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Se mobiliser pour l’Evars !

Comment parler d’éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité (Evars) sans déchainer les passions, alimentées par les fausses rumeurs et les réseaux sociaux ? Une question au cœur du webinaire organisé le 2 avril par le CRAP-Cahiers pédagogiques et la Ligue de l’enseignement. Riche en témoignages experts, cette session a mis en exergue quelques pistes pouvant être mises en pratique dans les établissements.

Le 2 avril 2025, le CRAP-Cahiers pédagogiques coorganisaient avec la Ligue de l’enseignement un webinaire sur le thème « Éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité : comment construire une relation de confiance avec les familles ? ». Une question qui a donné lieu à des échanges très riches entre les participants, issus à la fois du monde scolaire et de l’éducation populaire, certains avec une expérience et des outils à mutualiser.

En ouverture, une vidéo de Kerim Belhadj, CPE, et de Maryse Boyard Gavalet, infirmière scolaire, qui ont présenté ce qui se fait au collège Arche-du-Lude, à Joué-lès-Tours. Cette ville avait été au cœur de l’actualité, il y a une dizaine d’années, quand avaient été lancés les ABCD de l’égalité. Un groupe extrémiste avait accusé une enseignante de maternelle d’avoir fait déshabiller des enfants pour leur faire un cours de sexualité, ce qui était bien sûr totalement faux. Un contexte à prendre en compte pour mettre en place l’éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité (Evars) dans ce collège en éducation prioritaire mais à forte mixité sociale.

Associer les parents

Maryse Boyard Gavalet n’est pas là depuis longtemps, mais elle s’est efforcée de constituer une équipe, qui s’est formée afin que les choses se passent pour le mieux, avec des partenaires agréés, comme le Centre de santé sexuelle, le centre d’orthogénie (au CHU) et des associations. Elle intervient aussi à l’école primaire autour des relations affectives et des émotions.

Elle n’a pas été confrontée à des parents réfractaires. Il est vrai qu’en amont, on a discuté de l’organisation en CESC (Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté), en associant les parents. Elle est prête à répondre à des questions ou des inquiétudes. Il peut y avoir de l’absentéisme pendant les séances d’Evars, mais elles sont minoritaires. Cette année, tous les niveaux sont concernés. La prévention peut aussi se faire en individuel.

« Le nouveau référentiel est un point d’appui essentiel et peut rassurer devant les fantasmes et les rumeurs – « on leur apprend la masturbation à l’école primaire ! » – explique-t-elle. Des élèves peuvent cependant poser des questions auxquelles on ne s’attend pas, sur certaines pratiques sexuelles, par exemple. Nous y répondons au mieux selon leur âge. C’est préférable au fait qu’ils aillent voir sur Google et tombent sur des sites pornographiques. Nous ne sommes pas là pour choquer, mais pour informer, pour indiquer des ressources. »

Le personnel de l’école est toujours présent dans les interventions extérieures. Il est garant du respect de la neutralité et des instructions officielles.

Répondre aux risques de panique morale

Après cette introduction, le webinaire a démarré avec l’intervention de Camille Roelens, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation et de la formation, membre de la rédaction des Cahiers pédagogiques.

« Ma spécialité, c’est plutôt l’étude des grands changements qui ont touché nos sociétés depuis les années 1960. J’aime bien me référer au philosophe Ruwen Ogien, qui nous a donné des concepts éclairants pour penser ces changements. Le premier, c’est celui de « l’exceptionnalité sexuelle » : voilà un domaine qu’on traite toujours de façon différente des autres, où on est peu à l’aise dès qu’il faut l’évoquer.

Ce n’est pas facile à traiter lorsqu’on est un adulte en position d’autorité, qui doit incarner la rationalité, la cohérence. Ce qui va faire polémique surviendra bien plus que sur des questions de vie affective et relationnelle – du genre : faut-il obligatoirement faire la bise à la vieille tante ou au tonton qui pique ? – et on peut en venir vite à la « panique morale », comme l’a montré l’exemple de Joué-lès-Tours ; on imagine alors le pire, le plus scabreux, le plus choquant. À partir du moment où le mot sexualité est prononcé, on a tendance à s’emballer ! Et on va être pour la liberté d’expression, sauf s’il y a de la sexualité dedans. Il faut donc répondre aux risques de panique morale.

Aujourd’hui, on envisage les relations sexuelles autrement que sous le seul angle de la reproduction, c’est une révolution considérable, car on introduit les idées de libre choix, de consentement. Il est normal que ça ne laisse pas indifférent !
Ajoutons qu’il ne s’agit nullement de prôner tel ou tel comportement, mais d’informer, par exemple sur les risques possibles, de donner les ressources pour permettre ensuite un comportement autonome, en pensant par soi-même, ce qui va à l’encontre d’une conception ancestrale de la sexualité où on visait l’hétéronomie, la loi qui décide à votre place. Pas de réponse à apporter à des questions comme : « Faut-il être fidèle ou pas ? » « Faut-il être hétérosexuel ? » »

Protéger les enfants des violences sexuelles

Des participants ont ensuite produit des témoignages sur des pratiques d’établissement, ici la production d’un livret à l’usage des parents (circonscription de Manosque), là un programme de séances de la 6e à la 3e qu’on partage (Roanne) ; on insiste aussi sur la nécessité de s’ouvrir à l’éducation populaire. Il est également fait allusion à la publication du Livre le plus important du monde, ouvrage de Nathalie Simonsson, qui parle du corps, des sentiments et des sexualités pour les 9-13 ans (traduit du suédois). Et qui a la particularité d’être tout à fait inclusif. C’est un livre qui, au-delà des enfants, s’adresse à tous les acteurs éducatifs.

