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« Un tabou est tombé : on peut être différent sans être “anormal”. »

L’Éducation nationale est percutée par les questionnements des élèves sur leur identité de genre, sans doute plus fréquemment aujourd’hui qu’il y a quelques années. Comment les accueillir et les accompagner ? Quel est le cadre règlementaire ? Entretien avec Christophe Desportes-Guilloux, référent Prévention des discriminations anti-LGBT+ au Groupe action gay et lesbien du Loiret.
La question des élèves en transition de genre est apparue assez récemment dans les préoccupations des équipes éducatives. Y a-t-il une prise de conscience, un effet #metoo, ou est-ce que les jeunes osent davantage en parler ?

Je pense que, comme souvent quand il y a des changements de cette ampleur, l’apparition d’un grand nombre d’annonces de transidentité est due à plusieurs facteurs :

• Depuis les débats sur le « mariage pour tous » en 2012, notre société s’est ouverte à des débats sur l’intime et sur les minorités sexuelles. On peut désormais dire qu’on est homosexuel, puisque même la loi nous donne les mêmes droits que les hétérosexuels. Un tabou est tombé : on peut être différent sans être « anormal ».
• Depuis à peu près la même époque, des politiques publiques ont été menées, insuffisamment certes, mais elles existent, pour lutter contre les discriminations et les stéréotypes de genre. On peut désormais être une fille ou un garçon différent du stéréotype de notre genre. L’école a pris sa part dans cette évolution, insuffisamment sans doute, mais ce sujet avance.
• Depuis 2016 et la loi sur la justice du XXIe siècle, les personnes transgenres peuvent modifier leur état civil, sans aucune condition médicale. La démarche de changement de prénom, qui se fait en mairie, est assez simple et ouverte aux mineurs, avec l’accord des deux parents.
• Et, bien évidemment, les médias, les réseaux sociaux, ont contribué à diffuser de l’information sur le sujet, en particulier pour les jeunes, à présenter des personnalités qui deviennent des « rôles modèles », des exemples positifs auxquels les jeunes peuvent s’identifier. Ne nous trompons pas sur ce point : il ne s’agit pas d’influenceurs, qui auraient le pouvoir d’influencer des jeunes à changer de genre, mais bien de personnes dont les parcours de vie font écho à ce que ressentent les jeunes.

Tout cela a sans doute concouru à rendre plus facile le questionnement sur le genre, et l’accès à l’idée que peut-être, ou assurément, « je suis de l’autre genre ». Cela va même, puisque la question est ouverte, jusqu’à un questionnement sur la binarité ou la non-binarité du genre.

Quel âge ont les enfants qui se posent des questions sur leur identité de genre ?

Au Centre LGBT+ d’Orléans, le plus jeune enfant qui affirmait être de l’autre genre que celui assigné à sa naissance avait 8 ans et demi, mais pour la majorité des jeunes que nous recevons, la puberté a commencé depuis deux ou trois ans. Elles et ils ont donc majoritairement autour de 15 ans.

La plupart d’entre eux nous disent que leur questionnement, voire leur assurance d’être de l’autre genre, date de leur enfance, mais la puberté, avec les changements du corps qu‘elle entraine, rend le sujet beaucoup plus difficile à vivre : voir ses règles apparaitre et ses seins se développer alors qu’on est un garçon, ou muer vers une voix grave et voir sa barbe pousser alors qu’on est une fille, provoque chez beaucoup d’entre eux ce qu’on appelle une dysphorie de genre, c’est-à-dire un sentiment intense de malêtre, avec des manifestations d’anxiété intenses.

Cette situation est extrêmement difficile à vivre pour ces adolescentes et adolescents : deux jeunes trans sur trois ont déjà eu des pensées suicidaires, et un sur trois est déjà passé à l’acte.

C’est pourquoi il est indispensable que le monde des adultes, parents et école principalement, se mobilise pour améliorer la qualité de vie de ces jeunes.

