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« Il ne faut pas opposer bienêtre et apprentissages »

Couverture du n° 575 des Cahiers pédagogiques

Drôle d’idée de publier un dossier sur le bienêtre dans la période que nous vivons ? Peut-être pas, car cela permet de réfléchir à des enjeux importants pour le système éducatif. Le bienêtre à l’école, celui des élèves, est-ce un objectif en soi ou un outil pour apprendre ? Est-ce une affaire de techniques (méditation respiration, etc.) ou de posture ? Le bienêtre des élèves peut-il s’accommoder du malêtre des enseignants ? Entretien avec les coordinatrices de notre dossier.
On parle plutôt du malêtre des élèves et des enseignants à l’école, en ce moment, est-ce que ce dossier n’est pas à contretemps ?

Maëliss Rouseau : Bienêtre et malêtre sont bien sûr deux thématiques indissociables. Traiter du bienêtre, c’est aussi chercher les leviers qui permettent de sortir du malêtre. Et comme, aux Cahiers pédagogiques, nous préférons toujours laisser plus de place à la recherche de solutions qu’à la déploration, il était logique pour nous de réunir des réflexions et témoignages qui transforment l’aspiration au bienêtre en recherche pédagogique. Compétition scolaire, pression à l’orientation, manque de moyens humains, de formation des personnels, etc. De nombreux articles du dossier font une analyse des sources conjoncturelles du malêtre à école, d’autres évoquent des causes plus fondamentalement liées à l’institution et à ses missions. Car apprendre peut être déstabilisant et demander des efforts, et la socialisation scolaire nécessite de trouver sa place dans le groupe, faire avec les conflits, muscler sa résilience.

Andreea Capitanescu Benetti : Les instructions officielles, les textes déontologiques préconisent la recherche de bienêtre des élèves, le respect de leur personnalité, la stimulation du désir d’apprendre. Et c’est vrai qu’on en parle beaucoup, du bienêtre, mais comme le dit Mireille Cifali, « les effets bénéfiques ne viennent pas du mot prononcé ». Pour autant, certains professionnels de l’école sentent bien qu’il faut s’inquiéter du bienêtre des élèves dans les établissements et environnements scolaires, afin que ces derniers apprennent mieux et surtout qu’ils ne décrochent pas ! D’autant que les sociologues intervenant dans ce numéro nous rappellent bien que le malêtre se loge dans les contextes les plus ségrégués, les plus discriminés, les plus défavorisés.

Avec ce dossier, nous souhaitons montrer que c’est bien la relation éducative, dans l’école et par l’école, qu’il s’agit de revisiter. L’école n’est pas seulement un bâtiment mais un environnement qui peut permettre d’accueillir, de faire place à chacun, d’offrir de l’hospitalité. Il y a une aspiration forte à une école qui mette en place des conditions plus hospitalières pour tous les élèves. Les élèves sont dans l’obligation de venir à l’école, où des liens avec d’autres se tissent, des liens éducatifs singulièrement humains, qui sont aussi remplis de toutes les émotions qui peuvent traverser une vie. À l’école, le quotidien des longues journées (voir le texte de Kim Szczot) peut se vivre comme une valse des émotions, autant pour les adultes que pour les élèves.

Quels sont les enjeux que vous avez identifiés autour du bienêtre à l’école ?

A. C. B. : Comme le dit avec force Yves Reuter, il ne faut pas opposer bienêtre et apprentissages. Et il faut aussi éviter les dérives lorsqu’on prend le bienêtre comme but principal en se déconnectant des missions de l’école. En définitive, ce sont les lois, les règles qui protègent les élèves, qui apportent plus de justice dans leur quotidien scolaire. Les auteurs mettent beaucoup en exergue le collectif et sa construction à l’école, comme lieu du bien commun.

Ainsi, le dossier nous rappelle que faire classe, ce n’est pas appliquer des techniques mais créer un environnement riche d’échange et de partage, de confiance dans les autres pour apprendre. Les techniques sont variées, les auteurs de ce dossier en font trace, mais ce que l’on observe, c’est que le lien éducatif et le lien entre les élèves se renforcent par plus de réciprocité, plus de confiance et plus d’empathie.

M. R. : Certains articles présentent des pratiques dont l’enjeu presque unique est le bienêtre, des propositions d’activités pour les heures de vie de classe, des activités ritualisées pour le début d’un cours, etc. D’autres questionnent ces pratiques qui sont presque « inscrites à l’emploi du temps » et nous disent que le bienêtre, c’est tout le temps (voir par exemple les articles de Catherine Hurtig-Delattre ou Jean-Michel Zakhartchouk) : c’est le plaisir d’apprendre, les projets qui permettent de se dépasser et de donner du sens, les relations de respect (Jean-Pierre Garel) et même d’amitié (Sylvain Connac) qui se nouent et donnent confiance en soi.

Est-il question uniquement du bienêtre des élèves dans le dossier ?

A. C. B. : Du côté des enseignants, les recherches ont déjà amplement mis en évidence le stress préoccupant des enseignants, le malaise, le désengagement, au point de quitter le métier. De fait, les enseignants cherchent parfois des conditions meilleures pour eux-mêmes afin que les élèves apprennent mieux. Dans le dossier, on parle de cet effet de synchronisation entre l’état intérieur de l’enseignant et celui de l’élève. C’est un peu comme un kit qui tient ensemble, le fait de former à la bienveillance en formant avec bienveillance.

Comment s’est passée l’élaboration de ce dossier de votre côté ?

A. C. B. : Ce qui nous a semblé difficile c’est de trouver un équilibre entre les articles pour montrer que c’est la relation pédagogique qui permet la sécurisation des apprentissages et que le bienêtre est moins une affaire de techniques que de posture professionnelle. Les moments d’apprentissage peuvent être déstabilisants pour les élèves, des moments de peur, d’angoisse, de doute de soi. Accueillir, étayer, ouvrir le dialogue avec l’élève, mais aussi observer, changer d’outillage didactique parce que ça coince, privilégier les solutions d’équipe, etc. Ce doit être tout cela le souci éthique de l’enseignant et c’est ce qui lui permet, selon nous, de construire une école dans laquelle il fait bon apprendre.

Propos recueillis par Cécile Blanchard