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Par ici la Monnaie !

Quand des collégiens d’ULIS invitent leurs camarades d’une classe de 4e ordinaire à devenir avec eux des enfants conférenciers au musée de la Monnaie de Paris.

Ma pratique de coordonnateur d’ULIS m’encourage quotidiennement à m’inscrire dans des projets pluridisciplinaires. Les élèves que j’accompagne, souffrant de troubles cognitifs et mentaux importants, ont besoin de développer leur capacité de perception (mémorisation, fluidité d’expression orale, communication). Il est donc nécessaire de travailler avec eux à l’acquisition de ces compétences et de sortir de l’implicite habituel en variant les situations de communication. Proposer des situations variées et ludiques permettent de développer des formes de travail qui posent un cadre sécurisant.

L’an passé, j’ai inscrit un groupe de onze collégiens âgés de onze à seize ans, dans le dispositif Enfants conférenciers à la Maison Victor-Hugo. L’intérêt pédagogique suscité, l’implication des élèves tout au long du projet et leur conférence très aboutie m’ont poussé cette année à reconduire ce projet avec eux.

Aujourd’hui encore, il est réjouissant de voir Alba1 mimer Gavroche dansant et chantant sur la barricade, de redécouvrir Victor expliquer avec précision le fonctionnement d’un puits et les raisons de la misère de Cosette ou encore la réécriture moderne de Saïan concernant ce que pourrait scander la foule, en place de grève, se moquant de Quasimodo dans Une larme pour une goutte d’eau à des élèves.

Proposer un espace d’oralité à des élèves qui rencontrent de grandes difficultés à s’exprimer devant des pairs, leur offrir de s’inscrire dans une démarche exigeante, tout en entrant dans l’abstraction, autant de raisons qui m’ont poussé à inscrire mes élèves dans le dispositif Enfants conférenciers.

Mais un ingrédient manquait l’an passé. En effet, le travail que j’effectue quotidiennement m’encourage à toujours plus prouver les bienfaits de la dimension inclusive de notre école. Or, malgré le rendu très positif de la saison dernière, l’exercice témoignait davantage un travail d’un entresoi que d’élèves du collège mettant en lumière des savoirs et une méthodologie apprise de leurs enseignants.

Je me suis donc approché d’une collègue d’histoire-géographie, lui proposant de travailler avec les onze élèves de l’ULIS et une de ses classes de 4e. L’objectif étant pour nous de décloisonner ce groupe classe et de reconstituer des groupes d’âges différents, où toutes et tous pourraient s’exprimer et travailler d’égal à égal. En outre, les huit élèves du dispositif déjà présents l’an passé pourraient guider leurs camarades, maitrisant déjà le protocole et une méthode bien huilée.

L’inclusion inversée

En début d’année, les élève d’ULIS ont accueilli les 4e pour leur présenter le travail de l’an passé afin qu’ils puissent se représenter les enjeux et les modalités d’une médiation à destination d’autres élèves.

Bien que préparés en amont, et que nous ayons accueilli les 4e en salle ULIS, les élèves que j’accompagne avaient des sentiments partagés : d’un côté, ils étaient dans une zone de confort (locaux, expérience de l’an passé) ; d’un autre, ils se retrouvaient à devoir s’exprimer devant une trentaine de leurs pairs, avec cette crainte d’être moqué ou de ne pas savoir trouver les mots pour leur donner une présentation compréhensible sans omettre aucune information.

Pourtant, à la fin de l’heure, tous les élèves sortaient de la salle de classe avec une idée très claire de ce qu’ils allaient faire : animer une conférence devant un auditoire de pairs inconnu.

Après avoir découvert les six stations retenues pour la conférence de la Monnaie de Paris, les trente-sept élèves ont ensuite travaillé sur les différentes stations de la médiation. Chaque lundi matin, nous séparions le groupe classe en deux pour travailler sur les différentes stations avec des groupes hétérogènes composés d’élèves de 4e et de 6e à 3e d’ULIS.

Encouragés par les enseignants et les AESH, toutes et tous ont pris la mesure des enjeux de leur conférence à venir. Quelle est l’importance de s’exprimer avec un vocabulaire précis ? Comment avons-nous fait pour enrichir notre travail ? Comment s’adapter à un auditoire plus jeune et à des interrogations qui peuvent être posées alors que les conférenciers ne les avaient pas anticipées ? Quels sont les liens que l’on peut tisser entre le travail mené quotidiennement en classe, dans différentes disciplines et comment s’en servir lors d’une présentation orale hors des murs du collège ?

