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Quelques pistes pour utiliser l’humour en français langue étrangère

Une série de propositions pédagogiques, qui peuvent être utilisées au-delà de l’enseignement du FLE (français langue étrangère).

L’introduction de la composante humoristique dans la séquence d’apprentissage, source de plaisir, permet de susciter l’intérêt et l’engagement des apprenants qui découvrent leur propre potentiel humoristique, leur imagination et leur palette émotionnelle. Le langage est vu dans des situations authentiques et réelles.

Pour évaluer l’apport de l’introduction de l’humour dans des situations d’apprentissage visant l’atteinte des quatre compétences langagières de base (compréhension orale et écrite, production orale et écrite), je vais présenter des exemples issus de ma pratique enseignante.

Je distingue ici les situations où l’initiative était la mienne des situations où l’initiative venait des apprenants. J’ai passé les situations d’apprentissage en revue de manière systématique pour y examiner la présence de critères tels que : l’intention et le caractère volontaire ou imposé de la prise de risque ; le caractère déterminant ou éventuel de l’humour dans le support utilisé ou dans la séquence ; le caractère alarmant ou non de cette composante humoristique, particulièrement selon qu’elle s’exerce au détriment de tous ou de quelques-uns ; le lien entre humour et prise de risque langagière ou émotionnelle.

Mon choix a porté sur quatre séquences : une séquence de compréhension orale à partir d’un sketch humoristique ; une séquence de production orale sous forme d’un exercice d’improvisation ; une séquence de compréhension écrite (liste de blagues) ; une activité de production écrite sur un blog.

Un sketch humoristique

À mon initiative, les apprenants visionnent un sketch humoristique de Gad Elmaleh1. qui porte sur la langue française. Ils sont divisés en quatre groupes : le premier est chargé de relever le champ lexical de l’humour, le deuxième de relever le champ lexical de la langue française, le troisième de relever les idées clés, et le dernier de relever les exemples donnés par l’humoriste. L’activité est envisagée sous forme de collecte d’informations et non sous forme d’un test de compréhension.

Je choisis d’utiliser l’humour de la ressource, au risque de laisser de côté les apprenants dont les compétences linguistiques n’en permettraient pas la compréhension. Afin d’éviter une intervention négative de l’affectif et de permettre l’instauration d’une communauté de confiance dans une situation de ce type, l’apprenant « doit toujours savoir que si sa réponse peut ne pas être acceptée, lui il l’est toujours2 ». Le travail en groupe, notamment, permet d’instaurer une collaboration entre les apprenants.

J’ai également proposé aux apprenants de consulter sur internet une liste de blagues3. ayant comme thématique commune « l’école ». Ils devaient les classer selon la visée humoristique de la blague : détendre et amuser, critiquer/corriger un phénomène, ridiculiser, dénoncer, questionner, etc.

Autre activité, proposée par un apprenant, un exercice d’improvisation pour lequel il s’agit de réaliser une présentation orale de style « stand-up » en partant d’une situation de leur vécu et en amplifiant les actions tout en s’éloignant de la situation réelle. Les apprenants prennent les risques langagiers de la production orale, de surcroit devant leurs pairs, mais également le risque de perdre la face si la sensation anticipée par leur mise en scène ne se produit pas. Le risque de s’éloigner de la zone de confort est ici synonyme de créativité. La prise de risque est également du côté de l’enseignant : avec une thématique libre, le contrôle pédagogique est moindre.

Des cartes pour le 1er avril

Un atelier proposé par un apprenant : « À l’occasion du 1er Avril, les blagues les plus folles sont autorisées. Rédigez une carte à vos proches (un ou une ami(e), un membre de la famille, un voisin, etc.) pour les piéger. » J’ai constaté que l’intégration de la composante humoristique constitue une source importante de motivation et stimule l’imagination et la créativité. Tout au long de l’activité, la classe FLE était un espace d’émulation sain et positif.

Enfin, j’ai proposé des activités imaginées autour de l’humour, du jeu et du rire. Toutes s’effectuent sur une durée de quinze à vingt minutes.

Pour la première, une production orale, la classe, de niveau A2 (intermédiaire usuel), est divisée en deux groupes qui reçoivent des cartes comportant des mots du lexique de la vie quotidienne. Chaque apprenant tire une carte et doit faire deviner le mot à son équipe en utilisant des synonymes. Lorsque le mot est deviné, un autre apprenant choisit immédiatement une carte. La gagnante est l’équipe qui aura deviné le plus de mots dans le temps imparti.

