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Ce que la pauvreté fait à l’école ; ce que l’école fait de la pauvreté

Florence Prudhomme, secrétaire générale de la FCPE nationale, explique que lutter contre toutes les discriminations et violences faites aux enfants est « dans l’ADN » de la fédération de parents d’élèves et que la pauvreté devient un sujet « devient de plus en plus crucial », d’où le choix d’organiser un colloque sur ce thème. « Comment peut-on mener son parcours scolaire et sa vie d’élève lorsqu’on est en situation de pauvreté voire de grande pauvreté ? Avec l’accroissement de la pauvreté en France, les difficultés des familles sont un sujet de plus en plus fréquent dans établissements, par exemple pour l’accès à la restauration scolaire. Cela rejaillit forcément sur le travail des élèves. »
Les intitulés des tables rondes sont autant de pistes et de leviers d’action, selon elle : la première portait sur le financement des politiques éducatives publiques, la deuxième sur « les réalités sociales des élèves dans la continuité éducative », la troisième sur le « projet global d’éducation » et le droit aux vacances, et la quatrième et dernière sur le séparatisme scolaire.
Elle retient en particulier de cette journée une image du député Benjamin Lucas, qui a évoqué les différences de destins des bébés écrites dès la maternité, et le rappel de Laurence de Cock, enseignante et historienne, qu’à l’entrée en maternelle, les enfants n’arrivent pas tous avec le même bagage, selon que leur famille leur a ou non transmis une « prééducation sur la numération, la lecture, l’écriture ». « On pourrait peut-être essayer de gommer cela par une scolarisation dès 2 ans, 2 ans et demi », avance Florence Prudhomme.
Pour elle, l’un des leviers est de faire une école « réellement inclusive », capable d’assurer à chaque élève les mêmes droits. « On parle de l’inclusion des élèves à besoins particuliers, on peut se dire qu’il s’agit d’inclure des élèves à difficultés sociales particulières. » Et elle cite le propos de Jean-Paul Delahaye1, intervenu en ouverture et en conclusion du colloque : « Ce n’est pas d’un choc des savoirs dont nous avons besoin, c’est d’un choc citoyen de fraternité ! »
Sophia Dahbi, elle, est secrétaire de l’association « Un sourire pour tous », qui propose du soutien à la parentalité à Avignon, et coordinatrice de la Maison des projets du Grand Avignon. Elle habite dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) et ses enfants sont scolarisés en REP +. Invitée à témoigner lors d’une table ronde sur le « projet global d’éducation », elle y a beaucoup parlé de « la réalité des quartiers, des besoins des habitants, du droit à des temps libres, des temps de vie avec nos enfants ».
Et cette réalité, c’est la sienne, par exemple à la dernière rentrée, quand son fils est revenu à la maison avec le sujet de rédaction « Qu’avez-vous fait pendant les vacances ? ». « Cette année, on n’a pas pu partir, mon fils m’a demandé “qu’est-ce que je dois écrire ?”, et je me suis sentie coupable. Je ne suis pas la seule à ressentir cette culpabilité. On n’a pas tous la chance de pouvoir partir en vacances, parce que, même s’il y a des structures qui aident, c’est trop cher. Et les petites sorties qu’on a pu faire, la mairie qui organise “Un été à Avignon”, ce que font les centres sociaux, ça n’est pas pareil que partir en vacances. »
Elle observe et regrette que les écoles et les établissements disposent de fonds trop limités pour organiser des voyages scolaires et des sorties avec une participation financière raisonnable pour les parents, alors que cela « fait grandir les enfants ».
Sophia Dahbi est contente d’avoir pu s’exprimer et s’est sentie « entendue, écoutée et comprise » par les autres intervenants et les participants. Elle a eu l’impression, par exemple, que Benjamin Lucas, qui intervenait lors de la même table ronde qu’elle et a déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale sur le droit aux vacances, « a saisi exactement la vie dans les quartiers ».
