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Pour une discipline intelligente

Dans un établissement scolaire, nombre de conflits entre adultes portent sur la discipline courante, et sur la répression (ou non) des transgressions. Mais comment arriver à un consensus sur ce point quand la réflexion en reste à la pensée magique pour l’immense majorité ?
La première forme de cette pensée magique est une pensée aveugle : minimiser le problème, croire qu’en l’évitant il s’apaisera. C’est un leurre : toute non-réponse est une réponse et augmentera les difficultés.
La deuxième forme est pareillement inefficace : penser qu’il suffit de punir pour que là encore tout s’apaise. Il y a là un désir de vengeance archaïque et une naïveté quasi religieuse : la croyance que la punition lave l’âme du coupable contrit. L’inflation punitive a pourtant des conséquences bien étudiées : la perte d’estime de soi qui peut se compenser psychiquement par l’augmentation du ressentiment et des violences antiscolaires, par la désaffiliation et le retrait, par le désir de vengeance. Le sentiment d’appartenance à son école, premier lien de l’appartenance à la communauté plus large de la République, en est la première victime. La répétition dans la punition est construction d’une identité déviante, particulièrement chez les garçons, cela a été bien étudié. En bref : « Plus je suis puni, plus je suis un mec. Plus j’en ai. »
Dans le monde de l’école et dans notre société dominent cette pensée magique et ces conceptions naturalisantes parallèles à celles de l’autorité « naturelle ». L’autorité de l’enseignant dépend d’une expertise reconnue – et le « savoir » en est évidemment une marque d’importance –, d’une reconnaissance publique et institutionnelle et d’une assertivité individuelle et collective : elle se construit, en équipe, mais pas en une heure de conférence. Des solutions existent pourtant, dans le droit comme dans la pédagogie : justice réparatrice, peines alternatives, cercles restauratifs, mais aussi et peut-être surtout des façons préventives d’éviter l’enfermement dans le vieux cycle transgression-répression-dépression.
Sans prôner un seul modèle, ces solutions se rejoignent : discipline coopérative, discipline positive, médiation par les pairs et médiation sociale, communication positive… Bref, des méthodes non pas baba-cools ou bobos mais concrètes, bienveillantes et fermes. Il y a certes des textes plutôt bien faits à l’Éducation nationale, mais parle-t-on simplement de cette pratique banale qu’est la sanction dans la formation des enseignants ? Le blocage est là encore idéologique, mais ankylosé par des rhumatismes disciplinaires et des concurrences de statuts et de fonctions : tant que le travail du maintien de l’ordre, de l’éducation et du vivre en commun sera considéré comme un « sale boulot », nous n’avancerons pas.
Redisons-le, les ci-devant « pédagogues » n’ont jamais été des ennemis du savoir, contrairement à l’antienne monodique de la liturgie néoconservatrice, liturgie ouvertement liée à l’extrême droite chez certains des maîtres à chanter du chœur des pleureurs attitrés. Il est bien évident que les enseignants eux-mêmes ne transforment pas leurs classes en vaste foutoir et que le ridicule tue quand une ancienne ministre qui se positionne sur l’éducation, Rama Yade, va jusqu’à proférer que les réformes éducatives proposées par le gouvernement socialiste sont « le retour de Woodstock », c’est-à-dire d’une « idéologie post-soixante-huitarde qui consiste à donner tous les pouvoirs aux élèves, à dire que l’enfant est roi, à estimer qu’il ne faut pas lui demander d’efforts, que le mérite ne compte pas… ».
À un tel « niveau hallucinatoire », comme l’écrit le journaliste Luc Cédelle, qui suit depuis longtemps cette mouvance idéologique, on se demandera ce qu’est ce « retour » impliquant que l’Éducation nationale aurait donc connu Woodstock, peace & love à tous les étages, pendant assez longtemps on l’imagine, vu l’ancienneté de la référence. Il y a de quoi pleurer… de rire devant de telles énormités, méprisantes pour les enseignants. Mais comme le rappelle encore Luc Cédelle, le drame est que quand ces propos sont tenus, eh bien, non, personne n’est plié de rire : « C’est cela la force de la bataille idéologique et médiatique : banaliser des énormités jusqu’à leur conférer une respectabilité qui coupe court au scandale comme à la moquerie. »
Directeur de l’Observatoire national de la violence à l’école
Vient de publier Ne tirez pas sur l’école (recension prochainement dans les Cahiers)
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