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L’Inspection générale et l’innovation

Le Rapport annuel 2015 des inspections générales de l’Éducation nationale et de la Recherche, paru en décembre 2016, est consacré à l’innovation et l’expérimentation et leur incidence sur l’évolution du système éducatif. Se voulant à la fois état des lieux et outil de réflexion, ce rapport s’attache à définir ce que sont l’innovation et l’expérimentation, rend compte d’exemples d’innovations et d’expérimentations observées sur le terrain et cherche à déterminer leur incidence sur l’évolution du système éducatif.

Que l’inspection générale se penche sur l’innovation et l’expérimentation, ce n’est pas nouveau. Pour preuve, ce rapport s’appuie principalement sur de précédents rapports des deux inspections de l’Éducation nationale (IGEN, Inspection générale de l’Éducation nationale et IGAENR, Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et la Recherche), produits entre 1998 et 2015.

On peut aussi rappeler pour mémoire, voire pour le plaisir, les propos de Viviane Bouysse, inspectrice générale elle-même, s’interrogeant sur la raison qui fait que « ce sont toujours les innovateurs qui doivent en permanence se justifier, dans ce pays », pas ceux qui recourent aux fameuses « bonnes vieilles méthodes qui marchent », lors des Journées de l’évaluation organisées par le ministère de l’Éducation nationale les 11 et 12 décembre 2014.

C’est à la fin de ce rapport que l’on trouve ce qui semble un plaidoyer ou une affirmation de la nécessité de l’innovation et de l’expérimentation : « Le système éducatif vit un rêve permanent : celui d’atteindre le but parfait de la réussite de tous les élèves à l’issue d’un parcours scolaire harmonieux et vécu par tous avec bonheur. Ce but si élevé, peut-être inaccessible, constitue pourtant l’objectif utopique dont l’appel anime tous les acteurs de l’éducation. Faute d’avoir jusque-là trouvé la solution parfaite qui permettrait d’atteindre ce but, le monde de l’éducation invente sans cesse des pratiques nouvelles : il innove ; et il essaie ces pratiques afin d’en tester les résultats : il expérimente. »

Les rapporteurs s’attachent d’abord à définir les deux notions d’innovation et d’expérimentation : « L’innovation implique la nouveauté, l’inédit. Elle est une démarche de création, de combinaison singulière d’éléments préexistants ou d’émergence d’éléments inédits. L’expérimentation s’apparente au contraire à une mise en œuvre, à une inscription assumée dans le réel, tout en partageant avec l’innovation sa singularité pionnière et son statut éphémère, préfigurateur de son déploiement à venir, en fonction du retour d’expérience […]. On comprend pourquoi elles peuvent à l’occasion apparaitre presque synonymes. En effet, il n’est pas nécessaire d’expérimenter ce qui existe déjà et s’inscrit dans la normalité des pratiques […]. Complémentairement, l’innovation ne se réalise pleinement que dans l’expérimentation. »

Et de souligner que « dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de s’écarter d’une norme, ou, à tout le moins, d’une pratique courante qualitativement ou quantitativement ».

Les inspections passent en revue (à travers leurs précédents rapports, rappelons-le) un certain nombre d’innovations et d’expérimentations, à l’échelle de la classe, de l’établissement scolaire ou du système. Citons pour exemples, sans être exhaustifs et sans hiérarchiser : des questions de pédagogie et de didactique (comme l’enseignement intégré de sciences et technologie, le dispositif Plus de maitres que de classes, les pratiques d’évaluation), des questions éducatives (à travers la question de l’égalité entre fille et garçon ou celle des internats d’excellence), des questions de gouvernance (l’éducation prioritaire, le conseil école-collège) et la question « diversification et différenciation : l’école au service de l’individu ? ».

Du point de vue du système, quatre sujets en particulier sont traités, celui du décrochage (sous l’angle « peut-on réduire l’échec en innovant ou en expérimentant ? »), celui de la gestion des ressources humaines, celui de la gouvernance des circonscriptions du premier degré et celui de la réorganisation de l’administration centrale. Le rapport aborde aussi le thème « Architecture scolaire et pratiques pédagogiques innovantes ».

