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Dr Kpote : « On peut aborder ces sujets partout »

Qui n’a pas pâli à la perspective de parler « sexe » et « préservatif » avec un ou une ado, ou pire, toute une classe ? On se sent peu armé, mais ça n’est pas le cas de Didier Valentin, alias Dr Kpote, dont c’est le métier.

Photographie Cécile Blanchard.

Quel souvenir gardez-vous de l’école ?

Mes parents étaient souvent convoqués, j’ai eu énormément d’heures de colle… Je n’étais pas méchant mais dissipé. Bref, je n’ai pas énormément travaillé, mais j’ai beaucoup rigolé et j’avais plein d’amis. Ensuite, les études supérieures, ça a été vite vu, je m’étais inscrit en BTS pour le fun, mais je ne suis pas allé au bout.

J’ai eu quand même quelques profs de français qui m’ont amené à beaucoup lire et écrire par la suite. Aujourd’hui, je continue d’allier le travail social et l’écriture, pour Causette et pour des livres1.

Vous n’avez pas d’emblée été travailleur social ?

Quand je suis venu à Paris, c’était pour travailler dans la publicité, mais ça m’a rapidement déplu. Puis, il y a eu la pandémie du sida, j’ai perdu des potes. À cette époque, une association d’aide aux malades, Sol en Si, cherchait des volontaires. C’était à deux pas de chez moi. J’ai été bénévole plusieurs années, puis ils m’ont embauché. Ça a radicalement changé ma vie.

J’ai essentiellement travaillé au contact de femmes séropositives ou malades du sida, souvent des femmes racisées, sans papiers, ayant vécu des violences conjugales ou sexuelles. J’ai fait aussi de la prévention auprès d’adolescents, travaillé sur des projets avec des ados séropositifs. Ça a été une expérience forte, et beaucoup d’engagement. Il n’était plus question de retravailler dans la pub, mais j’ai toujours un peu écrit et fait de la mise en page à côté, ça me permettait de souffler. Ça arrondissait mes fins de mois, et puis ça m’obligeait à réfléchir, c’est important pour moi.

Au bout d’un moment, j’ai démissionné de Sol en Si, c’était fatiguant… J’avais une amie qui travaillait au Crips (Centre régional d’information et de prévention du sida), qui cherchait des intervenants pour le milieu scolaire. J’avais envie de travailler avec des ados. Ça fait plus de vingt ans que c’est mon métier principal.

Comment avez-vous abordé ce public ?

J’ai eu un bon feeling avec eux. J’aime bien chambrer, les adolescents aussi, on peut apporter de l’humour. Globalement, ils sont assez partants sur les problématiques de vie affective et sexuelle et de prévention des drogues, à condition qu’on utilise des outils qui correspondent à leur génération. Je passe beaucoup de temps à faire de la veille sur les réseaux sociaux, surtout Tiktok, Instagram, Snapchat, Youtube, pour trouver des choses qui les intéresseront. Dès qu’ils me parlent d’un truc, je vais fouiller, ou je cherche à partir d’un hashtag. Je télécharge des vidéos et je leur fais un « d’accord/pas d’accord ». Récemment, par exemple, j’ai repéré une étude sur les 13-25 ans aux États-Unis, qui disait qu’ils veulent moins de sexe et plus d’amitié dans les séries. Ça sert de point de départ pour engager un débat contradictoire et aller un peu plus loin, sur la relation à l’autre, les stéréotypes de genre, l’homophobie et le sexisme, etc. Je peux aussi utiliser des images de pub sexistes, et je me suis beaucoup nourri de toutes les autrices instagrameuses ou blogueuses féministes.

De quoi parlez-vous avec eux ?

J’ai fait longtemps une prévention très hygiéniste, autour de la capote, etc. – d’où mon surnom. Aujourd’hui, je fais souvent le choix de partir de la question du genre. Pour montrer qu’on n’a pas tous la même identité ni la même sexualité. On travaille sur les rôles de genre, qui peuvent enfermer et créer des rapports de domination, on arrive à la notion de consentement. Puis, si on a un peu de temps, je parle IST (infections sexuellement transmissibles), contraception. C’est plus logique dans le déroulé. Il peut y avoir des choses qui émergent des classes : si j’ai des propos homophobes d’entrée de jeu, je vais passer du temps là-dessus. Il y a parfois aussi des questions sur le Sida, mais ce n’est plus l’urgence pour eux, aujourd’hui.

Sur vingt ans, les choses ont bougé, ils ont entendu beaucoup de choses, ils n’ont plus les mêmes questions. L’influence massive des réseaux sociaux, je l’ai vue arriver. Le bon côté, c’est que ça crée des liens avec des communautés, qui permettent de s’identifier et d’échanger, c’est très important pour les minorités de genre, les gamins en questionnement. Mais il y a aussi le harcèlement, le partage non consenti de photos ou vidéos intimes. Et maintenant, les montages avec IA.

Je parle de la relation, je parle du partage des différentes charges, mentale, affective, ou celle de la contraception. Si on rend la relation plus égalitaire et respectueuse, on aura beaucoup moins de souci avec les IST, les grossesses non souhaitées. La question de la relation est à la base de la prévention.

Le fait d’être un homme vous complique-t-il la tâche ?

On en parle pas mal avec mes collègues, il y a très peu d’hommes hétéro-cisgenre qui travaillent sur la vie affective et sexuelle. Finalement, ça me permet de bousculer un peu plus les représentations des garçons, parce qu’on n’est pas là pour leur faire plaisir. Je pense que je peux aller plus loin dans le débat avec eux que mes collègues femmes, ou ouvrir des sujets qu’elles ne peuvent pas forcément aborder. Mais je serai plus limité avec des filles sur des questions de gynécologie.

Dans quel type d’établissement intervenez-vous ?

Ce sont souvent des établissements des quartiers populaires. Mais j’interviens auprès de tous les types de public, jusqu’à l’École alsacienne ou Louis-le-Grand (mais pas à Stanislas…). Je vais très peu dans les établissements privés, c’est pris par des associations spécifiques, ou alors plutôt sur les questions de drogue. Mais je suis partant, j’aime quand il y a un peu de difficulté !

Au fond, les représentations sont les mêmes partout, mais pas exprimées de la même manière. Il y a beaucoup de garçons qui répondent à la commande : ils vont dire que le consentement est important, mais quand on pose la question aux premières concernées, on voit qu’en fait, non.

Globalement, on peut aborder ces sujets partout. Si on respecte leur identité ‒ et la religion en fait partie ‒ on peut parler de tout. En tout cas, je n’ai jamais eu de souci. Ils disent « ça se fait pas de parler de ça », mais ça ne va pas plus loin.

Et… Est-ce que vos interventions portent ?

J’ai parfois l’impression qu’on s’attend à une intervention extérieure magique, mais en deux heures, ça n’est pas possible. Et tous les militants et militantes font le même constat : rien ne change. Quelques garçons sont déconstruits dans certains milieux, mais ce n’est pas le gros de la troupe. On voit les effets de la répétition quand on arrive à avoir les trois animations annuelles prévues par la loi sur tous les niveaux.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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Notes
  1. Le dernier : Pubère la vie. À l’école des genres, Éditions du Détour, 2023.