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Quelle autorité à l’école ?

L’idée d’un rétablissement de l’autorité réapparait régulièrement dans le débat public, dans les propos des responsables politiques toute tendance confondue ! Quelle conception de l’autorité des maitres sous-tend-elle ? Qu’oublie-t-elle de prendre en compte et de dire ? En quoi véhicule-t-elle une vision simpliste et mythique de l’autorité, à l’opposé des évolutions sociétales et de l’état actuel des connaissances en sciences humaines ?
« Il n’y a plus d’autorité des maitres, il faut la rétablir. »

Parler de rétablissement de l’autorité suppose d’abord qu’il aurait existé un âge d’or de l’autorité à l’école, une période où l’autorité du maitre se serait imposée naturellement, sans discussion ni besoin d’être expliquée. Cette période serait celle des débuts de l’école de la République, où le statut d’un maitre détenteur et transmetteur exclusif du savoir suffisait à lui donner une autorité reconnue par des élèves conformes à ses attentes.

Si cette autorité a pu fonctionner avec les meilleurs, qu’en était-il pour tous les autres ? À cette époque, l’école ne scolarisait pas la quasi totalité des élèves d’une classe d’âge jusqu’à 16 ans et une bonne partie d’entre eux jusqu’à 18 ans, comme c’est le cas aujourd’hui, standard de tout pays développé oblige ! Veut-on, comme autrefois, exclure précocement de l’école les élèves qui échouent et ne garder que ceux qui réussissent ? Aux responsables politiques qui osent le proposer, l’on rétorque à juste titre la forte corrélation entre l’origine sociale et la réussite scolaire, la nécessité que l’école française démocratise la réussite scolaire. Or sur cette question, les tensions sont fortes entre catégories sociales.

« Il ne s’agit pas tant d’entreprendre une restauration impossible que de chercher à savoir quelles formes d’autorité pourraient convenir à des individus, adolescents ou adultes, épris de liberté et peu soucieux de rétrograder vers des formes archaïques d’exercice du pouvoir. »
Luc Ferry, Lettre à tous ceux qui aiment l’école, Odile Jacob-Scérén-CNDP, 2003, p. 51.

 

Rétablir l’autorité des maitres, c’est aussi considérer qu’elle se fonde exclusivement et a priori sur le savoir qu’il possède, comme si détenir des savoirs suffisait à les faire acquérir à des élèves. Or, le rapport social au savoir a énormément évolué. S’il occupe toujours une place déterminante, la légitimité de ses énoncés est interrogée de toutes parts. Trop souvent aujourd’hui, le savoir n’intéresse que s’il a une utilité sociale immédiate, alors qu’il est d’abord constitutif de l’édification et de l’émancipation de femmes et d’hommes, qui s’inscrivent ainsi dans des cultures qui les ont précédées. Les savoirs ne peuvent donc plus s’enseigner comme des croyances, pas plus qu’ils ne sont des opinions.

Travailler avec les élèves sur les origines et la validité des savoirs, leur apprendre à identifier systématiquement leurs sources sont incontournables. De plus avec la « révolution numérique », l’école n’a plus l’exclusivité de la transmission des savoirs, le professeur n’a plus le monopole du savoir fiable, la plupart des élèves pouvant accéder à des savoirs plus vérifiables et diversifiés. Et parce que le simple usage des technologies numériques ne garantit nullement qu’il y ait apprentissage et acquisition de savoirs, qu’on le veuille ou non, le métier de professeur est en mutation. Son autorité passe désormais aussi par sa capacité à créer des conditions didactiques et pédagogiques pour que les élèves soient en activité d’apprentissage sur des objets de savoir, non plus soumis à un savoir qui ferait autorité du seul fait que le professeur l’énonce.

L’autorité n’est pas la soumission

Demander le rétablissement de l’autorité, c’est encore laisser planer un non-dit : l’autorité pourrait s’exercer par la force. Or, toutes les définitions de référence – dont celle d’Arendt toujours citée – disent très clairement que l’autorité est une influence qui, contrairement au pouvoir, s’exerce sans recours possible à la force. Ceux qui prônent le rétablissement de l’autorité la confondent donc avec la soumission par la force, laquelle, il est vrai, a été en usage dans l’école de la République. Les plus anciens se souviennent que l’instituteur qui donnait une claque à un élève recevait le soutien des parents, qui souvent corrigeaient à leur tour l’enfant à la maison.

Les temps ont changé et heureusement. Les normes sociales ont donc évolué et il est peu probable que l’on revienne en arrière. Certes, des enquêtes ont observé la montée d’une demande d’autorité chez les jeunes générations (bien que moindre que chez les plus âgés, d’ailleurs !), mais celle-ci est contradictoire : chacun souhaite un renforcement de l’exercice de l’autorité sur les autres et davantage de liberté pour soi-même.

L’autorité doit donc s’exercer autrement et la réponse par le rétablissement d’une autorité naturelle ou charismatique est non seulement mythique, mais inefficace. En faisant reposer l’autorité du professeur exclusivement sur des dons innés, des qualités personnelles hors du commun, des savoirs détenus, elle laisse l’enseignant démuni et la question « comment faire ? » est occultée. Or, des travaux de sciences de l’éducation s’appuyant sur les pratiques des enseignants ont étudié comment ils s’y prenaient pour exercer l’autorité autrement. Ils ont aussi montré comment l’autorité pouvait s’apprendre et s’acquérir. Dire qu’il n’y a plus d’autorité des maîtres, c’est laisser penser que toutes les façons d’exercer l’autorité seraient contestées par les usagers de l’école, alors que ce sont seulement certaines conceptions de l’autorité – l’autoritarisme et le laisser faire – qui le sont. Des conceptions qui ont fait leur temps !

Bruno Robbes
Maître de conférences en Sciences de l’éducation,
université de Cergy-Pontoise – ESPÉ de Versailles

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