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« Apprendre », de Claire Simon : filmer les apprentissages dans leur diversité

Anton Makarenko fut un célèbre pédagogue soviétique, aux idées innovantes et mises en pratique pendant une brève période dans son pays. C’est ce nom symbolique que la municipalité d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) a donné à une de ses écoles, c’est là qu’officie une équipe pédagogique bien en phase, semble-t-il, avec ce que représente ce nom, c’est là que la réalisatrice Claire Simon a filmé élèves et enseignants pendant plusieurs semaines pour aboutir au beau film Apprendre.
On y voit des enfants de cycle 3 d’une grande « diversité », comme on dit, pleins de vitalité, d’énergie, et d’envie d’apprendre sous toutes ses formes, mais aussi pleins de considération pour leurs enseignants, voire d’affection, comme le prouvent les petits câlins saisis au passage.
On y voit des enseignants qui conjuguent le fameux couple bienveillance-exigence, sachant tout aussi bien faire un appel personnalisé chaleureux en début de journée, travailler sur les comportements déviants avec intelligence et avec le souci de responsabiliser des enfants, mobiliser de grands textes (Jules Verne, la mythologie) pour provoquer des débats sur des sujets parfois bien chauds comme « faut-il toujours respecter les règles de sa religion ? », et faire très classiquement des leçons de maths et de français, mais de façon détendue et joyeuse.
On pourra certes trouver discutable et pesante l’activité grammaticale sujet-verbe-complément, mais comment ne pas être ému ou enthousiasmé par la séance de chorale ou celle de lutte, dans laquelle combattent indifféremment filles et garçons ‒ qui a fait écho chez moi à ces épreuves des Jeux olympiques ou paralympiques qui ont montré dans ce type de compétition combien l’immigration est une chance pour la France, en sport comme ailleurs !).
Bien sûr, il faut accepter à certains moments un étirement dans le temps, mais il est sans doute justifié, car ce qui se construit à l’école a besoin de ce temps long. Et il est ponctué par ces gros plans émouvants d’enfants dont on voit la concentration aussi bien pour jouer aux dames que pour résoudre un problème de calcul mental. Claire Simon sait toujours les prendre au sérieux, loin des moqueries insupportables de nombreux films sur les classes de milieux populaires.
Il y a aussi ce moment étrange : la rencontre avec des élèves de l’École alsacienne à Makarenko. On aurait envie d’en savoir plus : les objectifs poursuivis, les effets de la rencontre des deux côtés. Mais le moment magique d’un morceau de Chopin joué avec maestria par une élève de l’établissement prestigieux du sixième arrondissement de Paris est filmé avec brio et finesse, entre doigts sur le piano et visages des petits auditeurs.
Bref, on ne saurait trop conseiller de voir ce film, d’en discuter, et d’accueillir ce bel ensemble que j’ai eu l’occasion de voir en avant-première dans le cadre de la Journée mondiale des enseignants à l’Unesco et qui rend bien hommage au travail quotidien de pédagogues qui ont pour souci « l’apprendre ».
On avait évoqué ici un autre documentaire à succès : Être et avoir. On avait pu louer également la qualité de la réalisation de Nicolas Philibert, mais on y voyait surtout le travail solitaire d’un maitre quelque peu tourné vers un passé révolu et qui a ensuite déçu en revendiquant sa présence dans le film comme une « œuvre d’art » et les droits d’auteur qui en découleraient.
Ici, à l’inverse, on perçoit la richesse du travail collectif et une orientation vers l’avenir, celle d’une France plurielle, celle d’une école qui protège sans être pour autant fermée, fondée sur une autorité éducative et, pour reprendre l’expression de Serge Boimare, un « nourrissage culturel » permanent.
Images extraites du film, ©Condor
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