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« Pour qu’il y ait du respect dans les classes, il faut que chacun y mette du sien »

Enseignants, élèves, parents : dans les établissements scolaires aujourd’hui, chacun souhaite être respecté. Le ministère de l’Éducation nationale a d’ailleurs fait de « respecter autrui » l’un des quatre savoirs fondamentaux à transmettre à nos élèves. Comment apprend-on à respecter autrui ? Entretien avec les coordonnateurs de notre dossier, Julien Garric, enseignant à l’Inspé d’Aix-Marseille, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam), et Françoise Lorcerie, directrice de recherche émérite au CNRS, chercheuse à l’Iremam.
Pourquoi faire un dossier sur le respect ?

Nous avons lancé l’idée pour deux raisons. D’abord, c’est un sujet qui revient dans la bouche des personnels comme une préoccupation constante, un manque, quelque chose qu’on attend des autres dans l’école (des élèves, du ministre, de l’administration, voire des collègues), mais qu’on n’a pas souvent ou pas toujours. Et puis, quand on écoute les élèves, on voit qu’eux aussi se plaignent de n’être pas considérés, de n’être pas respectés. Quand on interroge les adolescents en lycée professionnel sur ce qu’ils veulent, c’est le mot respect qui vient en premier. Donc, une attente liée à un manque, qui génère de la souffrance, de la tension.
Et, deuxièmement, le respect a été inséré en 2018 comme une orientation majeure du programme d’EMC (enseignement moral et civique) sous l’intitulé « respect d’autrui ». Dans le discours ministériel de l’époque, cela devait s’entendre comme un nouvel impératif adressé aux enseignants : faire qu’à tous les niveaux, les élèves respectent l’autorité des enseignants et le règlement intérieur, la charte de la laïcité à l’école, etc. Il fallait lutter contre les atteintes aux règles de l’école de la part des élèves. La circulaire de la rentrée 2022, rédigée par le nouveau ministre de l’Éducation nationale, met à nouveau le respect en avant, mais en appuyant sur la nécessité qu’il soit réciproque.
Cette coïncidence entre une demande généralisée, profondément humaine, et une commande institutionnelle vague et à tendance autoritaire nous a semblé constituer un bon départ pour un dossier. Dans un dossier, à notre avis, on a intérêt à partir d’une question vive pour l’examiner et aider les lecteurs à faire mieux.

Le dossier fait le choix d’aborder le respect comme une compétence à acquérir et donc à enseigner…

Nous sommes partis de l’idée que le respect d’autrui ne va pas sans respect de soi, et qu’il y a donc derrière ce mot une relation sociale qu’il faut penser. Ce n’est pas forcément une relation égalitaire, ni une relation affective comme l’amitié ou l’amour. Le respect tolère les asymétries de statut qui organisent les rapports scolaires entre l’administration, les enseignants et autres personnels, les élèves, et les parents d’élèves. Et il peut s’accommoder de relations affectives distantes. Mais pour qu’il y ait du respect dans les classes, il faut que chacun y mette du sien : c’est un régime de relation qui doit prendre en compte l’attente de reconnaissance d’autrui, qu’il s’agisse des professeurs dans leur façon de faire cours ou des élèves dans leur façon de traiter les professeurs et de développer leurs relations entre eux.
À partir de cette idée, nous avons pu penser le respect comme un objectif d’apprentissage pour les élèves et pour les personnels. Un objectif particulièrement complexe, c’est pourquoi il est difficile à enseigner et compliqué d’y former les personnels. En effet, nous nous sommes aperçus qu’on peut lui appliquer la typologie des objectifs qu’on trouve aussi transposée dans le programme d’EMC : une dimension savoirs, une dimension savoir-être, une dimension savoir-faire et une dimension proactive, ou d’engagement. C’est ce que nous proposons dans le dossier. Nous avons commandé des articles de sorte que chacune de ces dimensions soit illustrée concrètement et qu’on voie leur articulation. Car elles sont complémentaires et souvent associées.

