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Priorité aux « petits lecteurs » en CP-CE1

En fin d’année scolaire et comme chaque année depuis sept ans1, l’équipe enseignante de l’école de la rue Rouelle, à Paris, décide de mettre en place un dispositif de repérage d’élèves « petits lecteurs ». Afin d’organiser une intervention dès la rentrée en CE1, le savoir-lire des élèves de CP est évalué en juin à partir du test Léa (Voir encadré).
Cette évaluation présente l’avantage d’être partagée par toute l’équipe de l’école et permet d’établir un état des lieux objectivé du niveau en lecture de tous les élèves de cours préparatoire. Elle est sommative, puisqu’elle se positionne en fin de CP. Elle est diagnostique dans la mesure où elle permet d’identifier un composant du savoir-lire qui ne serait pas encore suffisamment maitrisé. Elle est aussi formative : du temps supplémentaire (un trimestre, avec une intervention quotidienne) sera alloué aux élèves en ayant le plus besoin. Le terme consensuel d’évaluation soutien d’apprentissages2 peut donc la caractériser.
Cette évaluation s’intéresse à la fluence – en réalité, le nombre de mots lus correctement (MLC) indépendamment du temps nécessaire pour les lire – et le temps mis pour lire le texte, ramené à une minute (MLCM). Elle vise également l’appréciation de la compréhension, qui est quantifiée au moyen des bonnes réponses et des justifications aux réponses fournies.
Les scores permettent de distinguer quatre groupes d’élèves selon les seuils utilisés (définis localement et donc non standardisés, mais valables pour la population d’élèves évalués) : les élèves au-delà des seuils et les « petits lecteurs ». Ces derniers sont les élèves dont le score en fluence est en deçà du seuil fluence (« petits décodeurs »), et ceux dont le score en compréhension est en deçà du seuil compréhension (petits « compreneurs »).
En fin de CP, onze élèves ont été identifiés avec des scores en deçà des seuils en compréhension (score < 50 %) ou en fluence (score < 35 MLCM3 et dont le MLC est inférieur à 96 % des mots du texte, les plaçant dans une situation de « frustration » ou « d’apprentissage » vis-à-vis de ce texte4).
Ces élèves lisent cinquante-sept des soixante-quinze mots du texte (environ 75 %) : difficile dans ces conditions de comprendre le texte ! De surcroit, ils lisent lentement : 29 MLCM, loin des cinquante exigés. Leur compréhension est faible, de l’ordre de 50 % : soit ils ne parviennent pas à répondre aux questions (orales) posées sur le texte, soit ils ne parviennent pas à justifier correctement leurs réponses. Certains sont très éloignés des seuils (Dj, par exemple).
Il est décidé collégialement d’intervenir auprès d’eux en priorité au moyen d’une prise en charge quotidienne pendant trente minutes sur différents créneaux de la journée, et ce, durant une période de neuf semaines, du mois de septembre au mois de décembre de leur CE1.
Un programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) est construit à leur endroit. Cinq enseignantes de différents niveaux se portent volontaires pour se mobiliser. L’enseignante spécialisée à dominante pédagogique du Rased également. Elle accompagne les plus en difficulté trois fois par semaine. Cette aide supplémentaire a permis de dédoubler les groupes pour une prise en charge des élèves « petits lecteurs » en groupe de dix à quatre élèves.
Au total, trente-sept séances leur seront consacrées pendant neuf semaines.
Dès le début de la mise en place du dispositif, nous avons observé que les élèves étaient très engagés dans ce travail régulier. Ils appréciaient tous ce moment privilégié. Cela s’est manifesté rapidement par de grands progrès chez de nombreux élèves et une participation orale très active.
« J’ai aimé lire et apprendre à lire. Ça m’a beaucoup aidée », nous a confié Ai.
L’objectif général de la séquence d’intervention était la révision (apprentissage) de tous les composants du code, afin de permettre à tous les élèves d’automatiser ces habiletés.
Nous nous sommes appuyés sur l’outil « Décodage & encodage » de la Cigale, qui propose des séances progressives, s’appuyant sur des activités simples et répétitives de lecture de phrases, de textes et de dictées. Les séances, ritualisées, s’articulent chaque jour selon la même démarche : l’identification du son et sa graphie (temps 1), la lecture collective et individuelle de syllabes, de mots et de phrases (temps 2) et l’écriture des syllabes et des mots étudiés (temps 3).
Une caisse de matériel mutualisée est accessible en permanence dans la salle des maitres. Elle contient les résultats des élèves aux évaluations, un cahier par élève, les supports de référence (étiquettes, traces écrites, affichages), un cahier de suivi des séances, un guide du maitre.
À la fin de la séquence, nous mesurons l’effet de notre intervention en évaluant de nouveau les compétences de ces élèves à partir du même test.
