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Marianne Lesou, professeur de sciences et vie de la Terre (SVT), mise sur l’envie de comprendre de ses élèves pour qu’ils se sentent capables d’apprendre et pour qu’ils deviennent de futurs citoyens éclairés. Rencontre avec une enseignante en fin de carrière qui garde un enthousiasme intact pour son métier.

Ce qu’elle aime avant tout, c’est la relation aux élèves, ce qui la guide dans son quotidien professionnel, c’est une sorte d’urgence, un plaidoyer pour l’éducation émancipatrice. « Je suis pénétrée par l’idée qu’il faut absolument que les élèves comprennent les documents qu’ils lisent. Ce sont les citoyens de demain, il faut vraiment qu’ils arrivent à gagner cette émancipation par la compréhension. » Marianne Lesou a étudié les sciences, une voie qui semble naturelle pour enseigner les SVT. Elle apprécie sa discipline qui « donne des clés aux élèves sur les relations à l’environnement, entre eux, avec les autres espèces. Comme l’histoire-géographie, elle apporte un éclairage sur le monde dans lequel on vit. »

Elle enseigne à Montreuil, en banlieue parisienne, dans un collège de l’éducation prioritaire auprès « de mômes très chouettes » dans une période, l’adolescence, où « ils découvrent, affirment leur caractère, leur personnalité, en opposition avec le monde des adultes ». Au collège, tous les élèves sont accueillis avec leurs différences de niveau et de motivation, contrairement au lycée d’enseignement général où un certain tri s’est opéré. « C’est difficile de les impliquer tous, on a toujours des élèves qui décrochent même s’ils ne sont pas forcément absentéistes. » L’année de la 3e lui semble la plus critique, avec l’échéance de l’orientation qui peut être vécue comme un choix de vie. « Savoir qu’ils ne sont pas à la hauteur pour passer en lycée général, ça les angoisse. Ils ont des comportements parfois suicidaires au niveau scolaire. C’est compliqué pour eux, douloureux pour nous. »

Chercher des problèmes

Alors, loin de la prétention de pouvoir systématiquement intéresser tout le monde, elle cherche des situations pédagogiques qui interpellent les élèves. « Mon idée, c’est qu’on ne s’intéresse à une réponse donnée que si on s’est posé la question. J’essaie de faire en sorte que les élèves adhèrent au problème scientifique posé, qu’ils soient avides de chercher la réponse. » Les situations problèmes conduisent aussi à des réponses construites collectivement à partir d’échanges, de confrontations d’idées.

Au fil de la progression dans les programmes, elle cherche pour chaque chapitre des problèmes susceptibles de déclencher un intérêt. « Par exemple, en 3e sur le thème de la génétique, on montre que les humains ont tous les mêmes gènes. Pourtant, ils n’ont pas le même groupe sanguin. On s’interroge sur le pourquoi de ces variations. » Elle scénarise parfois des situations pour interpeller les collégiens, comme lorsqu’elle raconte l’histoire de Stéphane qui doit aller à l’hôpital pour une dialyse et qu’elle questionne pour savoir la raison de cette dialyse et son déroulement.

Définir ce qu’est la puberté

Marianne recherche constamment de nouvelles accroches pour ses cours (débat mouvant, activité mosaïques, discussion préparée), à une exception près, concernant le thème de la puberté. Là, elle a trouvé une façon de faire le cours qui fonctionne quasiment à chaque fois. De façon anonyme, chaque élève écrit sur un papier ce que lui évoque la puberté. Ensuite, elle prend tous les mots, elle les colle au tableau puis les classe par catégories, les modifications physiques, physiologiques et les aspects psychologiques, par exemple. « À nous tous, on définit ce qu’est la puberté. »

