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Des registres pour enseigner et apprendre

Couverture du numéro 595

Logo de l’IFE, Institut français de l’éducation

Professeur de philosophie puis sociologue, Patrick Rayou a mené de nombreuses recherches en sciences de l’éducation, mises à l’honneur lors des journées d’études « pour une école où tous les élèves apprennent » en mars 2024. Lors de cet évènement, plusieurs interventions sont revenues sur l’un des fils rouges de ses travaux, celui des différents registres de l’apprentissage scolaire1.

Les variations successives de cette exploration des malentendus socioscolaires retracent également une partie de l’itinéraire professionnel d’un chercheur familier des Cahiers pédagogiques.

Du côté des élèves

Plusieurs « registres de référence » visaient initialement à mieux comprendre les performances des élèves au test PISA 2000 en compréhension de l’écrit, ainsi que les différences socioculturelles sous-jacentes, à partir de l’étude de « leurs modes de faire pour répondre aux épreuves et ce qu’ils mobilisaient pour cela2 ». Suite à cette première enquête, des chercheurs de l’équipe de recherche Éducation et scolarisation (Escol) ont stabilisé au début des années 2010 trois registres de travail pour comprendre ce qui soutient les élèves confrontés à des tâches scolaires.

« Le premier est cognitif en ce qu’il relève de fonctions intellectuelles qui peuvent être extérieures ou non au champ scolaire et didactisées ou non. Le deuxième, culturel, est fait de savoirs et modes de connaissances généraux sur le monde non réductibles à la sphère scolaire mais donnant lieu à tout autant de classements et à des hiérarchisations. Le troisième est une composante identitaire symbolique, liée à ce que l’accès à un savoir requiert et construit un certain type d’identité personnelle et relie à une communauté pour laquelle il vaut3. »

Au-delà des démarches intellectuelles inhérentes à chaque discipline, le registre cognitif renvoie à des exigences communes à tous les savoirs enseignés et à des compétences langagières propres à l’école, tant à l’oral qu’à l’écrit.

Patrick Rayou a mobilisé ces trois registres pour étudier le rapport des élèves à la dissertation de philosophie, qui leur demande d’être « méthodique[s], cultivé[s] et autonome[s]4 ».

Sur le plan cognitif, il s’agit de dégager un problème et d’inventer des solutions, d’analyser et de synthétiser, de former, d’exprimer et d’articuler des idées. Sous l’angle culturel, la fréquentation des textes philosophiques les outille pour comprendre une question, contextualiser une notion, donner du sens à une problématique. Enfin, sur le plan identitaire-symbolique, s’engager dans ce type d’écrit rend nécessaire de retravailler sur le plan intellectuel des savoirs d’expérience, d’engager à la fois une subjectivité d’adolescent et d’élève dans le je de la dissertation.

Et du côté des personnes enseignantes ?

Au début des années 2020, ces registres ont contribué à analyser le travail enseignant, par exemple dans un dispositif de classe inversée. Le registre cognitif renvoie alors aux opérations liées à la planification didactique (choix des objectifs, contenus, supports, tâches et modalités d’évaluation) et à la régulation du travail personnel des élèves. Le registre culturel engage les valeurs et les finalités attribuées aux contenus didactisés, à l’enseignement et à l’éducation, ou encore au jeu entre proximité et distance entre la forme scolaire et d’autres pratiques sociales et culturelles. Enfin, le registre identitaire-symbolique « met en jeu [le] rapport au métier, aux autres acteurs et à l’institution, [le] degré d’engagement, [l’]ouverture à la nouveauté et à la prise de risque5 ».

Se frotter aux modes et aux registres de l’apprentissage scolaire entraine de nouveaux questionnements. Comment identifier une configuration des registres chez un élève ? Quelles démarches pédagogiques adopter pour soutenir les élèves afin qu’ils (ré) articulent, selon les moments, leurs registres d’apprentissage, entre régime « majeur », qui contribue à transformer les personnes, et régime « mineur » au service d’un nouvel apprentissage ?6 Comment promouvoir leur circulation dans et hors de l’univers scolaire, constitué d’objets, de dispositifs et de valeurs spécifiques ?

Autant de questions adressées aux chercheurs et chercheuses en éducation qui se partagent l’analyse des situations scolaires. Et aussi, bien entendu, aux enseignants et aux personnels éducatifs.

Claire Ravez
Chargée d’études, équipe Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)

 

Sur notre librairie

Couverture du numéro 595, Racismes et école


Notes
  1. Patrick Rayou, « Des registres pour apprendre », Éducation et didactique n° 14 (2), 2020, p. 49-64.
  2. Élisabeth Bautier, Jacques Crinon, Patrick Rayou et Jean-Yves Rochex, « Performances en littéracie, modes de faire et univers mobilisés par les élèves. Analyses secondaires de l’enquête PISA 2000 », Revue française de pédagogie n° 157, 2006, p. 85-101.
  3. Élisabeth Bautier et Patrick Rayou, « La littératie scolaire : exigences et malentendus. Les registres de travail des élèves », Éducation et didactique n° 17 (2), 2013, p. 29-46.
  4. Patrick Rayou, « Un enseignement à reconstruire », dans Bruno Poucet et Patrick Rayou (dir.), Enseignement et pratiques de la philosophie, Presses universitaires de Bordeaux, 2016, p. 39-51.
  5. Marie-Sylvie Claude, Jacques Crinon et Patrick Rayou, « Des registres pour enseigner. Une contribution à la compréhension du développement professionnel des enseignants », Éducation et socialisation n° 66, 2022.
  6. Patrick Rayou et Dominique Glasman (dir.), Les internats d’excellence : un nouveau défi éducatif ? École normale supérieure de Lyon, 2013.