Nous observons5 qu’en moyenne :
- le nombre de mots lus correctement évolue très positivement. Tous les élèves ont progressé, et neuf des onze élèves sont désormais dans une zone dite d’autonomie face au texte : ils lisent au moins 96 % des mots du texte. Deux élèves sont toujours en deçà de cette zone. Pour l’un d’eux, Dj, le MLCM passe de 2 à 13, ce qui reste assez loin du seuil fin de CP des programmes, mais traduit une progression. Surtout, il parvient désormais à lire cinquante-six des soixante-quinze mots du texte, contre dix auparavant : des résultats fortement encourageants ;
- la précision de lecture chronométrée évolue positivement elle aussi : 165 %. Elle est presque au seuil attendu en fin de CP (sur un texte inconnu). Restons prudents en n’interprétant pas trop vite, en pensant « qu’ils ont rattrapé leur retard ». D’une part, parce que, par opposition, l’avance des autres doit se poursuivre, voire s’accroitre. D’autre part, parce que sans intervention, ils auraient peut-être comblé tout ou partie de ce retard ;
- sans travail particulier cette année sur la compréhension (qui fait elle aussi l’objet d’ateliers dédiés), une évolution moyenne de 130 % de la qualité de la compréhension est constatée. Il est assez évident qu’avec soixante-dix des soixante-quinze mots du texte désormais reconnus, la compréhension s’établit sur un socle plus large.
Les élèves ont progressé, c’est indéniable. Ce travail leur a permis de gagner en autonomie dans tous les domaines scolaires.
Pour la majorité des élèves, la solution pédagogique adoptée a porté ses fruits. Mais pour certains, les difficultés demeurent. Ils continueront donc à être accompagnés par l’enseignante spécialisée à dominante pédagogique pour un travail plus spécifique autour de la métacognition, du détour pédagogique et de la mise en place d’adaptations et d’aménagements nécessaires. « J’ai aimé lire pour grandir et pour bien travailler », confiera Dj.
Au sein de l’équipe, une culture de la priorité s’est installée. Dès la rentrée, et depuis huit ans, un conseil des maitres rassemblant tous les niveaux est dédié à l’intervention auprès des « petits lecteurs ». Les résultats de juin sont présentés, et chacun se positionne pour prendre part au projet.
Les sollicitations de l’enseignante spécialisée se font beaucoup plus précises, et son emploi du temps est construit sur la base de cette prise en charge objectivée.
L’équipe ressort bénéficiaire de cette action coopérative et poursuit l’année en utilisant un dispositif analogue pour les élèves les plus fragiles de CM2 au second trimestre. Ces derniers sont scindés en deux groupes : un groupe visant à assurer une lecture fluente, un groupe visant à soutenir la compréhension.
À lire également sur notre site
Une série de quatre article de Roland Goigoux sur la fluence :
Lecture : un engouement pour la fluence (épisode 1)
Qu’est-ce que l’Éducation nationale appelle fluence ? (épisode 2)
Les ateliers d’entrainement à la fluence (épisode 3)
Est-ce que les ateliers de fluence sont efficaces ? (épisode 4)
Lecture : et si on s’intéressait aux pratiques réelles ?, par Jean-Michel Zakhartchouk
La réussite pour tous en CP : oui, mais comment ?, par Claude Seibel
Sur notre librairie
Notes- Caroline van Acker-Michel, Christophe Neveu, Émilie Gorriz, Olinka Pavlovic, Fabienne Gélabert, Anne-Marlène Théviot, Sybille Granier, Christophe Blanc, « Décloisonner » Cahiers pédagogiques n° 543, « Enseigner par cycles », février 2018, p. 38-39.
- Voir les notes des experts de la conférence de consensus du Cnesco « L’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves », Cnesco-Cnam, 2023 : https://www.cnesco.fr/fr/evaluation-en-classe/paroles-dexperts/.
- Les programmes précédents fixent un seuil MLCM en fin de CP à 50. Les nouveaux indiquent 30 si le texte est inconnu, 50 si le texte est connu.
- Cette appréciation renvoie aux travaux de Giasson, qui estime qu’au-dessus de 96 % de mots du texte identifiés, les élèves sont dans une situation d’autonomie, et qu’à l’inverse, en dessous de 90 % des mots du texte identifiés, ils sont dans une zone de frustration. L’intervalle correspond à une zone dite d’apprentissage.
- Ce travail n’est pas un travail de recherche. Il faut donc observer les résultats avec prudence : nous ne savons pas si et comment ces élèves auraient pu accroitre leurs compétences dans l’intervalle. D’autre part, les moyennes écrasent les individus. Nous soulignons simplement des tendances et constatons qu’à cette petite échelle, elles sont favorables.