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L’inclusion universelle

Isabelle Ducos-Filippi

Isabelle Ducos-FilippiIsabelle Ducos-Filippi se définit comme une « prof de lettres classiques pas classique ». Et son itinéraire le confirme. Première enseignante et première diplômée universitaire dans une lignée de commerçants, elle place ses premiers pas professionnels dans la belle empreinte de l’éducation nouvelle et, depuis, œuvre pour une école inclusive.

Son parcours professionnel commence en 1986 avec une expérience marquante qui aurait pu tout aussi bien signifier un renoncement au métier. Après des études en lettres classiques à la Sorbonne et un Capes décroché sans embuches dans la foulée, elle est nommée loin de chez elle dans un contexte particulier. Le collège où elle doit enseigner se situe dans la ville nouvelle normande Vaudreuil, devenue Val-de-Reuil, qui avait pour caractéristique d’accueillir de nombreux migrants venus pour travailler dans les industries de l’agglomération rouennaise.

Elle est nommée à sa grande surprise sur un poste de français et d’histoire-géographie, en classe ordinaire et en CPPN (classe pré-professionnelle de niveau). Ce dispositif, remplacé depuis notamment par les Segpa, accueillait des élèves âgés de 15 à 18 ans en difficulté scolaire. « Cela a été un choc d’être confrontée à des élèves qui n’étaient pas outillés pour faire le métier d’élève, soit parce qu’ils n’étaient pas dans la culture scolaire française, soit à cause d’un handicap cognitif. »

Dilemme

Sa première quinzaine d’exercice est une période d’interrogation, de dilemme, pendant laquelle elle pèse la densité de son envie profonde d’exercer le métier d’enseignante au regard des conditions de cet exercice. « J’ai choisi de ne pas démissionner et de trouver des solutions pour ces ados qui n’étaient en fait pas des élèves. Cela a été fondateur de commencer avec eux, de vivre avec eux ma première expérience de prof. C’est là qu’est né mon intérêt pour les élèves au bord du chemin, pour les ramener vers le chemin de l’école. »

Dès le début, elle pratique la différenciation et l’adaptation, se plaçant ainsi dans le courant de l’éducation nouvelle. D’emblée, elle organise sa classe en ilots, écoute les besoins des élèves et respecte leurs choix. Elle cite comme influence marquante Libres enfants de Summerhill, le livre d’Alexander Neill, qu’elle a lu par hasard pendant ses études et qui a développé son gout pour la pédagogie. « Cette lecture et ma première expérience en CPPN ont fondé ma philosophie et la vision de que je veux être en tant que prof. »

Elle reste un an dans ce premier poste, puis est nommée dans différents établissements avant de se poser dans un collège de Seine-et-Marne tout près de chez elle, où elle enseigne encore aujourd’hui. À Lésigny, le profil des habitants est tout autre que celui du Val-de-Reuil, avec de nombreux cadres d’Air France, vivant dans des lotissements voulus par la compagnie aérienne car situés entre Roissy et Orly. Les élèves et leur famille maitrisent les codes scolaires.
Elle s’installe tranquillement dans ce nouveau contexte, à une période où elle devient maman. Elle veille toujours à respecter ses valeurs et notamment celle de s’intéresser à l’enfant avant de regarder l’élève.

Bien accueillir les élèves différents

Et puis, au milieu des années 90, elle commence à voir arriver dans ses classes de plus en plus d’élèves différents, dys, autistes, à haut potentiel. Elle lit, enrichit et adapte ses pratiques. Mais elle se sent fort démunie lorsque, dans la classe de 6e dont elle est professeure principale, arrive un enfant autiste Asperger avec des troubles profonds de la communication. Elle décide de se former pour devenir enseignante spécialisée.

Elle pouvait ensuite enseigner dans des structures et dispositifs adaptés pour les élèves à besoins spécifiques. Elle choisit de rester en milieu ordinaire. « Je voulais être utile dans mon collège, dans mes classes, et répondre aux questions de mes collègues qui ont de plus en plus d’élèves différents. » À l’issue de sa formation, l’inspection menée par le conseiller handicap du Dasen (directeur académique des services de l’Éducation nationale) la conduit tout droit vers des fonctions de formatrice sur les thèmes de la différenciation et de l’inclusion. « J’ai accepté de rejoindre l’équipe technique de l’inspection académique sur le volet de la formation des profs, mais à la condition de continuer à enseigner. »

Depuis ce jour-là, en 2008, elle enseigne le lundi et le mardi et les autres jours, elle est formatrice dans l’académie de Créteil auprès des enseignants du secondaire et de l’élémentaire. « J’ai toujours voulu garder un temps d’enseignement pour nourrir la formation. Cela légitime et permet d’assoir des formations qui ne sont pas complètement hors-sol, qui envisagent ce que l’on peut faire de façon raisonnable dans la classe. »

Changer les regards

Elle a vu, au fil des années, les regards et les difficultés des enseignants évoluer. « Après un siècle et demi d’école séparatrice, c’était difficile pour les enseignants de voir des enfants différents intégrer l’école ordinaire. Mon premier travail de formatrice a été d’aider à changer de regard, d’accompagner sur le chemin pour aller de l’exclusion à l’inclusion. » Elle a constaté progressivement une reconnaissance des bénéfices de l’inclusion et l’émergence de questionnements axés sur le comment faire pour inclure.