Quelles réponses peut-on apporter dans une école ou un établissement scolaire à un jeune qui se sent d’un autre genre que celui qu’indique son identité officielle ? Y a-t-il des limites juridiques au fait de tenir compte de leur identité réelle ? Et y a-t-il des différences selon les âges?

Pendant plusieurs années, les équipes éducatives ont dû se débrouiller sans cadre règlementaire. Notre association a ainsi accompagné une quinzaine d’équipes dans des collèges et des lycées du Loiret entre 2018 et 2021 pour essayer de trouver des solutions aux situations posées par ces élèves sur le prénom choisi, le genre, mais aussi les lieux de non-mixité : toilettes, vestiaires, internat, sorties scolaires. Cet accompagnement s’est appuyé sur une note que nous avons rédigée pendant l’été 2018 et qui a été diffusée par l’Éducation nationale à toutes les infirmières scolaires du Loiret.

Depuis la parution au Bulletin officiel du 30 septembre 2021 d’une circulaire sur le sujet, un cadre règlementaire existe. Il pose plutôt bien les enjeux et rappelle le cadre légal. Il fixe aussi des règles sur les actions à mener, en rappelant que, s’agissant d’élèves mineurs, il est indispensable d’obtenir l’accord des deux parents.

Ce rappel, évident du point de vue légal, pose également une limite : que peut-on faire sans l’accord des parents, ou en cas de désaccord d’un des parents ?

Sur ce point, la circulaire encourage très fortement les établissements, avec l’accord de l’élève, à faire le lien avec les familles, voire à tenter d’établir une médiation pour que l’élève, ses parents, et l’établissement réussissent à trouver ensemble des solutions pour améliorer la vie de l’adolescent.

Il faut rappeler les enjeux très forts en santé mentale : trop de jeunes transgenres vont très mal, et leur permettre d’être entendus et si possible d’avancer dans leur réflexion, voire dans leur transition sociale, améliore nettement leur bienêtre.

Bien évidemment, les associations spécialisées sur ces questions et agréées par l’Éducation nationale ou les autres acteurs du champ social-santé peuvent être sollicitées pour aider dans le dialogue entre les jeunes, leurs parents, et l’école. Dans le Loiret, notre association répond à ces sollicitations, en coopération avec la Maison des adolescents du Loiret et ses deux établissements d’Orléans et de Montargis.

Si néanmoins les parents opposent un refus catégorique à toute discussion, et si l’équipe éducative considère que l’environnement familial fait courir un danger au jeune, la circulaire rappelle les responsabilités légales de l’institution scolaire, et la possibilité, voire l’obligation, d’alerter les autorités par un signalement ou une information préoccupante.

Au-delà de ce que peut faire l’école, une fois l’accord des parents obtenus, sur le prénom d’usage, le pronom, les lieux de non-mixité, il faut aussi insister sur le fait que, si les parents sont d’accord, les mineurs peuvent changer officiellement leur prénom. Ce changement officiel a beaucoup d’avantages, en particulier celui d’avoir son vrai prénom sur les diplômes, c’est-à-dire celui déjà utilisé à l’oral par tout le monde, car à défaut de ce changement officiel les diplômes seront édités avec le prénom de naissance, ce qui n’aura de sens pour personne et sera vécu comme une nouvelle violence par l’élève.

Pour les démarches de changement de prénom, les associations comme la nôtre peuvent accompagner les familles dans le montage du dossier.

Les accompagnements que nous avons faits en milieu scolaire concernent uniquement le collège et le lycée (ainsi qu’une maison familiale rurale et un centre de formation d’apprentis), pas l’école primaire.
Mais nous avons accompagné des enfants, à partir de 8 ans et demi pour la plus jeune, et leur famille, dans la réflexion sur le genre ou sur la manière de vivre cette réflexion.

