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L’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) pour contribuer à une société plus inclusive

Vincent patigniez

Vincent patigniezIl ne faut pas céder pas céder aux résistances sociales et politiques ni aux paniques morales sur l’éducation à la sexualité. Entretien avec Vincent Patigniez, professeur-documentaliste en collège dans l’académie d’Orléans-Tours et auteur du livre Accompagner la construction sexuelle et de genre chez les ados (Double ponctuation, 2023).
Quel est l’objet de l’Evars (éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle), quels sont les enjeux du nouveau programme ?

Le rapport 2024 du Haut Conseil à l’Égalité sur l’état du sexisme en France précise que les jeunes hommes entre 25 et 34 ans sont 52 % à estimer que « l’on s’acharne sur les hommes », et 59 % qu’il « n’est plus possible de séduire une femme sans être vu comme sexiste ». Ajoutons que 72 % des femmes de 15 à 24 ans considèrent que femmes et hommes ne sont pas traités de la même manière sur les réseaux sociaux.

Double standard, sexismes ordinaires, (cyber)violences de genre (sexistes, sexuelles, LGBT+ phobes), discriminations, autant de situations urgentes – qui se produisent à l’école, dans l’espace public, en ligne – à identifier, caractériser, repérer et prévenir ! Dans ce cadre, notamment, il s’agit de dispenser au moins trois séances par an et par élève, selon la loi de 2001, en se fondant « sur les valeurs humanistes de liberté, d’égalité et de tolérance, de respect de soi et d’autrui » (circulaire sur l’éducation à la sexualité de septembre 2018).

L’Evars ne se résume pas au champ biologique, mais concerne également le domaine psychoaffectif et le domaine social. Par exemple, comment répondre à des propos sexistes ? Quels sont les leviers juridiques pour faire valoir ses droits ? Quid des cybersexismes, « nouveau phénomène de socialisation adolescente par les outils du numérique », pour reprendre les propos de Sigolène Couchot-Schiex et Gabrielle Richard1, et des cyberviolences de genre ?

La proposition de programme de mars 2024, du cycle 1 au lycée, est adaptée à chaque niveau, progressive et essentielle ! Elle s’organise autour de trois axes : se connaitre soi-même, vivre et grandir avec son corps ; rencontrer les autres et construire avec eux des relations, s’y épanouir ; trouver sa place dans la société, y être libre et responsable. Les questions d’égalité, d’amitié, de santé sexuelle, d’amour, de consentement, de (cyber)violences, de plaisir ou encore de diversités, de dignité, de droits humains, filent le contenu, à adapter aux besoins des élèves.

On y trouve aussi les références aux compétences psychosociales et une liste de six préconisations s’articulant autour des points suivants : obligation, organisation, anticipation, communication, etc.

C’est donc un enseignement protéiforme porté par l’équipe éducative et pédagogique et accompagné par des associations. Les séances d’Evars sont l’occasion de mettre à distance des rôles normatifs. L’organisation de ces temps de parole est fondamentale mais n’est pas souvent permis.

Quel est le projet de votre livre ? En quoi peut-il aider les enseignants et enseignantes ?

Le challenge homophobe auquel des enfants jouent dans les cours de récréation, « le premier qui bouge est gay », témoigne de l’importance d’éduquer également aux citoyennetés, aux médias, à l’information.

L’homophobie organise une surveillance du genre, car la virilité doit se structurer non seulement en fonction de la négation du féminin, mais aussi du refus de l’homosexualité. Gabrielle Richard précise que les violences, dont le harcèlement homophobe, « marqueur relativement commun de la scolarité de beaucoup de jeunes LGBT+ » augmentent les conduites suicidaires. La stigmatisation et l’autostigmatisation, l’ostracisation ou encore la menace du stéréotype, participent au stress minoritaire des jeunes non hétérosexuels.

Comment prévenir ? Voici des exemples de questions qui me sont posées et qui m’ont servi de terreau pour construire mon livre : est-ce dans mes missions ? Est-ce politique ? Suis-je légitime ? Comment organiser une progression en CESCE (Comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement) ? Existe-t-il un gène de l’homosexualité ? Masculinités, masculinismes, de quoi parle-t-on ?

L’idée fut alors, avec mon éditeur, de réunir une sélection pratique de sources, de documents, de contenus permettant d’assurer les séances d’Evars.

Le HCE (Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes) souligne que, « malgré leur sensibilisation aux stéréotypes de genre, les jeunes continuent de les reproduire ». Un des premiers freins est la non-maitrise du vocabulaire, qui gangrène les mobilisations.

Pour y remédier, le Jeu des définitions des sexes, genres et sexualités est un dispositif ludique qui accompagne la maitrise du vocabulaire. Ce dispositif, constitué de cartes (sur certaines figurent des mots clés, sur d’autres, leurs définitions), permet d’instaurer un temps d’échange dynamique avec les participants et participantes. La consigne propose d’associer chaque vocable à sa définition. Expliquer la terminologie permet de réguler les confusions lexicales.

