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Qui veut encore des professeurs, et pour quoi faire ?

Récit d’une première rencontre avec Philippe Meirieu par une étudiante en master MEEF. Ce qu’elle en retient semble de nature à donner envie de s’engager dans l’enseignement, pour peu que le projet collectif pour l’école évolue.

Bénéficier d’une rencontre et d’un échange avec un homme qui représente à lui seul plus de trois-cent-soixante-dix articles ainsi qu’une quarantaine d’ouvrages était une aubaine : je me devais d’y assister. En effet, je ne me suis pas trompée : lors d’une conférence organisée fin septembre 2024 par les Ceméa à Lille, j’ai pu réfléchir et absorber les mots de Philippe Meirieu sur la place des professeurs dans l’école d’aujourd’hui. Je vous en propose une courte synthèse, retraçant chronologiquement la place de l’enseignant, du XVIIIe siècle à nos jours.

Selon Philippe Meirieu, les enseignants d’aujourd’hui sont qualifiés de prolétaires – au sens où, ils sont complètement absorbés par leur métier – mais qu’en était-il auparavant ? Du temps des Lumières, on voyait en l’émancipation quelque chose qui, à la fois nous liait, mais aussi nous mettait en tension car émanciper signifie pouvoir penser par soi-même (sapere aude : « Ose savoir », la devise des Lumières selon Kant) mais aussi, selon Rousseau et Condorcet, « construire un commun pour “faire société” ». Dès lors, l’enseignant occupe une place centrale pour la République et pour la démocratie, afin de construire un bien commun et des élèves capables de penser de façon éclairée.

Des principes

Ce premier point présuppose trois principes à respecter, que Philippe Meirieu a cités et définis de nombreuses fois dans ses ouvrages. En premier lieu, le principe d’éducabilité, qui, rappelons-le, est un pari et non une certitude que tout enseignant se doit de tenir. Attention, prendre le pari que tout être humain soit éducable ne signifie pas que tous les moyens sont bons pour éduquer. Le second principe est celui de la liberté, et le dernier, celui de la solidarité. Notons que par solidarité, nous n’entendons pas une valeur mais un fait, les autres nous sont essentiels pour accéder à la conscience et à la raison.

En 1921, après le congrès de Calais de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle, où des groupes de travail sont constitués pour réfléchir sur les méthodes actives pour « tout faire en ne faisant rien », selon le mot de Rousseau, l’ancien commun explose face à la montée en puissance de l’individualisme et il est alors difficile d’en construire un nouveau.

On observe une rupture civilisationnelle qui entraine trois ébranlements sociaux : le progrès n’est plus la croissance, l’autorité n’est plus le patriarcat et l’universalisme n’est plus l’occidentalisme. On assiste à une montée nette de la puissance réactionnaire, à la suite de quoi la peur domine, soit par le repli, soit par l’implantation d’une société du contrôle, notamment avec l’aide d’internet.

Répression plutôt que compréhension

Ces changements sont aux antipodes des Lumières, qui prônent, entre autres, la tolérance, l’éducation pour tous et des valeurs humanistes, puisque, dès lors, la répression monte en puissance, notamment par le racisme et la violence. Cette même répression s’installe également dans les classes, puisqu’elle parait plus efficace que la compréhension.

Condorcet disait que « c’est la faute qui exclut, la sanction réintègre », mais à cet instant, c’est l’inverse : par la faute on s’intègre, par la sanction on s’exclut.

À partir du XXIe siècle, nous entrons dans une nouvelle perspective, celle de l’éducation efficace. Par efficace, on entend une efficacité mesurée, qui s’observe immédiatement ; entre autres, une obligation de résultats. Notons que celle-ci va à l’encontre du principe de la République qui n’est autre que l’obligation de moyens.

Homogénéisation, classement, concurrence

Alors, s’installent trois mouvements simultanés : l’installation d’une homogénéisation des dispositifs d’évaluation via des QCM, des classements, des sélections de savoir-faire immédiatement observables, le tout de manière quantifiable et donnant lieu à des classements. Une question reste d’ailleurs en suspens : pourquoi les individus seraient mesurables, alors que toutes leurs capacités ne le sont pas ? Cette homogénéisation des dispositifs d’évaluation permet la concurrence et la comparaison : si tout le monde a le même résultat, alors il n’y a pas de « réussite » à leurs yeux.

