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Les bons usages de l’IA en partage

En choisissant d’étudier l’histoire, il avait en tête le métier de journaliste. Il découvre une discipline et des méthodes qui le passionnent et le mènent jusqu’à un master recherche. Le thème porte sur l’histoire et les mémoires de la déportation pour motif d’homosexualité en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Le sujet lui semble « neuf mais bien balisé. J’ai finalement découvert une friche mal débroussaillée qui avait pourtant servi de fondement à d’importantes décisions politiques. »
L’exploration des archives lui révèle une histoire française projetée sur le modèle allemand, sans « travail sérieux d’historien ». Il cherche à comprendre comment cette mémoire s’est construite, revendiquée et légitimée, de la Libération jusqu’au début du XXIe siècle.
Après l’organisation d’une journée d’études universitaire et la direction d’un ouvrage collectif sur le thème, une offre de thèse se profile. Il la refuse. « Les études en histoire sur le genre et les sexualités étaient encore très peu développées et les perspectives de carrière étaient bouchées. » Il préfère prendre la voie de l’enseignement pour laquelle son expérience d’assistant d’éducation et des remplacements effectués en tant que vacataire avaient semé le gout dans son esprit.
Concours en poche, il garde ses habitudes de chercheur, lit beaucoup sur la pédagogie en se demandant comment faire au mieux son métier, et créé un blog pour en discuter avec des collègues. Il passe également la certification pour enseigner en anglais.
Rapidement, il est contacté pour rejoindre un groupe académique de formateurs en histoire-géographie et en EMC (enseignement moral et civique) et travaille plus spécifiquement sur les questions du numérique éducatif, les valeurs et principes de la République, mais aussi la différenciation pédagogique. Aujourd’hui, il enseigne au lycée international Charles-de-Gaulle de Dijon, pour partie en section européenne. Il est également formateur académique et, depuis dix ans enseigne en prison.
Mickaël écrit, sous différentes formes et sur de multiples supports, sur les réseaux sociaux, sur un blog ou encore sur le site de son éditeur ou du Café pédagogique. Il s’adresse à ses collègues mais aussi à ses élèves pour développer le gout de l’histoire-géographie. « Sur Instagram, je réagis à leurs questions que l’on n’a pas eu le temps d’approfondir en classe, souvent en lien avec des questions d’actualité. » Depuis dix ans, il contribue à des manuels scolaires. Récemment, par exemple, il a rédigé une Histoire racontée par les séries, après avoir créé l’application Historicoflix associant des vidéos et des QCM.
Le dernier sujet dont il s’empare est celui de l’intelligence artificielle générative. En décembre 2022, à l’arrivée de ChatGPT, il échange avec ses élèves de lycée, persuadé que ce nouvel outil va rapidement venir interroger les pratiques de classe. « Je faisais des tests de mon côté pour voir comment l’utiliser en classe. Je regardais avec les élèves les atouts et les limites et eux faisaient la même chose de leur côté. »
Il nourrit sa pratique par la lecture d’une bibliographie très largement anglosaxonne. À la demande de son inspection, il anime des formations d’abord à destination des enseignants d’histoire-géographie, puis plus largement. Il est alors contacté pour écrire un livre sur le sujet. « L’idée était de proposer un guide le plus pratique possible sur ce que l’intelligence artificielle fait à l’éducation. »
Il propose également des ateliers qui montrent comment cela fonctionne, pour comprendre ce que font les élèves avec et envisager les usages pour les enseignants. « L’objectif est de faire passer un cap, de regarder ce que l’on peut en faire dans le cadre professionnel en l’utilisant comme un assistant pour retrouver du temps de qualité avec les élèves. »
Il se méfie de politiques qui voudraient s’appuyer sur ce gain de temps pour augmenter les effectifs en classe dans une logique budgétaire. « L’IA peut certes nous aider à corriger les copies. Mais ce temps libéré n’a de sens que si on le réinvestit pour analyser les résultats, proposer des feedbacks constructifs aux élèves et mettre en place de la remédiation. »
Dans le contexte des enseignements en prison, l’IA est largement absente. Le numérique n’est utilisé qu’avec des conditions de sécurité strictes, notamment des clefs USB sécurisées par une empreinte digitale. Or, à la maison d’arrêt où il enseigne, des jeunes préparent des examens et ont besoin de consulter des ressources, pour la préparation de l’oral du bac par exemple.