Puis est intervenue Claire Bey, cheffe du bureau de la santé et de l’action sociale à la Dgesco (Direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation nationale), ancienne professeure des écoles et cheffe d’établissement.

« C’est une étape importante d’avoir fixé des notions et compétences à acquérir dans un programme progressif. Ça nous permet des clarifications : on n’aborde pas les sujets relatifs à la sexualité dans le premier degré, on travaille par niveau… Tout cela va dans le sens de la transparence et contribue à rassurer les familles.

De plus, ce programme vise surtout à protéger les enfants et les adolescents, et en particulier des violences sexuelles. On ne parle pas assez de cet aspect essentiel. Pouvoir bénéficier de cette éducation fait partie de droits qui sont identifiés, notamment dans la Convention internationale des droits de l’enfant. L’idée, c’est de construire une culture commune de l’égalité et du respect qui repose sur des savoirs constitués. Rien de ce qui est dans le programme n’est pas déjà présent dans des textes, comme le Code pénal par exemple. Et on vise en fait le développement de relations respectueuses d’égalité, de considération et de dignité en particulier dans les relations entre les femmes et les hommes. »

Adapter les sujets à chaque âge

Sans décliner l’ensemble du programme, Claire Bey donne quelques repères sur la progression dans les sujets abordés au long de la scolarité.

« En maternelle, on va surtout parler des émotions, apprendre à reconnaitre les parties du corps, à comprendre la notion d’intimité, repérer les adultes de confiance. En fin d’école primaire, on va aborder la puberté, les changements du corps, le consentement, le harcèlement, les dangers d’internet et des réseaux sociaux.

Ensuite, progressivement, au collège, on va revenir sur les changements à la puberté, la vie privée, le respect de l’intimité, les sentiments amoureux, le respect des différences et les choix responsables. Et évoquer le consentement, les différentes formes de violence, les interdictions, les mécanismes d’emprise.

Au lycée, on va plus loin dans l’analyse, y compris dans des termes juridiques et techniques ; il va être question de l’exploitation sexuelle, l’engagement dans une relation, le droit d’être soi, les facteurs qui font obstacle à l’appréciation, à l’exception de soi et des à l’appréciation sociale. Un des fils rouges, c’est le développement des compétences psychosociales, qui sont quand même à la base de cette éducation. »

Accompagner les personnels

« Des points de tension, des points d’incompréhension de la part des familles, il y en a pourtant forcément, surtout si des mensonges et désinformations les alimentent », souligne encore Claire Bey. Une participante rappelle, par exemple, qu’au moment de l’ABCD des égalités, des photos avaient circulé sur les réseaux sociaux avec des peluches représentant un sexe féminin et masculin, accompagnées de commentaires assurant qu’on apprenait en maternelle aux enfants à s’en servir…

Par ailleurs, Claire Bey l’assure : « On est bien conscient que les séances d’Evars peuvent déclencher des révélations de la part d’enfants et dans les formations. Nous abordons cette question pour pouvoir outiller les enseignants, qu’ils sachent bien comment réagir. Il faut dépasser les peurs. Rappelons que toute violence sexuelle repérée doit faire l’objet d’un signalement particulier dans le cadre de l’article 40. Quand on est agent de la fonction publique, c’est une obligation légale, donc on ne doit pas hésiter. Et s’il y a doute, il doit d’abord profiter à l’enfant et déclencher une enquête.

D’où l’intérêt de co-interventions avec des partenaires, qui sont parfois davantage formés sur certains sujets. Mais aussi de travailler à l’échelle de l’établissement, en équipe pluridisciplinaire au sens large.

Notre rôle, au niveau de l’institution, est d’accompagner les personnels en leur fournissant des ressources tels des livrets pédagogiques et l’indication de partenaires possibles. Nous sommes très engagés et mobilisés avec les équipes académiques de pilotage de l’éducation à la sexualité. La formation des personnels est essentielle. Elle va concerner durant cette année au moins une personne par collège et lycée, et deux ou trois par circonscription du premier degré. Des formations locales ont lieu, cela doit être une priorité. Nous essayons de mettre beaucoup de moyens pour que les personnels se sentent sécurisés et montent en compétence. »

Le webinaire s’est conclu avec Sandrine Pellenz, vice-présidente en charge de l’éducation à la Ligue de l’enseignement, qui a insisté sur le nécessaire travail commun entre l’Éducation nationale et les associations de l’éducation populaire. En le reliant aussi avec la formation à l’esprit critique, qui est un des axes forts du travail de la Ligue de l’enseignement. « Il ne faut pas laisser libre champ à la désinformation alors que près de 90 % de parents se disent favorables à l’Evars. Ce qui n’empêche pas de dialoguer avec les familles réticentes, sans attendre que les problèmes apparaissent. Pour cela, il faut regrouper les acteurs éducatifs et ce premier webinaire commun en est une belle illustration. »

Jean-Michel Zakhartchouk

Ressources

Kit pédagogique de la Ligue de l’enseignement Ados, le porno à portée de clic, avec des modules vidéo pour ouvrir le dialogue et lancer un débat, et des fiches éducatives.

« Éducation à la sexualité pour les jeunes : une approche globale et positive », n°465 de La Santé en action, revue de Santé Publique France, janvier 2024

La boite à outils du Crips (Centre régional d’information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes) d’Ile-de-France


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Couverture du numéro 561, « L’éducation à la sexualité »