La deuxième activité de production orale est proposée à la même classe. Elle s’appuie sur un jeu de cartes consacré au vocabulaire des émotions. Un apprenant va près du tableau, pioche une carte au hasard et doit faire deviner à ses camarades l’émotion qui apparait sur la carte. Pour cela, il peut mimer, faire des grimaces et des sons, mais ne doit pas parler. Le premier qui répondra correctement viendra à son tour choisir une carte. Les élèves sont certes amusés de voir leurs camarades faire le clown, mais ce jeu permet également d’associer communication verbale et non verbale en travaillant écoute et interactions.

Des albums d’Hergé

Le troisième jeu, toujours proposé à la même classe, associe compréhension de l’écrit et production orale. Il s’agit, en groupe classe ou en binôme, de trouver, dans l’album d’Hergé On a marché sur la Lune, un maximum de phrases comportant un trait humoristique. L’activité poursuit le double objectif de familiarisation avec la bande dessinée francophone et de repérage de traits d’humour. Après une brève présentation de la bande dessinée, l’enseignant distribue des planches qui en sont extraites. Les apprenants devront dans un premier temps lire la bande dessinée puis retrouver toutes les phrases qui, selon eux, sont humoristiques et en expliquer la raison. L’enseignant pourra être sollicité en cas de doute sur le lexique. Une mise en commun et une réflexion seront prévus pour clôturer l’activité.

La quatrième activité est, quant à elle, proposée à une classe de niveau A2/B1 (le niveau B1 est le niveau seuil, celui des utilisateurs indépendants). Associant production orale et écrite, elle s’appuie sur Les 7 boules de cristal d’Hergé. Le contenu des bulles a été effacé. Après lecture et explication de la bande dessinée, les binômes d’élèves doivent les reconstruire en rédigeant un dialogue cohérent avec les images. Cela implique de comprendre l’usage des onomatopées et des interjections. Une fois les dialogues rédigés, les apprenants passeront au tableau pour jouer les scénettes devant leurs camarades.

Effets sur le climat de classe

L’approche actionnelle et le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) placent l’apprenant au centre de son apprentissage. Le professeur accompagne l’apprenant, le guide et le conseille. Pour permettre ce rôle d’accompagnateur, le climat dans la classe doit être décontracté, distrayant et paisible, pour cela l’humour est ce qu’il y a de mieux.

Bien intégré, l’humour occupe une place primordiale, tant dans les relations humaines que dans les supports des activités. Il instaure une bonne entente dans la classe, motive les apprenants ; il joue également un rôle dans les processus cognitifs et enrichit les échanges culturels. Faisant partie de la culture francophone, c’est un point à appréhender pour l’apprenant. Une des compétences qu’il doit assimiler est la conscience interculturelle. Un Français, par exemple, ne présentera pas l’humour comme un Belge, un Québécois ou un Martiniquais.

Avec l’humour, je véhicule un contenu pédagogique et je crée un climat où la capacité des apprenants à comprendre l’humour et à en faire preuve est considérée. L’humour et l’ouverture d’esprit qu’il engage sont conditionnés par la maitrise de l’enseignant qui aura su établir un climat propice à l’instauration d’une connivence culturelle. Cet univers est perçu dès lors comme le lieu d’expériences communes où les erreurs font partie intégrante de l’accord pédagogique qui devient ainsi un contrat de confiance avec des apprenants-citoyens. L’anxiété et le stress sont réduits et les apprenants sont encouragés à prendre plus de risques dans l’utilisation de leur langue seconde.

Salma Beddaou
Enseignante-chercheuse à la Faculté des sciences de Tétouan, membre de l’équipe de recherche ERISI-ENSA Tétouan, au Maroc

Sur notre librairie :

N° 582, L’humour à l’école
Coordonné par Aurélie Privé et Dominique Seghetchian

Dans un système scolaire construit sur la leçon, la concentration et l’écoute, l’exercice et le travail répétitif, vouloir introduire l’humour peut paraitre provocateur. Pourtant, on peut lui accorder une place dans les apprentissages. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est l’humour et savoir faire avec la dimension fortement culturelle (et interculturelle) de l’humour, y compris dans ses aspects générationnels. Comment apprendre l’humour et avec lui, et quels sont ses effets ?


Notes
  1. https://www.youtube.com/watch?v=_InSTvoToog.
  2. Jane Arnold, « Comment les facteurs affectifs influencent-ils l’apprentissage d’une langue étrangère ? Études de linguistique appliquée », Éla. Études de linguistique appliquée, 2006/4, n° 144, p. 414.
  3. https://www.blagues-en-stock.org/blagues-ecole.html.