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Quand les élèves découvrent les limites de l’IAG

Quel élève n’a jamais été tenté d’utiliser l’intelligence artificielle générative (IAG) pour faire ses devoirs ? La question vaut d’ailleurs aussi pour les consignes desdits devoirs, du côté des enseignants. L’une d’elle, professeure de lettres, a imaginé un dispositif pour confronter sa classe de 1re STI2D et le logiciel au même exercice de contraction. Alors, qui s’en sort le mieux ?

Comme c’est compliqué d’avoir des invités en février ! Surtout quand chacun rêve de légumes primeurs qui ne sont pas encore sur les étals. Que faire ? Vider intégralement le rayon livres de cuisine de la bibliothèque pour trouver l’inspiration ? Non, plus simple : demander à ChatGPT ! C’est ainsi qu’avec un prompt bien aiguisé, on obtient un menu parfait accompagné de sa liste des courses pour recevoir dignement un 16 février.

J’avoue : j’aime expérimenter avec l’intelligence artificielle générative (IAG) et je n’ai sans doute pas encore fait le tour de toutes les tâches que je pourrais lui confier dans ma vie de tous les jours, y compris en tenant compte de toutes ses limites.

Gagner du temps

Pour l’exemple qui précède, mieux valait être une cuisinière déjà expérimentée, parce que le descriptif des étapes de réalisation était pour le moins rapide. Surtout, quand vous demandez à une IAG de dresser une liste des courses, repassez derrière, parce qu’il manque toujours des ingrédients. Bref, je ne suis plus une utilisatrice naïve, craintive, ni non plus béatement enthousiaste.

Désormais, j’utilise au quotidien différentes interfaces comme des outils qui peuvent faire gagner du temps, mais sans imaginer qu’ils pourront penser à ma place. De fait, j’ai d’abord perdu beaucoup de temps avant de me rendre compte, passée la fascination pour le côté très ludique de l’IAG, qu’il y a des tâches qu’il vaut mieux ne pas lui confier si on veut en gagner.

Forte de cette expérience personnelle, j’ai pu expérimenter plusieurs propositions d’activités avec mes élèves de lycée, à la fois pour les initier à un usage réfléchi des outils proposés et pour favoriser l’apprentissage des élèves dans ma discipline, le français.

Voici donc quelques exemples concrets d’utilisation d’IAG en classe de français au lycée, qui sont sans doute assez facilement transposables dans d’autres contextes et d’autres disciplines.

Aborder autrement l’exercice de la contraction

En première technologique, une des difficultés que rencontrent les professeurs de français est qu’il faut initier les élèves à un nouvel exercice pour l’écrit, la contraction, sorte de résumé de texte argumentatif avec des contraintes formelles précises, rarement abordées en classe de 2de alors que, par ailleurs, ces classes disposent d’un tiers de temps de cours en moins par rapport aux premières générales.

Cette année, j’ai choisi de commencer l’année par cet exercice en partant du principe que les élèves que j’avais en face de moi n’avaient pas la moindre idée de ce que c’est. Par ailleurs, comme j’ai cette année une classe de STI2D (sciences et techniques de l’industrie et du développement durable) composée de garçons qui sont familiers des outils numériques et pas forcément très à l’aise dans ma discipline, j’ai choisi de combiner l’initiation à un usage raisonné de l’IAG au service de cet exercice singulier qu’est la contraction.

Travail préparatoire en groupe

Je travaillais sur le parcours « écrire et combattre pour l’égalité » qui accompagne l’étude de l’œuvre d’Olympe de Gouges, La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. J’ai d’abord proposé aux élèves, en classe, de lire un extrait de King Kong Théorie de Virginie Despentes. J’ai choisi ce texte parce qu’il a une dimension polémique très nette et facile à théoriser, et une tonalité très marquée également, là encore facile à définir.

Cette lecture accompagnée, collective, a permis de mettre en évidence le sens littéral du texte ainsi que le schéma de l’argumentation. Ensuite, à la maison, chaque élève devait réaliser un résumé du propos.

À l’heure de cours suivante, la mise en commun des résumés m’a permis de m’assurer de la bonne compréhension d’ensemble du texte. J’ai explicité les exigences de l’exercice de la contraction : respect du texte original, reformulation, réduction au quart de la longueur. Par équipe, à partir des résumés réalisés à la maison, les élèves ont essayé d’affiner une proposition qui permettrait de se conformer aux contraintes de l’exercice.

Évaluer l’exercice réalisé par l’IAG

À la fin de la séance, j’ai distribué la grille d’évaluation critériée de l’exercice. C’est ici que l’IAG intervient, pour m’assurer de la bonne compréhension des critères d’évaluation de l’exercice académique.

J’avais demandé à plusieurs interfaces (ChatGPT, Gemini, Perplexity et Mistral) de réaliser l’exercice. Sur le document distribué aux élèves figurait le prompt que j’avais rédigé et les productions que chacune des interfaces. J’ai demandé simplement aux élèves d’expertiser chacune des productions avec la grille de l’exercice académique.

Sur la base de cette première réflexion, nous avons théorisé ensemble l’intérêt de l’usage de l’intelligence générative pour accompagner la rédaction de cet exercice (vérifier la compréhension du texte, n’oublier aucune idée importante voire mieux comprendre le texte), mais aussi les limites qu’ils observent (faiblesse de la reformulation, absence de respect de l’énonciation du texte original et de sa tonalité, incapacité à respecter les contraintes de taille du texte).

Nous avons conclu d’abord sur le fait que l’IA générative peut être une aide, mais que l’outil ne saurait remplacer la compréhension et la réflexion de l’élève.

Reformuler le prompt

Un des élèves, cependant, pensait que les fragilités des réponses obtenues tenaient à la qualité du prompt utilisé. De fait, pour la séance suivante, il est revenu avec une production obtenue en reformulant le prompt et en demandant à l’IA de corriger sa production. Il a lu le texte obtenu devant ses camarades.

De fait, le texte était nettement amélioré concernant le respect de l’énonciation, mais la reformulation restait trop partielle. Surtout, l’élève a admis qu’il avait dû y passer beaucoup de temps pour obtenir ce résultat, là où ses camarades avaient juste corrigé eux-mêmes un des textes que j’avais proposés pour des résultats finalement plus satisfaisants.

Ludique mais chronophage

Cela me parait un point important : les outils d’IAG ont un caractère assez ludique. C’est plaisant de voir l’outil reformuler plusieurs fois son texte en lui demandant de tenir compte de nouvelles contraintes. Mais ce travail de reformulation des consignes peut finir par devenir plus long et chronophage que de réaliser soi-même l’exercice.

Comme enseignante, j’ai essayé plusieurs fois d’utiliser des outils d’IA générative pour fabriquer des consignes. En travaillant sur un point de grammaire du programme de première à partir de textes étudiés en classe, j’ai finalement constaté que le résultat était tout à fait comparable à ce que j’avais moi-même réalisé. Surtout, les corrigés proposés méritaient une relecture méthodique tant les analyses pouvaient être très approximatives, finalement souvent plus stylistiques que grammaticales.

Nous conclurons donc, comme je le fais régulièrement avec mes élèves, que dans l’expression « intelligence artificielle », la seule intelligence qui vaut, c’est la nôtre.

Marie-Claude Pignol
Professeure de lettres en lycée à Pithiviers (Loiret)

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Couverture du numéro 593, "Intelligence artificielle et pédagogie"