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Quelle école maternelle ?

Maëliss Rousseau et Jacques Crinon

L’accord est unanime, chez les enseignants comme chez les décideurs, pour considérer l’école maternelle comme une école « de plein exercice », selon les termes des programmes de 2002, c’est-à-dire comme un lieu voué aux apprentissages. L’idée prévaut aussi très largement qu’elle doit contribuer à réduire les inégalités scolaires, en offrant très tôt la possibilité d’apprendre à tous les enfants1.

Ces convictions ont peu à peu tiré l’école maternelle vers une préparation directe à l’acquisition des savoirs rois de l’école élémentaire : lire, écrire et compter. Effectivement, on constate un progrès dans les compétences des élèves dans ces domaines à l’entrée au cours préparatoire2. Mais cette réussite est inégalement partagée, et l’école maternelle française reste, comme le montrent les évaluations internationales, une de celles qui produisent les plus grands écarts de réussite entre élèves selon leur origine sociale.

De fait, bien des aspects des pratiques courantes aujourd’hui peuvent être mis en cause : les supports (généralisation des fiches), les modes de travail privilégiant l’attention des élèves aux consignes données par l’enseignant et négligeant le potentiel du jeu ou de la pédagogie de projet, les types d’organisation figés (ateliers, rituels du matin), l’inflation d’évaluations précoces, centrées sur la performance, et qui mettent déjà en difficulté une partie des jeunes élèves.

Se pose aussi la question de la nature des apprentissages que nous visons. Accompagner les apprentissages et le développement de l’enfant demande de prendre celui-ci dans sa globalité, sans négliger son développement moteur, la construction du temps, l’exploration de l’espace, le plaisir d’écouter des histoires ou des poèmes, etc. Et sans oublier d’encourager sa socialisation et son autonomie. Le repli sur le lire-écrire-compter est à l’opposé de l’idéal émancipateur républicain incarné par la figure de Jules Ferry. Comme l’a montré Claude Lelièvre3, cet idéal est celui d’une éducation ouverte aux éléments de nombreux savoirs permettant de comprendre le monde et de fonder une culture commune.

En abordant ces différents aspects, ce dossier cherche à dessiner l’école maternelle que nous voulons, pour faire une réalité de la promesse de démocratisation si souvent répétée : une école maternelle de la réussite, stimulant tous les enfants à développer leurs capacités, à la fois une école sur mesure pour les jeunes enfants et une école vectrice d’apprentissages sociaux et cognitifs, qui développe au maximum le potentiel de chacun.

Maëliss Rousseau
Professeure des écoles en maternelle et formatrice à Asnières-sur-Seine
Jacques Crinon
Professeur honoraire en sciences de l’éducation, université Paris-Est Créteil

 

Notes
  1. Voir notamment Pascale Garnier et Gilles Brougère, « Des tout-petits “peu performants” en maternelle. Ambition et misère d’une scolarisation précoce », Revue française des affaires sociales, année 2017, n° 2, p. 83-102.
  2. Voir : Marion Le Cam, Thierry Rocher et Irène Verlet, « Forte augmentation du niveau des acquis des élèves à l’entrée au CP entre 1997 et 2011 », Note d’information n° 13-19, DEPP, septembre 2013. https://bit.ly/3QL7eHk.
  3. Voir par exemple : « Un “modèle républicain” des savoirs scolaires ? », Carnets rouges n° 25, mai 2022, p. 4-6.
    https://carnetsrouges.fr/numeros/numero25/.