Quelles pistes ressortent finalement du dossier pour enseigner le respect ?

La première piste, qui découle de la réciprocité, c’est de donner la possibilité aux élèves de vivre des relations respectueuses dans le cadre de l’école. Comme pour l’empathie, le respect s’apprend d’abord en l’expérimentant dans les interactions quotidiennes avec les adultes, mais aussi avec ses pairs. Cela nécessite donc que les élèves soient devant des adultes qui les respectent, et qui leur donnent à voir des marques de respect. Ce n’est pas aussi évident qu’il y parait : s’il est simple pour un enseignant de respecter quelqu’un que l’on apprécie, que l’on admire, à qui on attribue à priori de la valeur, c’est une autre paire de manches quand il s’agit d’élèves perturbateurs, violents, en échec scolaire, et rétifs à tout ce qu’on peut leur proposer… C’est pourtant pour ceux-là que la nécessité de leur démontrer notre respect est la plus vive. Apprendre à comprendre et respecter tous les élèves, quelles que soient leurs difficultés, leurs différences sociales, religieuses, ethniques, etc., c’est sans doute un des enjeux centraux d’une formation initiale et continue, qui se voudrait réellement inclusive.
En ce qui concerne la relation entre pairs, là aussi, l’enjeu est de taille. Ça veut dire que l’on doit intervenir dans les relations entre enfants et entre adolescents, les doter d’outils qui leur permettent de gérer leurs conflits dans le respect de la personne humaine. Là-dessus, il existe des outils, nous en détaillons quelques-uns : les messages clairs, la médiation entre pairs, la méthode de la préoccupation partagée, et, dans le cadre de la classe, les pédagogies collaboratives.
Un des constats que nous avons faits, lorsque nous avons constitué ce dossier, c’est que les enseignants s’étaient peu saisis des pistes d’apprentissage développées dans le cadre de l’EMC. C’est pourtant, dans sa forme originelle, le lieu de l’apprentissage du respect de l’autre, de la prise en compte de ses différences, dans un cadre démocratique. Les outils, qui ont été proposés dans cet apprentissage, sont nombreux et concernent tous les niveaux d’enseignement, du primaire à la terminale, comme les débats réglés à visée philosophique, la mise en place de conseils d’élèves, le traitement de dilemmes moraux, etc.

Et vous, que retenez-vous de ce travail de coordination ?

D’abord la richesse des expériences proposées sur le terrain. Là aussi, que ce soit à l’école, au collège, au lycée, les collègues se débrouillent avec cette question du respect d’autrui, au quotidien avec des propositions aussi diverses qu’originales. Mais un des apprentissages aussi de ce dossier, pour nous, c’est que les définitions proposées par des collègues universitaires s’articulent bien avec les réflexions qui émergent du terrain. La nécessité d’une réciprocité dans le respect de la personne humaine, qui fonde une philosophie humaniste, s’accorde parfaitement avec ce changement nécessaire dans la pratique de classe : passer de la demande d’un respect absolu adressée aux élèves à la construction d’une relation de réciprocité qui, seule, permettra à la fois la mise en place d’un climat de classe rendant les apprentissages possibles et la possibilité d’apprendre le respect dans le cadre d’une école démocratique. Les collègues identifient cette révision de leur exigence de respect à un basculement de leur attention en direction des élèves. Tout l’enjeu d’un tel dossier, et au-delà d’une formation initiale et continue au respect, serait de permettre que ce basculement arrive plus rapidement dans leur carrière…

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Un numéro à retrouver sur notre librairie :


N°579 – Respect !

Enseignants, élèves, parents : dans les établissements scolaires aujourd’hui, chacun peut se plaindre du manque de respect. Le ministère de l’Éducation nationale a d’ailleurs fait de « respecter autrui » l’un des quatre savoirs fondamentaux à transmettre à nos élèves. Comment apprend-on à respecter autrui ?