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Non à l’éternel retour
La création du quinquennat a été, plus que dans bien d’autres secteurs, une épreuve difficile pour le système éducatif, exposant une institution qui, par sa mission même, travaille sur la longue durée, à des changements continuels et précipités. On nous a ainsi habitués à voir les réformes du nouveau ministre chasser les précédentes qui venaient à peine d’entrer en vigueur, et sans qu’aucune évaluation du précédent dispositif ait pu être mise en place. Cette façon de conduire la politique éducative discrédite toute idée de réforme et empêche le débat et l’adhésion chez nombre d’enseignants.
Au moment où le changement de gouvernement expose une nouvelle fois l’école à une salve de remises en question, mettons en garde contre la tentation des retouches plus ou moins fortes qui défigurent, découragent, esquivent l’essentiel et renforcent le camp des éternels sceptiques. On se prend alors à rêver à des dispositions législatives qui permettraient au système éducatif de vivre sa temporalité propre et au débat public de s’appuyer davantage sur la rigueur scientifique que sur des thématiques électorales.
Prendre de la hauteur pour élever le niveau
La campagne électorale qui vient de s’achever n’a guère évoqué les problèmes éducatifs ; tout a tourné sur ce qu’il fallait détruire ou conserver des réformes précédentes, sans prendre la hauteur nécessaire sur la place que doivent occuper l’éducation, la qualification et la formation initiale et continue dans un pays comme le nôtre. Il est frappant par exemple de constater que peu de leaders politiques mettent en relation le chômage de masse dont nous souffrons et la faiblesse des qualifications des générations qui forment le gros bataillon des chômeurs de longue durée et qui ont formé le gros bataillon de l’échec scolaire. L’éternel discours sur le retour des « fondamentaux » cache bien souvent le renoncement à élever le niveau général des études pour tous.
Nul ne s’émeut non plus du fait que la formation tout au long de la vie fonctionne assez bien avec les diplômés du supérieur mais reste très faible pour les millions de salariés sans diplômes ou avec des qualifications trop faibles. Le débat politique sur l’éducation s’enlise dans les marécages idéologiques de l’identité nationale, de la suppression de l’enseignement des langues et cultures d’origines, ou dans une défense disproportionnée des langues anciennes comme s’il s’agissait du cœur de la culture commune, ou dans le retour de formes d’autorité désuètes qu’ont pourtant toujours contestées les grands penseurs de l’éducation. Mais peu de forces politiques remettent à l’ordre du jour une école plus exigeante et garantissant la réussite de tous plutôt qu’une école dont la mission première consiste surtout à trier les élèves et à évincer ceux qui sont les plus éloignés de la culture scolaire.
Abrogation ou détricotage
Les ministres successifs abrogent rarement la réforme précédente mais ils trouvent toujours les leviers qui finissent par les rendre inopérantes ou qui en changent le sens, en limitent ou en déforment la portée. Nous savons d’expérience que tout se cache dans les détails. Rappelons quelques exemples : il a suffi de supprimer les TPE en terminale pour rendre cette forme de travail assez marginale dans les lycées alors qu’elle devait initier à de nouvelles formes de travail et préparer les élèves aux méthodes de l’enseignement supérieur ; la valse des étiquettes qui a transformé le « soutien » en « études dirigées », puis en « aide au travail personnel » puis en « aide individualisée ou personnalisée », puis en « accompagnement », a opacifié toujours plus le sens et l’organisation de ces prescriptions destinées aux élèves en difficulté, sans que jamais le dispositif précédent n’ait été soutenu et sérieusement observé sur une longue durée.
On laisse déjà entendre qu’on va laisser le choix aux communes de revenir sur la réforme des rythmes scolaires, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, entraînant le retour à une semaine de quatre jours légitimement critiquée. On envisage de supprimer le dispositif « plus de maîtres que de classe » dans les écoles REP sans en évaluer les résultats et l’intérêt. De la même façon, il suffira de laisser les collèges choisir entre les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) qui s’adressent à tous et le renforcement d’enseignements qui ne s’adressent qu’à quelques uns, choisis moins pour l’amour du savoir que pour constituer des classes d’élèves issus de milieu favorisé, pour décourager toute forme de pédagogie de projet et d’interdisciplinarité.
Ne pas décourager les enseignants
Il serait plus utile d’observer les réussites et les difficultés, de travailler sur les moyens et les objectifs de tels travaux et sur leur meilleure coordination avec les programmes que de renvoyer au terrain le soin de les minorer, de les marginaliser ou de les faire peut-être disparaître.
Certes, il y aurait beaucoup à dire sur la mise en place en fin de quinquennat d’une réforme des collèges à marche forcée la même année sur quatre années de scolarité touchant à la fois, la répartition des horaires d’enseignements, la conception des programmes, des cycles, des liaisons entre eux, de l’évaluation, des formes nouvelles de travail individuel et collectif. L’investissement de beaucoup d’enseignants les conduit aujourd’hui à un véritable épuisement professionnel. Que l’on songe au message décourageant qu’on risque de leur transmettre si l’on revient à la seule juxtaposition des disciplines pour acquérir un socle qui accorde une place de choix à l’apprentissage des méthodes, à l’éducation morale et civique, à l’éducation aux médias, à la pluralité des langages et à la mise en relation des savoirs.
Les travaux du CNESCO et les conférences de consensus qu’il a organisées, notamment la dernière, avec l’IFÉ, sur la différenciation pédagogique, indiquent le chemin à suivre. Pour la première fois, ces conférences offrent des bilans précis des résultats de la recherche et de l’expérience professionnelle en ces domaines, loin des poncifs habituels. Cette démarche d’évaluation devrait inspirer le futur ministre de l’éducation avant de se lancer dans des rectifications hasardeuses. Plus inquiétante encore serait la poursuite de la valse des changements de programmes à laquelle nous avons assisté depuis 2002 : à peine mis en œuvre et parfois déjà modifiés et réorientés.
Le CSP et les programmes
L’énorme travail du CSP ne doit pas être remis en cause alors que les programmes viennent à peine d’être mis en œuvre et ont acquis une grande cohérence, structurée par le socle de connaissances, de compétences et de culture qui fournit une définition précise et ambitieuse de ce que « nul n’est censé ignorer ». Certes, ils ne sont pas tous parfaits mais un comité de suivi est en place et doit pouvoir travailler dans la sérénité avant d’envisager des rectifications ou des réécritures.
Le CSP a cependant posé des questions qu’il ne faudrait pas négliger. Peut-on faire cohabiter une logique traditionnelle de DNB reposant sur des additions et des moyennes et une logique de validation de domaines sans compensation ? Quels droits ouvre l’obtention du socle commun ? Que faire pour les élèves qui ne l’auront que partiellement validé ? Comment envisager maintenant les formations des lycées et leurs finalités après l’acquisition du socle commun ? C’est bien sur ces questions que l’on attend maintenant le nouveau ministre de l’Éducation nationale.
Denis Paget
Membre du Conseil supérieur des programmes
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