Elle explique régulièrement que les élèves en situation de handicap orientés vers l’école ordinaire sont en capacité de suivre une scolarité, « pas forcément pour suivre les programmes, mais pour devenir des élèves et préparer leur insertion dans leur futur monde adultes ». L’acquisition de compétences psychosociales est pour elle le premier enjeu de l’inclusion, pour que « les personnes handicapées soient dans la société et non dans des ghettos ».

Le deuxième enjeu est que l’enfant à besoins particuliers devienne un élève, apprenne. « Et c’est là que cela devient particulièrement difficile, car il lui est impossible d’apprendre tout le programme, au même rythme que les autres élèves. Les enseignants ont l’impression d’être devant un chantier impossible, car il n’y a pas de recette magique, l’inclusion se construit au jour le jour. » Les enseignants doivent alors accepter de sortir des attendus des programmes, de rechercher pour les élèves concernés les compétences à acquérir parfois dans un autre cycle que celui de la classe suivie ; et ce alors qu’un enseignant spécialisé n’est pas toujours présent dans l’établissement pour conseiller et accompagner. Son travail de formatrice est fréquemment orienté vers la question « Qu’est-ce qu’on fait avec un élève qui vient une heure sur quatre dans mes cours, comment on adapte ? ».

Différenciation, individualisation, accessibilité

Au départ, la différenciation était privilégiée, puis l’approche a évolué. La conférence organisée par le Cnesco (Centre national d’études des systèmes scolaires) sur la différenciation pédagogique a souligné « la nécessité de faire attention à la différenciation différenciatrice, à la différenciation-individualisation. Et puis, comment individualiser avec de plus en plus d’élèves concernés ? » Elle donne comme exemple sa classe de 4e où huit élèves sur vingt-huit ont des besoins éducatifs particuliers « étiquettés » : ULIS, allophones, haut potentiel, dys. « Tout en bas du spectre il y a des non lecteurs et en haut des excellents élèves qui pourraient être en 2de. Si je dois individualiser, c’est impossible. ».

Pour elle, l’approche actuelle est plus sur des pratiques d’accessibilité permettant de répondre aux besoins de tous les élèves avec des aménagements à la marge pour quelques-uns. « C’est une conception universelle de l’apprentissage à la française nourrie par les avancées des neurosciences. Les cours sont conçus avec une très grande flexibilité dans la façon d’apprendre des élèves. » L’objectif est de construire du collectif, « on est dans le bien commun que l’on construit avec tous les élèves ».

Elle raconte comment elle permet à chacun de lire à sa façon Harry Potter pour ensuite travailler tous ensemble de façon collective. Certains, les plus performants, auront déjà lu l’ouvrage, elle leur propose de le lire en anglais, d’autres, plus faibles lecteurs, auront à disposition une version en français facile à lire et à comprendre (FALC). Une version bande dessinée est aussi accessible. « Chacun entre par son chemin personnel d’apprentissage pour ensuite étudier ensemble un passage en classe. Si je donne Harry Potter à lire de la même façon à tout le monde, des élèves ne le liront pas. »

Elle sait que tout n’est pas possible, que la réussite scolaire est parfois inaccessible. Elle invite à regarder autrement, à envisager que la réussite peut être différente, nichée dans des aménagements, des progressions, qui amènent l’enfant à être élève, futur citoyen à part entière.

Elle incite les enseignants à puiser dans les travaux de Roland Goigoux et Daniel Favre pour « mettre au point tout au long de l’année des stratégies explicites de compréhension pour élèves ». Elle les invite à permettre des situations où l’élève, quel qu’il soit se retrouve en situation d’apprendre, et d’accepter un éventuel échec, de regarder autrement celui qui apprend. « Quand on est enseignant spécialisé, on entre par la dimension “apprendre” dans notre perception de l’élève, moins par la didactique. » Et cette dimension où l’élève est avant tout un enfant, elle aime la partager pour que le chemin de l’inclusion soit simplement le chemin de l’apprentissage.

Monique Royer

À lire sur notre site

L’école inclusive : un défi pour l’école. Repères pratiques pour la scolarisation des élèves handicapés, recension du livre et interview de Pascal Bataille et Julie Midelet

« Chacun essaie d’agir seul face aux difficultés des élèves, alors que la solution, c’est le collectif. », entretien avec les coordonnateurs du dossier « Peut-on inclure sans exclure ? »

Par ici la Monnaie ! Par Étienne Delarue

La diversité de l’inclusion, portrait de Chloé Thomas


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Couverture du numéro 592, « Peut-on inclure sans exclure ? »