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Ceux qui nous lient

Ceux qui nous lient est un documentaire de la réalisatrice Mélanie Gilmant, qui présente des pédagogies « différentes », entre France et pays scandinaves où elle est allée enquêter. Certains propos peuvent faire réagir et donc être objets d’un débat, par exemple lors d’une formation. Bruno Robbes, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Cergy-Pontoise et accompagnateur de projets d’équipes innovantes, a vu ce « road documentaire » et nous livre ses impressions.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce film ?

Selon moi, le point fort du film est de montrer que l’on apprend avec les autres, que l’homme est fondamentalement un être social, comme l’écrivait Wallon. Il montre également, à l’instar de la pensée de Dewey, l’importance de relier expérience vécue et acquisition de savoirs, par l’accueil de la curiosité des enfants et les moyens de l’enquête.

Le film donne à voir des pratiques pédagogiques différentes dans des écoles de trois pays européens : Danemark, Finlande puis France. La quête d’un « bonheur » de vivre et d’apprendre à l’école, très insistante au début, cède la place aux problèmes relationnels entre élèves, plus proche des vécus quotidiens. C’est notamment le cas du harcèlement scolaire, longuement abordé, et de ses modalités de résolution. L’analyse des fonctionnements groupaux, l’élaboration de règles sont des réponses pertinentes pour résoudre les conflits. Apprendre dans un environnement non menaçant garanti par des adultes qui tiennent leur place, ce que ces pédagogies permettent, est donc aussi l’un des messages du film.

Un autre intérêt du film est la dernière partie consacrée à l’école publique de Mons-en-Barœul (Nord), qui pratique la pédagogie Freinet. On y voit assez précisément comment les élèves apprennent et l’on se rend compte que malgré le départ des instituteurs à l’origine du projet, celui-ci continue.

Quelles questions peut-il cependant poser ?

Ce film peut questionner les différences d’appréciation et de mise en œuvre des pédagogies différentes selon les pays et les cultures. Par exemple, la pratique des massages entre enfants, qui s’observe dans les pays scandinaves, serait peut-être mal perçue en France… Pourtant, elle semble avoir certains effets bénéfiques sur le climat scolaire.
Autre exemple, parler d’ « apprentissage par phénomènes » relève d’un vocabulaire qui n’est pas fréquent dans les discours pédagogiques en France.

On peut aussi regarder ce film en se demandant ce que les élèves apprennent, et à quelles occasions. Les apprentissages scolaires et les enseignants sont très présents à l’école de Mons, moins visibles ailleurs.
La courte intervention de Sophie Rabhi me semble faire contrepoint à ce qui est montré ailleurs dans le film, comme une prise de position de la réalisatrice que toutes les pratiques pédagogiques dites alternatives ne se valent pas, ainsi que l’a montré Sylvain Wagnon, quand il parle de galaxie ou de nébuleuse des pédagogies alternatives. Laisser l’enfant errer seul et se perdre, minimiser la place et les interventions de l’adulte ne sont pas des conditions d’apprentissages sécures ou bénéfiques pour l’enfant. En outre, certaines dérives sectaires de ces pratiques alternatives ont été relevée par la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).

La question de la place et du rôle des parents est encore un sujet évoqué, où l’on voit l’importance que les enseignants expliquent leurs pratiques et les bienfaits d’une coéducation, quand parent et enseignants échangent dans l’intérêt commun des élèves.

En quoi ce film peut-il être, au moins partiellement, l’objet de débat auprès d’enseignants, voire de jeunes ?

Tous les points relevés précédemment peuvent permettre d’engager des débats. J’insisterais plus particulièrement sur l’importance d’identifier plus précisément les pédagogies différentes qui sont sources d’apprentissages et d’émancipation, sans minorer les difficultés que ces pédagogies génèrent, notamment la régulation d’un groupe et les places de chacun dans le groupe, la prise en compte et la régulation des conflits, les progrès individuels et collectifs dans tous les apprentissages.

Une autre préoccupation, également relative aux apprentissages, concerne la question de la dévolution, où les élèves s’approprient les situations didactiques que l’enseignant propose. Repérer plus finement ce que les élèves apprennent et comment m’apparait fondamental.

Enfin, la conclusion du film invite à réfléchir à la mise en œuvre de la devise républicaine aujourd’hui. Il y a là un beau sujet de débat sur la situation de l’école publique en tant que, par les pratiques pédagogiques dominantes qu’elle continue de promouvoir ou réhabilite, elle participe de la fabrication des inégalités de réussite scolaire des élèves selon leur origine sociale. Ceci, bien sûr, interroge la place, très minoritaires et persistante, des pédagogies différentes dans l’école publique donc, l’information et la formation des enseignants à propos de ces pédagogies.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

On peut contacter la réalisatrice par mail : contact@et-actions.org


Sur notre librairie :

 

N°547 – Des alternatives à l’école ?

Dossier coordonné par Richard Étienne et Jean-Pierre Fournier

Qu’en est-il de ces expériences de classes et d’écoles alternatives, dans le système public comme à l’extérieur, voire à l’étranger ? Sur quels principes se fondent-elles ? Comment interroger ces principes ? Un dossier pour voir plus clair dans ce qui, au-delà d’une certaine mode, reste flou.