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Comment lui dire adieu ?

Située dans le quartier Malakoff de Nantes, l’école Jean-Moulin est en réseau d’éducation prioritaire. Claire avait-elle choisi de venir enseigner là quand elle est arrivée en 2015 ? Victor en doute, mais ce dont il est certain c’est qu’elle s’est attachée au lieu, aux élèves, à l’équipe pédagogique, à une école qui s’est agrandie dans un quartier où des familles sont de passage, d’autres restent et leurs enfants se succèdent dans les classes.
Et à son tour, elle a entrainé d’autres enseignants dans son sillage, comme Suzon. « J’ai eu envie d’y rester même si c’est un quartier assez violent, avec aucune mixité. Mais l’équipe était soudée, forte et emportée par l’énergie de Claire. Elle nous disait souvent “tu vas voir, ça va être génial”. »
Clélia venait d’une école parisienne en REP aussi, mais elle a trouvé à Nantes une autre ambiance. « On avait des moments fédérateurs comme le Mala’contest en juin, une série de défis tout au long des derniers jours d’école, par exemple se prendre en photo les pieds en l’air au milieu des élèves, écrire une poésie sur la quiche ou sur huit heures trois. Nous avions la chance d’avoir quelqu’un comme ça qui amenait quelque chose de très fort ».
Des jeux de société dans la salle des profs, un concours de soupes ou de pulls moches, des jeux de cohésion destinés à l’équipe ou associant les élèves, les initiatives étaient nombreuses pour transformer l’école en lieu de vie chaleureux, hospitalier, y compris pour les anciens élèves et les parents. « Ils reviennent nous voir, restent attachés à l’école élémentaire, viennent demander conseil. Un gamin qui avait des soucis au collège pouvait revenir voir Claire. Elle avait cette manière de parler avec les parents, d’être à l’écoute et en même temps un peu autoritaire, cela rassurait tout le monde, les parents et les enfants », explique Clélia.

Plaque apposée près du babyfoot dans la salle des profs, obtenu grâce à Claire.
Victor se souvient des liens forts tissés au sein du réseau d’éducation prioritaire avec les enseignants du collège. « On aimait aussi aller au collège, rencontrer les profs pour savoir ce que devenaient les élèves. Quand un était en difficulté, Claire proposait de le voir. Elle était écoutée par les élèves et impliquée dans les décisions du réseau. »
Ce qu’ils souhaitent raconter aussi tous les trois, c’est le souffle pédagogique qu’elle apportait, puisant dans la pédagogie coopérative et de projet, renouvelant sans cesse ses pratiques dans les classes de CM1-CM2, un niveau qui avait sa préférence. « On voyait les vingt-quatre élèves en apprentissage, qui lui faisaient entièrement confiance. Ce qui était chouette, c’était que la confiance était partagée. Les gamins savaient qu’elle allait leur donner tous les outils et elle savait qu’ils allaient s’en saisir », souligne Clélia.
Suzon témoigne de la liberté qui régnait dans la classe, dans un cadre codéfini à la rentrée et formalisé par un contrat. Claire avait sans cesse des projets. Elle mettait au fronton de ses pratiques l’envie que ses élèves réussissent chacun à leur rythme et à leur niveau. Elle a mis en place des plans de travail, puis a eu l’intuition de la table d’observation avant que cette pratique soit formalisée par la recherche.
Sylvain Connac, en visite dans le réseau, l’avait constaté en filmant sa classe. Elle était ressortie des échanges avec lui, confortée encore plus dans son souci d’adapter en permanence sa pédagogie, d’innover.
Elle appelait Suzon son « âme sœur pédagogique ». « On avait toujours mille projets et on se voyait très rapidement on écrivait une séquence. On avait envie de lancer des trucs, par exemple essayer des ceintures de géométrie ou faire un projet danse. On n’avait pas besoin d’en parler beaucoup, on allait dans le même sens. C’était une personne qui me portait professionnellement et encore aujourd’hui. »

De gauche à droite : Claire, Marine, Clélia, Victor, Émilie et Suzon.
Victor ne connaissait pas l’éducation prioritaire lorsqu’il est arrivé dans l’école. Il avait aussi une classe de CM1-CM2 et ils menaient ensemble les projets. « Elle avait une grande capacité d’enrôlement et d’optimisme. Elle était toujours en veille pédagogique et en recherche de nouveautés. Moi, j’avais plutôt envie de consolider ce que l’on faisait déjà, de dire stop. Mais en fait, c’était hyper intéressant. »
Il apprend avec elle comment prendre le temps d’échanger avec deux élèves lorsqu’il y a un conflit, pendant que le reste de la classe continue à travailler. Il s’initie à la pédagogie coopérative. Ensemble, ils mettent en place un système de petits brevets pour que les élèves s’évaluent dans un domaine précis et complètent au fil de l’année leur cahier de réussite et de progrès.
Ils partent en classe de découverte équitation. « C’était un super moment vécu ensemble, partagé avec les élèves. On a fait en sorte tous les deux que ce soit un super souvenir pour eux. Claire a fait un diaporama en fin de séjour et un album photo partagé en fin d’année. » Il observe chez elle une maitrise du métier hors du commun, qui lui permet de traiter avec une apparente légèreté les questions pédagogiques, d’avancer constamment, de se renouveler.
Pendant six ans, Victor a été le binôme de Claire, une complicité pédagogique interrompue plusieurs fois par l’incursion de la maladie, ou plus joyeusement par la maternité. Il sent que rien n’est pareil sans elle, que ses élèves se comportent mal en classe. « Il y avait une réelle difficulté à travailler sans elle. Elle créait une relation très positive avec les élèves, elle était difficile à remplacer. »
Le covid s’en est aussi mêlé, compliquant encore plus le fonctionnement de l’école et des classes. Claire n’est jamais très loin, gardant contact, entretenant le lien au sein de l’équipe. « Dès qu’elle revenait, c’était dans l’énergie, le positif et, en même temps, en réunion, il fallait que ça avance, que l’on ne se disperse pas. Quand on avançait des idées, elle demandait, d’une manière entendable, quel était l’intérêt pour l’élève. »
Suzon, Clélia et Victor se souviennent aussi de l’énergie de Claire pour mener des projets ambitieux, décrocher des subventions, faire bouger l’institution.
Le projet danse avec le Lieu unique de Nantes est pour eux emblématique. « L’idée était de sortir les gamins du quartier, d’être ambitieux pour ses élèves. On se disait souvent, ça manque d’ambition, d’exigence, ce n’est pas parce qu’on est en REP qu’il ne faut pas être ambitieux », explique Clélia. « Les chorégraphies étaient incroyables. » Les classes impliquées sont invitées au Lieu unique avec les familles.
Le récit du souvenir se fait joyeux. « C’était des performances avec quelques personnages nus. Des mères assez traditionnelles étaient présentes. Claire leur a expliqué que c’était artistique, qu’il ne fallait pas voir le nu comme une réalité, avec son sens de l’humour et un peu de culot. Et tout le monde a passé un bon moment. »
C’est ainsi qu’ils souhaitent se souvenir d’elle, de sa vivacité, de sa générosité et son ambition pour les enfants, pour les autres. Ils emportent d’elle, tous les trois, des apprentissages développés à ses côtés, une vision ouverte de l’enseignement et une pédagogie dédiée à la réussite de tous les élèves.