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Marie-Monique Robin : « La biodiversité, c’est interdisciplinaire. »

Marie-Monique Robin, photo de Solène Charrasse

 

Marie-Monique Robin, photo de Solène CharrasseJournaliste, autrice et documentariste très engagée sur les questions environnementales, Marie-Monique Robin a réalisé un documentaire diffusé sur Arte et un livre intitulés Vive les microbes !, où l’on voit que l’exposition précoce à une grande biodiversité microbienne protège contre l’asthme et les allergies.
Qu’a représenté l’école, pour vous ?

Je suis une fille de l’école de la République. Je suis née dans une famille de paysans dans les Deux-Sèvres, où l’école était considérée comme le lieu des savoirs et un ascenseur social. Et j’en garde un très bon souvenir. J’ai été une élève très impliquée, appréciée des enseignants, même si j’étais la première à prendre la parole pour dénoncer ce qui me choquait, les injustices. J’avais une grande soif d’apprendre, et tout m’intéressait.

J’ai eu des enseignants extraordinaires. Mais je me souviens aussi d’un prof de français au lycée, qui pensait que ce n’était pas possible que je fasse d’aussi bons devoirs en étant fille de paysans. Comme je venais d’une famille très engagée dans la JAC (Jeunesse agricole catholique), on m’a soutenue, j’ai pu tenir tête à cet enseignant et ça m’a forgé un tempérament bien trempé. Mais j’imagine que pour d’autres élèves de mon milieu, c’était une humiliation.

Après le bac, j’ai longuement hésité puis j’ai choisi de faire une hypokhâgne. Ça m’a donné des armes pour comprendre le monde, le questionner. Je ne venais pas d’un milieu où, à priori, on pense devenir journaliste : dans les écoles de journalisme, à la fin des années 70, moins de 2 % des étudiants étaient enfants de paysans…

Quelle est l’origine de Vive les microbes ! ?

Couverture du livre "Vive les microbes !", de Marie-Monique RobinC’est la suite de mon film et livre La fabrique des pandémies sur les liens entre la destruction de la biodiversité dans les zones tropicales et l’émergence de maladies infectieuses. Dans Vive les microbes !, les scientifiques montrent que l’absence d’exposition dans la petite enfance à une grande diversité microbienne, en raison de l’aseptisation des milieux de vie et des aliments, appauvrit le microbiote intestinal et affaiblit le système immunitaire, en faisant le lit des maladies inflammatoires. Il y a cinquante ans, moins de 5 % de la population souffraient d’asthme et d’allergies. Aujourd’hui c’est 35 %.

Parlez-nous du site pédagogique que vous avez développé avec l’Éducation nationale.

Nous proposons sur ce site1 trente vidéos complémentaires de La fabrique des pandémies et sept en lien avec Vive les microbes !. Ma maison de production s’est rapprochée de l’Éducation nationale pour nouer un partenariat, afin que toute cette matière soit accessible et libre de droits pour les collégiens et les lycéens. C’est un long parcours pour avoir le label Éducation nationale ! Nous avons passé un an à concevoir le site, multiplié les réunions avec des inspecteurs… L’idée est que les enseignants emmènent leurs élèves voir les films au cinéma, grâce au Pass culture, puis qu’ils continuent à travailler avec les vidéos. Et régulièrement, je vais accompagner une projection.

C’est un thème pour les SVT, bien sûr, mais pas seulement, parce que la biodiversité, c’est interdisciplinaire. Cela touche à notre rapport au vivant, donc c’est aussi de la philosophie, par exemple. D’ailleurs, des projets interdisciplinaires sont montés à partir de ce site.

Comment percevez-vous le rapport des jeunes aux questions environnementales, lors de vos rencontres avec eux ?

J’ai l’impression que le dérèglement climatique fait partie des choses acquises pour eux. Je sens qu’ils sont très conscients qu’il se passe quelque chose et que c’est inquiétant, même si ça ne veut pas dire qu’ils vont forcément s’engager. Ça leur fait peur, et ils n’ont pas toujours de réponses à leurs questions. Sur le terrain, je vois des enseignants qui font ce qu’ils peuvent, mais il n’y a pas de discours clair au niveau politique, il n’y a pas non plus de réflexion globale sur la manière de l’aborder pour que ça ne soit pas trop anxiogène.

L’avenir de l’humanité est très préoccupant. Je n’aurais pas dit ça il y a dix ans, mais aujourd’hui, on parle de la sixième extinction des espèces, je vois pas comment ça pourrait nous épargner. N’oublions pas que nous faisons partie de la chaine du vivant ! La transition écologique devrait être la matrice de toute politique. Malheureusement, ce n’est pas central dans le débat public aujourd’hui. Nous vivons dans le déni.

Face à l’inquiétude des jeunes, il faut expliquer que la situation est très grave tout en montrant qu’il y a aussi des solutions pour éviter le pire. Pour ma part, j’ai décidé de dire que la situation est très inquiétante mais qu’on sait ce qu’il faut faire, qu’on peut donc agir, et que, quand on le fait, on va aussitôt mieux, individuellement.

Pouvez-vous donner un exemple de ces solutions ?

Vive les microbes ! montre que si l’on revégétalise les cours de récréation dans les écoles et les crèches, on diversifie en un mois le microbiote intestinal des petits, et on améliore leur immunité. Et c’est encore mieux s’il y a un jardin potager. De fait, les enfants qui ont le meilleur système immunitaire sont ceux qui vivent dans des fermes traditionnelles. Ça touche beaucoup les collégiens et lycéens. Mais à Bordeaux, où la municipalité veut revégétaliser toutes les écoles et crèches, le maire raconte que, lors des réunions avec les parents, on lui rétorque que les petits vont se salir. Ça vaut mieux que d’attraper de l’asthme ou des allergies ! Il y a un travail à faire à destination des futurs parents, on peut commencer dès l’école primaire.

Avez-vous lors de vos enquêtes vu des projets que vous défendriez pour l’école ?

J’ai fait en 2014 un film sur le Bouthan, qui a remplacé le PIB par un nouvel indicateur, le « Bonheur national brut ». J’ai filmé une école pilote où l’on formait les enseignants à ce nouveau paradigme, en refondant les programmes scolaires. 50 % relevaient des enseignements académiques, anglais, maths, histoire, et 50 % des life skills – les « compétences de vie » –, avec des ateliers de recyclage des déchets ou de réparation, un jardin potager pour la cantine, et des intervenants extérieurs. Qu’est-ce que j’aurais aimé que mes enfants aillent dans une école comme celle-là !

Dans Qu’est-ce qu’on attend ?, j’ai filmé le village de Ungersheim, en Alsace, qui est un modèle pour la transition écologique. L’école a été associée à la constitution d’un atlas de la biodiversité : les enfants ont fait une recension des espèces animales et végétales avec des naturalistes, pris des photos, rédigé des fiches, fait des enregistrements de cris d’oiseaux. Ils ont des maisons à insectes dans la cour de récréation. L’idée est de reconnecter les enfants au vivant, comme je l’ai vu aussi dans l’école en forêt que j’ai filmée en Finlande. Le meilleur moyen de protéger la biodiversité, c’est de la connaitre et de l’aimer ! Tout ça est très bon pour leur équilibre mental.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Sur notre librairie

Couverture du numéro 597, « Apprendre avec le corps »


Notes
  1. https://lafabriquedespandemies.com/.