Dernier enjeu évoqué, celui de l’accompagnement de l’innovation, à travers la notion de récompense (c’est ainsi qu’est présenté le grand jury de l’innovation), l’évaluation, présentée comme « le parent pauvre », et les questions de la diffusion, de l’information et de la formation. C’est bien là la question : « Comment dépasser le stade de l’innovation ? », quand « la méfiance face à la nouveauté existe des deux côtés », et donc pas seulement du côté des enseignants, mais aussi de l’administration.

LA QUESTION DU POUVOIR

Et l’on en arrive à cette autre question : d’où doit venir l’innovation, entre le terrain et le ministère ? Une « tension entre local et national » dont « la résolution  » est « difficile ».

Le rapport fait ainsi une place à la question du pouvoir: « L’innovation est considérée comme un outil important au service de la transformation du système éducatif. Elle s’inscrit dans une tension entre deux sources de pouvoirs, les enseignants et les ministres », aussi désignés comme « centre et périphérie » : « À la périphérie, l’initiative du changement, au gouvernement, le pouvoir. L’innovation se définit dans un savant dosage de négociations, de contrats et de décisions. »

Assez logiquement, les inspections générales penchent plutôt en faveur de l’institution : « C’est aussi le rôle de l’institution, nationalement ou à travers les acteurs locaux, de donner des impulsions, de renouveler les pratiques à partir d’une réflexion combinant observations du terrain, résultats de la recherche et choix politiques et idéologiques. »

Mais les rédacteurs soulignent quand même « le défaut de relations entre les autorités politiques et administratives, les mouvements pédagogiques et les innovations émergentes à la marge du système scolaire », déjà pointé par l’Observatoire européen de l’innovation en éducation et en formation, dans un rapport publié en 1998.

Dans leur conclusion, les inspecteurs généraux s’interrogent : « Une autre question à se poser est celle de savoir jusqu’à quel point on peut considérer que l’évolution du système éducatif repose précisément sur l’innovation et l’expérimentation. En d’autres termes, si le titre du présent rapport général nous invite à apprécier l’incidence de l’innovation et de l’expérimentation sur l’évolution du système éducatif, il ne s’agit que d’un facteur parmi d’autres possibles. » Mais ils écrivent aussi : « L’innovation et l’expérimentation, avec l’effervescence qui leur est propre, sont à la fois des moteurs du changement et les indices d’une nécessité de celui-ci. En en permettant l’émergence, l’institution montre qu’elle ne se coupe pas du monde réel, qu’elle sait tirer des enseignements de ses évolutions, tout en restant ferme sur des principes qui garantissent la qualité du service public d’éducation. »

Trois idées-forces émergent sous la plume des rédacteurs, « trois mouvements que l’innovation et l’expérimentation mettent particulièrement en lumière et que l’institution se doit de promouvoir et d’accompagner pour continuer de faire évoluer le système éducatif : décloisonner, diversifier, développer. »

Le décloisonnement va de « l’interdisciplinarité, consacrée par la récente réforme du collège, mais dont les origines sont bien plus lointaines, à la mise en réseau, à l’instar de ce qui se passe en éducation prioritaire, de la transversalité à l’ouverture effective aux partenaires de l’école (terme lui-même problématique par la hiérarchie qu’il suggère) ». La diversification consiste à « individualiser les parcours, tant pour les élèves que pour les personnels de l’éducation nationale, c’est tirer parti des possibilités offertes par la mise en réseau, avancer à son rythme, bifurquer sans renoncer, valoriser son expérience et ses atouts ».

Enfin, le développement est renvoyé explicitement au « monde de l’entreprise » à travers les pratiques de Recherche & développement, défini comme la « mise au point d’un produit ou d’un procédé nouveaux, de nature à faire évoluer le marché ». Avec cet ajout : « Développer, c’est aussi ouvrir, faire fructifier, en deux mots éduquer et apprendre. »

Cécile Blanchard
POUR EN SAVOIR PLUS
Rapport annuel 2015 des Inspections générales, rapporteurs pilotes : Pascal-Raphaël Ambrogi (IGAENR), Dominique Rojat (IGEN), Yves Cristofari (IGEN), Bertrand Richet (IGEN), disponible en ligne : https://miniurl.be/r-1bbb