Quel que soit le thème, ce qui la préoccupe, c’est que les élèves accrochent, qu’ils aient envie de comprendre. « Je veux leur être utile, leur apporter des connaissances, mais surtout les amener à faire la différence entre une croyance et un fait, qu’ils ne se laissent pas berner. » À travers les analyses d’expérience, les situations problèmes, elle vise à développer des capacités de raisonnement, d’esprit critique, de compréhension. « À travers les situations, on fait le programme, mais surtout ils travaillent ces compétences. Ils interprètent le résultat, doivent l’expliquer, raisonner de façon rigoureuse. »

Elle attache une importance particulière à la lecture et à la compréhension des documents. « Ils ont parfois du mal à comprendre un texte, à être vigilants sur les différents éléments d’un texte. » Elle a confiance dans la capacité des élèves à expliquer des notions que d’autres n’auraient pas comprises, avec leurs mots et leur approche à eux. Alors, elle a institué des « minutes de l’entraide » à la fin des cours.

Facilitatrice et amie critique

Pendant neuf ans, elle a travaillé à mi-temps à la Cardie (Cellule académique recherche, développement, innovation et expérimentation) de Créteil et apprécié là aussi son rôle de facilitatrice, cette fois auprès d’équipes pédagogiques, de l’école primaire à la terminale, qui souhaitaient tenter de nouvelles choses. « J’intervenais en amie critique pour aider l’équipe à faire avancer le projet en regardant ce qui bloquait ou faisait avancer. » Elle est intervenue notamment pour la mise en place de classes coopératives, de projets philo jeunes avec des discussions à visées démocratiques et philosophiques (DVDP).

Elle a beaucoup aimé accompagner des classes sans notes : « Une vraie évolution du système éducatif par rapport aux notes ridicules qui découragent les élèves. » Elle a vu des enseignants qui se démènent pour innover mais dans un même temps les moyens dédiés s’amoindrir. Elle-même doit tordre les contraintes horaires pour continuer à mettre en œuvre dans ses classes des demi-groupes pour des manipulations scientifiques, des conseils coopératifs ou des DVDP.

À l’heure actuelle, vingt-six heures sont attribuées par classe au collège, auxquelles s’ajoutent trois heures d’enseignements complémentaires, marge de manœuvre pour l’établissement. Une partie de cette marge est affectée à des projets quasi obligatoires comme les cours de natation pour les non-nageurs ou l’enseignement du chinois en deuxième langue par exemple. « Mes collègues sont sympas, mais si tu demandes deux heures pour un projet de conseil coopératif ou d’aide aux élèves, ils ne le voient pas d’un bon œil. »

Garder la pêche, ne pas se résigner

Elle constate que, désormais, « c’est compliqué de faire des projets vraiment construits qui demandent du temps avec les élèves ». Pourtant, elle « garde la pêche » en voyant « tellement d’enseignants qui font des trucs formidables malgré le décalage entre les discours sur l’innovation et la réalité du manque de moyens ». Elle cite les multiples projets menés par les profs dans son collège, la venue d’intervenants et les sorties culturelles financés par le département de Seine-Saint-Denis, les séjours au ski organisés par les enseignants d’EPS (éducation physique et sportive), toutes ces ouvertures sur des univers que les élèves pensent leur être inaccessibles.

« On ne peut pas se résigner quand on travaille dans un bahut difficile, on est obligés de faire autrement, de se décarcasser pour faire adhérer nos élèves pour qui l’implication dans les apprentissages ne va pas de soi. » Et ces humains, ces citoyens en devenir sont parfois déjà abimés par leur parcours scolaire, ont perdu confiance en eux à force de recevoir des mauvaises notes. « C’est un gros boulot de leur donner confiance, de leur faire comprendre que l’erreur fait progresser, que ce n’est pas une faute. » C’est un travail constant pour une évolution progressive vers la réussite, vers une envie qui se traduit par le sentiment d’être capable. Et lorsqu’elle croise des anciens élèves qui s’en sortent, réussissent, « sont entreprenants et culottés », elle sait que son engagement éducatif n’est pas vain. « Il faut croire dans ces gamins. »

Monique Royer

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