Puis, est apparue la question de la gestion du stress, de la peur de ne pas tout savoir ou d’oublier des éléments en cours de route, de s’exprimer sans notes. Quelques jours après notre première médiation, nous avons interrogé nos élèves. « Ce projet m’a permis de vaincre ma timidité. Le fait que nous présentions à des élèves plus jeunes en face de nous m’a aidé à avoir moins peur. », « Enfants Conférenciers m’a appris beaucoup de choses sur la différence entre l’oral et l’écrit, comment faire comprendre des choses différemment » ; « Si c’était à refaire, je ferai une présentation plus élaborée. Ce projet m’a donné confiance en moi ».

Dépasser le handicap

L’intérêt du projet c’est que, face à un tel exercice, le handicap tend à s’effacer. Ou du moins est-il dépassé. Des élèves en pleine confiance dans une salle de classe peuvent apparaitre décontenancés face un public inconnu d’enfants et d’adultes. Et inversement, une aisance peut naitre chez des élèves qui, assis sur une chaise, redoutent la stigmatisation et le regard des autres devant une réponse qu’ils ne peuvent apporter ou la peur de dire une bêtise.

La veille de la médiation, nous nous rendons compte que tous ces élèves avaient ce même besoin d’être encouragés, de trouver cette confiance, car ils étaient tous capables de présenter leur travail de manière compréhensible. C’est d’ailleurs ce qui ressortait au lendemain de la présentation : la grande majorité utilisait le passé pour exprimer leurs craintes : « j’avais peur de bégayer », « je trouvais ça difficile de tout retenir », « je ne pensais pas que nous réussirions à présenter en équipe ».

L’expérience a mis en lumière le fait que les élèves d’ULIS pouvaient être moteurs dans leur groupe d’élève. Eux, pour qui l’espace et le temps ne sont pas des repères logiques, ont été des guides et des élèves sur qui les autres pouvaient s’appuyer dans le doute. Ils sont apparus comme des relais cadrant du projet.

Finalement, nous, enseignants, avons aussi le sentiment qu’ils sont sortis de cette édition plus confiant. Le regard des camarades avec qui ils ont travaillé a changé. Ils se sont sentis capables, actrices et acteurs à partie intégrante du projet.

Et après ?

Les interactions entre élèves de 4e et le groupe ULIS continuent d’évoluer, puisqu’ils se retrouvent fin février pour présenter les stations de ce musée emblématique de la capitale à des élèves du Lycée français de Tegucigalpa (Honduras), présents à Paris. Le projet s’ouvre même à d’autres élèves de l’établissement puisque des camarades hispanistes préparent de petites présentations pour la venue des jeunes honduriens. À leur retour chez eux, ce sera à leur tour de présenter des stations de la Banque centrale de Tegucigalpa à leurs correspondants français, par le biais de visioconférences.

Depuis début décembre, une émission de web radio est en élaboration. Les élèves du dispositif auront l’occasion d’enregistrer un podcast disponible sur le site du collège Les rubriques qu’ils ont choisies couvrent la présentation du projet Enfants conférenciers, la présentation de la Monnaie de Paris, les modalités de travail en groupe avec les 4e et les difficultés qu’ils ont rencontrées.

À travers ce projet, il est intéressant de mesurer l’évolution des élèves, de l’estime d’eux-mêmes. La prise de confiance, le changement d’attitude en classe, le dépassement d’une crainte d’être interrogé devant les pairs : autant d’observables par les adultes mais surtout par les élèves eux-mêmes.

Le regard de la communauté éducative tend aussi à changer. Accompagner des élèves à besoins particuliers peut parfois faire douter les enseignants associés à un tel projet. C’est pourquoi, à l’heure de dresser un bilan, la fierté des collègues au regard de la qualité des présentations des élèves revêt toujours pour moi la saveur d’une grande victoire.

Les retours d’expériences positifs de la part des élèves, et l’engouement des enseignants et des AESH se généralisent. Ainsi, lors de notre prochaine présentation, la professeure documentaliste et la principale du collège se joindront à l’aventure. Et qui sait, ces deux dernières participations donneront sans doute envie à d’autres collègues de tenter l’aventure.

Étienne Delarue
Coordonnateur ULIS, collège Pierre-Alviset, Paris

Pour en savoir plus :

Le site des Enfants conférenciers


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Notes
  1. Les trois prénoms ont été changés