraient être ultra respectés, les élèves aussi. L’école, c’est le centre de la cité, c’est là que se fabriquent les citoyens et l’avenir.

Au lieu de cela, on entend tout le temps dire du mal de l’école et des enseignants. Et les réseaux les sociaux amplifient les problèmes : un cas de harcèlement tourne et on pense que ça se produit partout ! Dans cette école, par exemple, l’équipe fait des choses très intéressantes pour prévenir le harcèlement : de la médiation pour régler les conflits grâce aux enseignants et aux autres élèves. Chaque jour, ils lisent un texte en posant des questions aux enfants sur leur compréhension, en les amenant à réfléchir, donner leur avis, discuter entre eux. On voit dans le film deux débats, sur la religion et sur la confiance en soi : ce sont des moments où les enfants apprennent à puiser en eux-mêmes pour avoir un point de vue, réfléchir à un sujet, énoncer leur avis.

Je filmais au moment des émeutes après la mort de Nahel. Je voyais que tout ce que les médias et le gouvernement disaient était faux ! Ces élèves veulent apprendre, ce ne sont pas des racailles, ils font des câlins à leurs enseignants, ils ont pour eux une grande admiration. Et les parents sont présents le matin, midi, soir.

Quant aux enseignants, ils sont exigeants et bienveillants à la fois. Ils ont une autorité, très présente et respectée par les enfants, mais ils sont aussi doux et gentils, et cherchent à comprendre pourquoi un enfant ne comprend pas. Les enfants sont éduqués dans cette école comme dans plein d’autres écoles.

C’est scandaleux de voir le salaire des enseignants et la façon dont ils sont traités ! J’ai vu des enseignants hyper motivés. Dans cette école, il y a vingt-trois enseignantes et enseignants, et pour cinq d’entre eux, c’est une reconversion. Ce sont des gens qui aiment faire ce métier, parce qu’ils veulent participer à faire en sorte que enfants soient des citoyens intelligents, et soient heureux à l’école. L’école est une bénédiction dans ces quartiers, un abri pour les enfants, où ils sont à égalité et apprennent à vivre ensemble. L’école, c’est le lieu de l’égalité.

Referez-vous un film sur l’école ?

Oui, on m’a commandé un film sur Annie Ernaux, je suis allée interroger des lycéens sur ce qu’ils pensent de ses livres.

Je ne suis pas une spécialiste de l’école, mais le film documentaire est un cinéma de la première fois, on filme les gens pour la première fois, c’est une découverte. Et les enfants et les adolescents sont toujours confrontés à la question de la première fois, ils sont animés par la dvécouverte. C’est quelque chose qui me touche beaucoup et je crois que les enseignants aussi sont fascinés par ça, cette idée de quelque chose qui est en train de croitre. J’ai enseigné le cinéma aussi pour cette raison-là. J’aime confronter ce que j’aime, ce à quoi je crois, à des jeunes pousses, pour voir comment ils et elles réagissent, comment ils vont devenir nos héritiers. L’enfance, c’est l’avenir qui se construit, je ne comprends pas que l’école ne soit pas plus financée, je ne comprends pas qu’on puisse considérer que les banques c’est plus important.

Propos recueillis par Cécile Blanchard


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Couverture du numéro 598, « Remobilisés ! »