Le système traditionnel de genre renvoie à maintes problématiques, à appréhender de manière intersectionnelle.

Le jeu des privilèges Can you ? permet de questionner les stéréotypes, les préjugés, les inégalités, les discriminations, et de vivre l’empathie. Une carte profil est donnée à chaque participant et participante. Selon les situations annoncées, les participants avancent d’un pas s’ils ou elles peuvent répondre à la situation par l’affirmative. Le débriefing permet d’interroger les prérequis lexicaux et à échanger sur les ressentis. Les personnes qui ont ou pensent avoir des privilèges avancent, les autres non, ce qui permet de prendre conscience collectivement et visuellement de certains privilèges. « Une des choses difficiles à penser et à admettre quand on occupe une position dominante, c’est… qu’on occupe une position dominante », précise Isabelle Clair, dans son livre Sociologie du genre.

Prenons conscience du continuum des violences (systémiques), de la domination de genre – pour citer Marie Duru-Bellat, du contrôle coercitif, des violences autolégitimées… L’école, normative, a un rôle essentiel à jouer.

Au-delà de l’Evars, quelles pratiques peuvent être mises en œuvre pour mieux prendre en compte les questions d’égalité à l’école ?

Comment penser un enseignement non excluant, inclusif et égalitaire ? Quid de nos effets d’attente et des prophéties autoréalisatrices ? Réagissez-vous systématiquement lorsque vous entendez des propos racistes, sexistes, LGBT+phobes ? « Sans la formation d’un modèle éducatif plus ouvert et plus inclusif, il y a peu de chances que l’école ne soit pas perçue comme une machine à exclure, hostile à ceux qui sont trop “différents” », précise François Dubet.

Interroger le prêt-à-penser est un levier fondamental pour diffuser cette culture de l’égalité. Isabelle Collet rappelle la nécessité de ne pas laisser le sexisme s’installer passivement à l’école, et, plus largement, toutes les discriminations, et de lutter contre nos comportements inégalitaires aux effets réels. « Si elle [l’école] refuse de lutter contre les inégalités, elle devient responsable de leur reproduction, souvent à l’insu de tous et toutes », ajoute Isabelle Collet.

Régulons nos gestes professionnels et initions un diagnostic local ! Les enquêtes locales de climat scolaire permettent de recueillir des données partagées, via une série de questions relatives au bienêtre à l’école ou à la victimation. L’objectif est d’identifier les (micro)violences et d’adapter la politique de l’établissement. Le mémento du Centre Hubertine Auclert, Mettre en place des actions pour favoriser l’égalité filles-garçons et lutter contre le sexisme et les LGBTQIAphobies, propose des rappels du cadre législatif et des indicateurs pour mettre en place votre diagnostic.

Enseigner de manière égalitaire s’apprend ! La toile de l’égalité, proposée par Isabelle Collet, s’organise selon une approche concrète et une stimulation collective. Ce visuel interroge notamment ses pratiques pédagogiques et suscite un temps d’analyse relatif à ses actions individuelles et collectives, au prisme de l’égalité. Les quatre pôles de couleurs sont orientés vers les élèves et les intitulés inscrits sur le cercle vers les personnels. La pédagogie de l’égalité ne se résume pas à éduquer à l’égalité.

Cessons d’adhérer inconsciemment à l’ordre du genre. N’oublions pas pourquoi nous nous engageons ainsi : ce n’est pas par militance, mais parce que nous sommes profondément convaincus que cette éducation est indispensable pour mettre en œuvre une pédagogie respectueuse de tous et toutes, et prévenir les atteintes pléthoriques à la dignité humaine.

Propos recueillis par Antoine Tresgots

À lire également sur notre site
Vie affective et sexuelle : toujours défendre l’éducation ! communiqué du CRAP-Cahiers pédagogiques

L’éducation à la sexualité aujourd’hui : que devient la loi de 2001 ? Par Caroline Rebhi

Qu’est-ce que la citoyenneté sexuelle ? Par Prescillia Micollet (accès payant)

Parler de sexualité à l’école : raison et sentiments, par Cécilia Germain

« On attend de l’école qu’elle permette la circulation de la parole », entretien avec les coordinatrices du dossier « L’éducation à la sexualité »

Déconstruire le genre, éduquer à la sexualité, par Marie Gaussel

« On peut aborder ces sujets partout », entretien avec le Dr Kpote

« Un tabou est tombé : on peut être différent sans être “anormal” », entretien avec Christophe Desportes-Guilloux


Sur notre librairie

Couverture du numéro 561, « L’éducation à la sexualité »

 

Notes
  1. Sigolène Couchot-Schiex et Gabrielle Richard, chapitre 2, « Cybersexisme : un nouveau phénomène de socialisation adolescente par les outils du numérique ? », dans Éducation critique aux médias et à l’information en contexte numérique, Presses de l’Enssib, 2020. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pressesenssib.11153.