Il ne s’agit évidemment là que de ce qu’on appelle la transition sociale : il n’y a pas, en France, et il faut le dire et le redire, de transition médicale pour les enfants. Les seuls traitements possibles au début de l’adolescence sont la prescription de bloqueurs de puberté, qui permettent d’éviter l’apparition ou le trop grand développement des caractères sexuels secondaires. Cette prescription a lieu, en fonction de l’ado, et en particulier de sa santé mentale, au début de la puberté (stade Tanner 2). Bien évidemment l’accord de l’ado et de ses parents est requis.

Pouvez-vous nous donner des exemples de situations dont vous avez eu connaissance ?

Oui, voici deux exemples parmi d’autres.

En 2019, notre association est sollicitée, avec la Maison des adolescents du Loiret, par un lycée dans lequel un garçon transgenre – c’est-à-dire avec un état civil de naissance féminin – vit très mal sa transidentité. Ses camarades l’ont bien accepté, mais ses parents sont bloqués et ne veulent rien savoir, en particulier pour des raisons religieuses.

Le jeune a d’abord été reçu par la Maison des adolescents, sans que ses parents soient au courant, comme le permettent les règles qui régissent les maisons des ados. La proposition est faite de tenter de faire du lien avec les parents, ce que les parents finissent par accepter.

Dans les premiers échanges, les parents ont exposé avec force leurs convictions : une fille est une fille, point. Dans les échanges suivants, nous leur avons proposé d’échanger sur la santé de leur enfant, sa dégradation et sur ce qui pouvait en être la cause. Ils ont convenu qu’il fallait pouvoir parler de son ressenti, ce qu’ils ont fait, en notre présence, mais aussi au sein de la famille.

La question des sentiments a aussi été longuement abordée : ces parents aimaient leur enfant, et ils ont compris qu’ils devaient placer ces sentiments au-dessus de leurs convictions.

Au bout de trois mois, les parents ont informé le lycée de leur accord pour le prénom d’usage. Une première victoire pour le jeune ! Et deux mois plus tard, soit environ huit mois après le début de la prise en charge, ils ont souhaité qu’on les accompagne pour le changement officiel de prénom en mairie.

Autre situation : en septembre 2018, un papa vient dans les locaux de notre association. Il vient d’apprendre que son fils transgenre, dont la transidentité est acceptée en interne par la famille, va faire son coming out au collège. Le père est un peu désemparé car la transidentité de son enfant était jusque-là restée strictement privée. Il nous sollicite donc pour faire le lien avec le collège, et ce d’autant plus qu’il n’y a alors aucun cadre règlementaire et qu’il craint qu’aucune solution ne soit possible.

Après une rencontre de notre association avec le chef d’établissement et l’infirmière scolaire, ceux-ci décident d’une réunion en deux temps : d’abord une présentation du sujet par notre association à l’équipe pédagogique de l’élève, puis une réunion avec les parents pour s’assurer de leur accord sur les aménagements possibles.

À l’issue de cette réunion, le chef d’établissement décide que le prénom choisi par le jeune sera utilisé à l’oral par toute l’équipe, sans exception possible, que l’élève aura la possibilité d’utiliser les toilettes – non genrées – de l’administration et qu’un lieu à côté des vestiaires de sport lui sera proposé pour se changer. Une difficulté a malheureusement subsisté, sans solution : l’élève n’a pas pu intégrer l’équipe masculine de son sport préféré, et il n’a pas voulu rester dans l’équipe féminine.

La question du sport scolaire reste de fait le principal domaine dans lequel il faut encore progresser pour une totale intégration des élèves transgenres.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Pour contacter le GAGL 45 : contact@gagl45.org


Sur notre librairie :

N° 561 : L’éducation à la sexualité

Coordonné par Chantal Guitton et Dominique Seghetchian

Aborder la sexualité par la reproduction, le plaisir ou la protection contre les MST n’est pas neutre. Comment accompagner la découverte de soi et de l’altérité ? Quelle place faire à la diversité des normes dans une école qui promeut l’émancipation et l’égalité ?