Lorsqu’il échange sur l’IA avec ses étudiants en prison, il constate une méconnaissance des enjeux. « Ils en ont entendu parler, ne comprennent pas encore vraiment à quoi cela va pouvoir servir, comme une grande partie de la population générale qui ne s’en préoccupe qui si cela percute ses pratiques professionnelles ou personnelles. » Il cite les domaines artistiques et celui de l’éducation, qui ont un temps ignoré le sujet avant que les progrès rapides de l’IA ne viennent interroger leurs métiers.
Au lycée, il constate un besoin d’encadrement des élèves. « Ils ont une appétence, sont capables de s’approprier ces outils numériques plus vite que nous, mais ils ont besoin des enseignants pour passer de l’appétence à la compétence ».
Ses observations illustrent les travaux déjà anciens menés notamment par Anne Cordier sur les usages des écrans par les élèves, renforcées par une expérimentation menée en 2022-2023. Ses élèves étaient autorisés à utiliser une IA générative pour réaliser certains exercices. « Au départ, la stratégie des élèves était souvent de poser une question en copiant-collant ce qui est demandé par le prof. Si la réponse convient, elle est copiée-collée, sinon l’élève ferme l’ordinateur. »
Le constat renforce sa motivation pour développer un accompagnement afin de former les élèves au prompting (la question que l’on pose à une IAG est un prompt) mais aussi aux potentiels et aux limites de l’IA. Son chef d’établissement l’encourage. Une enquête est menée auprès des élèves, des parents et des enseignants sur leurs connaissances et positionnement par rapport au sujet.
Dans un premier temps, différentes ressources et activités sont proposées aux enseignants sous forme de journée pédagogique, d’ateliers pendant la pause méridienne ou encore de newsletters. L’objectif est d’accompagner leur développement professionnel. « Tout le monde ne s’est pas emparé de l’outil. Il y a eu notamment des débats sur les enjeux éthiques, sociaux et environnementaux. Mais au moins, nous en avons parlé ensemble, entre professionnels. »
À la rentrée 2024, une deuxième phase est mise en place, cette fois à destination des élèves, sous la forme d’un enseignement d’exploration. Six modules sont conçus et animés par une équipe de douze enseignants soutenue par la Cardie (Cellule académique recherche développement innovation expérimentation) et la DRNE (Délégation régionale au numérique pour l’éducation) de Bourgogne-Franche-Comté et avec des moyens accordés par l’Académie de Dijon. Le dispositif concerne les douze classes de seconde, soit environ 400 élèves.
« La formation est réalisée par une diversité d’enseignants révélatrice de la diversité du positionnement et des usages au sein de l’équipe pédagogique ». Les modules s’intéressent notamment à l’histoire de l’IA, à la technique, aux enjeux sociaux et environnementaux, etc.
La majorité de ces ateliers se déroule en « mode débranché ». L’approche mêle les disciplines et les points de vue, avec des enseignants qui utilisent l’outil et d’autres qui ne le souhaitent pas. « L’objectif est de réfléchir, de définir ce qu’est l’IA, de voir les enjeux et ensuite de passer aux techniques qui permettent de l’utiliser correctement et dans le cadre du RGPD. »
La diversité de maitrise de l’IA est aussi de mise du côté des élèves et souligne la nécessité d’un accompagnement pour avoir des usages réfléchis. « Il faut savoir à quel moment l’IA a une réelle valeur ajoutée en prenant en compte l’impact environnemental. Il y a aussi la question des sources, de l’éducation aux médias. Cela permet de toucher du doigt des enseignements répétés depuis des années en EMI mais avec un écho mitigé. Or, le contexte rend désormais cette éducation non seulement concrète, mais aussi indispensable. »
Le résultat du dispositif mis en place est là, avec des élèves impliqués et attentifs. Certains d’entre eux ont même participé à la présentation du dispositif à la rectrice. Le doute plane toutefois sur une généralisation de l’expérience au vu du contexte budgétaire. Elle fournira toutefois à coup sûr des ressources à d’autres collègues, du premier et du second degré, pour intégrer l’intelligence artificielle générative dans leur enseignement.
Pour en savoir plus
Le site de Mickaël Bertrand, Historicophiles
Mickaël Bertrand, J’enseigne avec l’IA. Guide pratique de l’IA au service de l’enseignant et de l’élève, Vuibert, 2025
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