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Douze élèves par classe en éducation prioritaire ?

L’une des mesures phare d’Emmanuel Macron est de ramener à douze élèves les classes de CP et CE1 en éducation prioritaire. L’intention est louable, dans le sens où elle s’adresse explicitement aux enfants les plus démunis et propose une action concrète dans la lutte contre le développement des inégalités par l’école. Maintenant élu, il est à prévoir que cette proposition sera communiquée aux corps d’inspection pour une mise en place rapide.

Que savons-nous de telles mesures, par la recherche en éducation ? Quelles précautions pédagogiques permettraient la réussite de tels investissements pour l’école ? C’est à ces deux questions que nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse.

L’état de la recherche

Plusieurs responsables éducatifs ont précédemment introduit des démarches de classes à effectifs réduits. Des évaluations ont été réalisées à cet effet ; elles nous permettent de la distanciation quant à ces mesures. La synthèse proposée par Olivier Monso[[Olivier Monso, http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/61/6/DEPP_EF_85_2014_effet_reduction_taille_classes_reussite_scolaire_France_developpements_recents_362616.pdf »>« L’effet d’une réduction de la taille des classes sur la réussite scolaire en France : développements récents », Education et formations, 85, 2014, p. 47-61.]] sert de base de cette présentation.

Le traitement par les recherches en éducation de cette question s’est confronté à plusieurs problèmes épistémologiques. D’abord, d’ordre conceptuel : qu’est-ce qu’une classe à effectif réduit ? Qu’est-ce qu’une réussite scolaire ? « La façon de mesurer la taille des classes d’une part, les résultats scolaires d’autre part, ont une importance pour le lien qui est mesuré entre les deux. » Ensuite, d’ordre méthodologique : comment constituer des groupes comparables, c’est-à-dire avec des élèves à profils similaires et des enseignants à expériences et compétences équivalentes ? Vaut-il mieux comparer des classes à effectifs réduits à des classes à effectifs ordinaires, ou plutôt, regarder l’ensemble des performances d’élèves issus de tous les types de classes et étudier dans les détails celles des élèves de groupes réduits ?

En France, ces deux approches ont été tentées, principalement par Denis Meuret[[Denis Meuret, Les recherches sur la réduction de la taille des classes. Rapport pour le Haut Conseil de l’évaluation de l’école, 2001.]] pour la première, et par Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire[[Thomas Piketty, Mathieu Valdenaire, « L’impact de la taille des classes sur la réussite scolaire dans les écoles, collèges et lycées français. Estimations à partir du panel primaire 1997 et du panel secondaire 1995 », Les Dossiers – Enseignement scolaire, n° 173, 2006 MEN-DEP ; Mathieu Valdenaire, Essais en économie de l’éducation, thèse de doctorat, École des hautes études en sciences sociales, 2011.]] pour la seconde.

Il se trouve que ces deux familles de recherches aboutissent à des résultats différents. L’approche comparative de Denis Meuret met en avant que les CP inscrits dans des classes à taille réduite obtiendraient des scores de 3,7 % supérieurs à des élèves issus de classes à effectifs habituels. Cet avantage semble ensuite disparaitre en CE1. L’approche regroupant l’ensemble des élèves (Piketty et Valdenaire) souligne qu’une taille de classe plus élevée impliquerait une dégradation des résultats scolaires, surtout en école primaire : un élève supplémentaire en CE1 ferait baisser le score moyen aux évaluations en CE2 de 2,5 % environ. Cette dégradation serait surtout marquée pour les élèves en éducation prioritaire (impact négatif de 10 %).

En conclusion de sa synthèse, et avec toutes les précautions inhérentes à ces recherches, Olivier Monso remarque quelques invariants. Le premier est que la réduction de la taille des classes semble surtout profiter aux élèves scolarisés dans des groupes où se concentrent les difficultés. « Toutefois, au sein de ces classes, ce ne seraient pas forcément les élèves les plus défavorisés ou en difficulté qui en bénéficieraient, mais plutôt des élèves aux caractéristiques moyennes ou aux difficultés modérées. » Ainsi, réduire les effectifs ne serait pas un choix efficace pour les élèves les plus démunis. Le second invariant avance que les bénéfices seraient observés principalement au cours de la première année où les élèves sont en classe à effectifs réduits. Quelle serait donc l’utilité de telles organisations si, dans le temps, ses effets positifs disparaissent ?