Ensuite, viennent les enquêtes PISA qui comparent des systèmes diamétralement opposés tels que la Corée et la Finlande, dans le but d’effectuer, là encore, un classement, stimulant la concurrence de façon permanente. Et enfin, l’hégémonie des procédures, soit le fait que certaines normes et procédures prennent de plus en plus d’importance, parfois au détriment d’objectifs pédagogiques et de la relation éducative, dans un souci d’efficacité.

Quelles en sont les conséquences ? Premièrement, d’après Philippe Meirieu, une prolétarisation des éducateurs qui menace le service public. Ensuite, une différence entre un parent citoyen qui accorde peu d’importance aux valeurs de l’enseignant, puisqu’il a une totale confiance en l’institution, et un parent « client » qui pense que l’enseignement est un « service » devant satisfaire ses attentes en tout genre. En effet, en percevant l’enseignement comme un produit, chacun peut alors se permettre d’aller chercher mieux ailleurs, comme le veut la logique de consommation. Or, l’école ne devrait pas se mesurer à la satisfaction des uns et des autres : on bascule de l’institution à la quête d’efficacité et de satisfaction.

Finalement, Philippe Meirieu estime qu’il y a là un service public à reconstruire, qui, selon lui, devrait avoir pour perspective de substituer l’obligation de moyens à l’obligation de résultats.

Des axes pour reconstruire

Ainsi, trois axes sont proposés. Premièrement de donner plus et mieux à ceux qui en ont le moins. En effet, l’aide aux devoirs est quinze fois plus importante en classe préparatoire que dans des collèges défavorisés, la solution pourrait être de proportionner le budget aux besoins des élèves que l’établissement accueille.

Ensuite, faire des personnels des acteurs majeurs et non des « marionnettes », autrement dit : retrouver la liberté pédagogique comme capacité à inventer des moyens plus pertinents face aux difficultés rencontrées. L’acteur doit être auteur. Un acteur est celui qui prend la bonne décision au bon moment, et non quelqu’un qui applique des prescriptions données à l’avance. Ce point met en lumière l’incompatibilité des outils standardisés et des procédures mécaniques face à l’hétérogénéité des élèves.

Enfin, construire une alliance avec les parents citoyens, ce qui signifie qu’il ne faut pas juger les parents comme systématiquement mauvais d’une part, mais aussi coéduquer et limiter – ou, mieux encore, supprimer – la concurrence et la pression que les deux parties entretiennent.

Retrouver le manque

Pour finir, Philippe Meirieu a abordé les notions de manque, plus particulièrement le manque de désir, citant Fernand Oury : « il est important que les élèves modernes retrouvent ce qu’ils ont perdu : le manque ». Il a également pointé les effets néfastes des réseaux sociaux : « croire savoir empêche d’apprendre », dit-il. En effet, les algorithmes des réseaux suscitent un désir particulier, celui de venir combler un appétit en ciblant ce qui nous attire déjà pour nous en donner davantage et, de ce fait, nous réduire à une boucle infernale. De cette manière, ils s’opposent à l’éducation puisqu’ils tendent à enfermer les enfants dans un même désir plutôt que de les ouvrir à de nouveaux horizons.

Pour rappel, en éduquant, on ne cherche pas à combler un vide mais à ouvrir l’esprit, il faut voir l’éducation comme une rencontre et une aventure. Par conséquent l’enseignant émancipateur est celui qui fait des savoirs une énigme pour de nouvelles connaissances, celui qui met les élèves en situation d’enquête. Autrement dit, l’éducateur n’est pas un répétiteur de vérité toute faite.

Par ailleurs, les enseignants sont des êtres précieux, puisqu’ils portent l’avenir de la société et de la démocratie entre leurs mains pour permettre aux élèves de s’ouvrir, tâchons donc de ne pas l’oublier.

Louise Gorczyca
étudiante en master 2 MEEF Premier degré à l’Inspé de Douai

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