Mais elle ajoute : « j’attends qu’on nous réponde et qu’on trouve des solutions tous ensemble », et espère qu’ils « porteront notre voix plus haut, plus loin, pour la transmettre à des personnes mieux placées ». Si elle sait que « ça ne va sans doute pas bouger d’ici demain », elle espère « une évolution ». « Dans mon association, ce qu’on entend, c’est qu’il faut agir, on a besoin qu’il y ait un aboutissement, qu’il se passe quelque chose, et qu’on vienne vers les premiers concernés, les habitants. »
Samia Hidaoui habite à Vedène, une commune du grand Avignon. Ses quatre enfants sont en collège et à l’école primaire, hors REP. Elle est représentante élue des parents d’élèves au collège et elle intervenait également lors d’une table ronde du colloque de la FCPE, sur le financement des politiques éducatives publiques.
Elle explique avoir décidé de s’investir dans la vie scolaire « au départ surtout par rapport aux problématiques de harcèlement, puis pour améliorer les conditions scolaires et le financement des écoles publiques. Le principe de gratuité de la scolarité est un leurre, la charge financière des parents ne cesse d’augmenter : nous faisons partie de la classe moyenne, explique-t-elle, nous n’avons pas beaucoup d’aides et, avec quatre enfants, ça va très vite. Je ne peux pas mettre les quatre à la cantine. »
Elle regrette qu’il y ait « de moins en moins de sorties, surtout au collège. Mes filles en CM2 vont partir en classe de neige ; c’est un budget, mais au moins il se passe quelque chose ! »
Au collège, « il ne se passe rien », parce qu’il n’est pas possible demander une participation financière trop importante aux parents. Les projets sont « limités par les financements publics insuffisants », dit-elle, alors que « les établissements privés peuvent fixer des tarifs un peu plus élevés pour les voyages ».
Elle observe aussi que « dans les classes, il y a de plus en plus d’élèves qui ont des difficultés particulières : des troubles de l’apprentissage, un éclatement familial, de la pauvreté. L’école n’a pas les moyens de répondre, les enseignants sont dépassés, il y a de plus en plus d’élèves qui perturbent les cours. L’école est le reflet des problématiques de la société : ça va tellement mal dans la société que ça ne va plus dans l’école, même là ou ça se passait bien il y a quelques années. »
Elle donne en exemple la situation de sa fille, qui est diabétique mais dans l’établissement de laquelle l’infirmière n’est présente que deux jours par semaine, « et c’est pareil pour la psychologue ». Selon elle, « il y a les mêmes problématiques dans les établissements privés, mais ils peuvent faire une sélection financière et sur dossier scolaire, ça réduit les difficultés. Je suis de nature optimiste, mais je trouve que c’est très inquiétant. Je fais ce que je peux à mon petit niveau, comme le colibri. »
Elle dit aussi s’être « beaucoup retrouvée » dans ce qu’a dit Jean-Paul Delahaye sur son parcours personnel2 en ouverture, pour être passée par là elle-même. « J’ai fait des études de droit en tant que fille d’ouvrier, j’étais boursière et je travaillais tous les étés pendant deux mois, pour financer mes études. Quand on est dans ce cas, il faut faire toujours plus que les autres, deux fois plus, sans parler des discriminations liées aux origines. Il fallait avoir la hargne pour y arriver, et je pense que c’est encore plus dur de s’en sortir aujourd’hui. »
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Notes
- Jean-Paul Delahaye a mis en ligne sur son blog les textes de ses interventions. Ouverture : « Ce que la pauvreté fait à l’école ; ce que l’école fait de la pauvreté ». Conclusion : « Les leviers pour combattre les inégalités ».
- Jean-Paul Delahaye a raconté son parcours d’« enfant de pauvre » dans un livre, Exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine, paru en 2021 aux éditions de la Librairie du Labyrinthe. Nous l’avions interviewé à cette occasion.