Quelles pédagogies avec moins d’élèves ?

Les recherches ne semblent pas aller, à ce jour, plus loin. Notamment, elles n’expliquent pas précisément ce qui, au sein d’un groupe réduit, aiderait davantage les élèves. A partir de cette base, nous émettons l’hypothèse que la relative efficacité des dispositifs de réduction des effectifs sur la réussite scolaire des élèves est corrélée aux choix pédagogiques des enseignants. Autrement dit, une classe à dix élèves conduite de la même façon qu’une classe à vingt ou vingt-cinq ne pourrait générer que des effets restreints et limités dans le temps.

Pédagogiquement, qu’est-ce qui gagnerait donc à être associé au fait d’avoir moins d’élèves, si l’on souhaite qu’ils apprennent de manière solide et durable ? Nous proposons une série d’éléments qui nous semblent les plus étayés, au regard du patrimoine et des travaux pédagogiques :

  • prioriser l’intervention des enseignants pour la construction d’un cadre sécurisant, l’accompagnement vers les savoirs scolaires, la vigilance contre les tentations de confort des enseignants et des élèves (visant à contourner les situations d’apprentissage ndbp : Des stratégies décrites par Serge Boimare : Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2008 et La peur d’enseigner, Dunod, 2012.), ou la présence de malentendus dans l’activité des élèves (qui accorderaient plus d’importance à ce qu’il faut faire plutôt qu’à ce qu’il faut apprendre) ;
  • organiser une vie coopérative au sein de la classe, pour multiplier les sources d’aide, donner la possibilité à chacun d’apporter son aide, améliorer le climat scolaire par de l’amitié entre les élèves, structurer des discussions démocratiques, associer les élèves aux décisions qui les concernent ;
  • valoriser les talents individuels et la diversité des intelligences, en évitant de focaliser son attention d’enseignant sur les élèves les plus fragiles scolairement, au risque de susciter chez eux un sentiment d’incompétence qui rendrait encore plus douloureux et périlleux leur chemin vers les progrès et la réussite ;
  • encourager l’autonomie et la responsabilité des élèves, par l’exercice ordinaire de libertés qui les engagent à prendre des initiatives, assumer des engagements pour la classe, ne pas attendre que d’autres agissent (et pensent) à leur place, se soucier de l’intérêt de ses camarades comme étant aussi dignes que soi dans l’existence humaine ;
  • autoriser les élèves à reprendre des entrainements insuffisants et à consolider des apprentissages fragiles, en leur donnant la possibilité de repasser une évaluation non réussie du premier coup ;
  • susciter de la pensée réflexive, c’est-à-dire qui ne se satisfait pas du dernier argument énoncé ou de celui du plus fort, mais qui recherche une autonomie intellectuelle au service d’une émancipation de vie.

Dit autrement, ce serait grandement dommage qu’une réduction des effectifs dans les classes se traduise in fine par des élèves passifs, se contentant d’exécuter des consignes extérieures, dépendants systématiquement de l’intervention des adultes, développant des formes plus ou moins opérantes d’assistanat quant aux efforts à mobiliser pour apprendre. Pour les plus fragiles scolairement, ce serait terrible qu’ils retirent de ces dispositifs une mauvaise image d’eux-mêmes, des capacités altérées à s’adapter aux environnements scolaires qu’ils vont ensuite rencontrer, une inertie cognitive contraire aux dynamiques de réalisation de soi.

Il va sans dire que les quelques hypothèses pédagogiques qui viennent d’être développées ne s’attachent pas seulement aux groupes avec moins d’élèves. Elles concernent tout autant les moyens supplémentaires en nombre d’adultes présents dans les classes, en particulier le dispositif prometteur «plus de maitres que de classes». Outre ce qui est octroyé par les politiques, elles appellent à un développement professionnel des enseignants. Ainsi, les compétences pédagogiques qu’ils se construisent transformeront les moyens supplémentaires attribués en sources d’amélioration globale du système éducatif.

Sylvain Connac
Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier, membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques


Pour aller plus loin :

« Il faut que la politique d’éducation prioritaire soit réellement prioritaire » Entretien avec Marc Douaire, président de l’OZP.

« Il faut bien recentrer l’éducation prioritaire ! » Interview de Marc Douaire.

Plus de maîtres que de classes Témoignages d’enseignants lors des Journées de l’innovation les 27 et 28 mars 2013.