Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
Les bienfaits du coenseignement

Le parcours d’un élève à l’école se fait rarement en ligne droite. Il est empreint de temps où il se mobilise et de temps où l’attention vagabonde, se démobilise. Puis de temps où il se remobilise. Le défi quotidien de l’enseignant est d’accompagner ces alternances et de faire en sorte que la mobilisation soit effective le plus souvent possible. Lorsque l’élève ne se mobilise pas ou plus, que la désaffection est permanente, que l’on va vers le décrochage, les enjeux peuvent être reconsidérés dans le cadre d’un dispositif de coenseignement.
C’est le sens de la recherche que nous avons engagée depuis juin 2023 : interroger et analyser les pratiques collaboratives en classe primaire, rapportées à la prise en compte des besoins des élèves. Un enseignant de classe et un enseignant spécialisé Rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) mettent en œuvre « un travail pédagogique en commun, dans un même groupe et dans un même temps, de deux ou plusieurs enseignants se partageant les responsabilités éducatives pour atteindre les objectifs spécifiques » : c’est la définition du coenseignement1. Sept binômes de l’académie de Versailles ont ainsi contribué à cette recherche collaborative.
Dans le cadre de cette recherche, pour les élèves indiqués « en difficulté », les enseignants vont penser des réponses au sein de la classe, à la différence des pratiques d’externalisation de l’aide et de ses fréquentes conséquences : stigmatisation, décrochage de la progression classe, extraction de la dynamique collective, rupture du temps d’apprentissage, etc.
Grâce à cette collaboration entre deux enseignants qui prennent en compte les besoins des élèves, les réponses sont apportées dans un cadre pédagogique multidimensionnel où chacun, et pas seulement les élèves « en difficulté », est considéré, accompagné. Par différence avec la situation quotidienne de l’enseignant, seul face à un (trop) grand nombre d’élèves, le coenseignement permet de faire alterner les dispositifs, de se répartir les gestes professionnels. Les élèves sont ainsi plus à même d’engager des apprentissages, de s’engager dans les apprentissages qui sont à la fois collectifs et individualisés.
La remobilisation est le défi que se donne le binôme collaboratif. Elle est pensée sur deux niveaux : la mobilisation à nouveau, suite à un relâchement de l’attention par exemple, et la remobilisation chez les élèves qui se sentent mis sur le côté ou dont la motivation à apprendre, à s’engager dans le savoir, n’est plus là. Pour reprendre l’ancrage étymologique du terme, l’enjeu est de redonner de la mobilité à l’élève, par un déplacement du regard qu’il porte sur les apprentissages.
Le coenseignement, parce qu’il favorise l’alternance des configurations de classe et une alternance des rôles dans le pilotage de la séance, doit permettre aux élèves de rester en tension, d’être sollicités à la mesure de leurs besoins, d’être mobilisés dans une rythmique de classe stimulante.
Nous avons interrogé les élèves dont les besoins, rapportés au sens des activités proposées, au sentiment de compétence ou encore aux compétences sociales, ont pu être évalués avant notre observation. L’analyse de leurs verbatims montre que le coenseignement a un impact sur l’estime de soi, la coopération entre élèves, mais également sur l’engagement dans la tâche, et de manière plus générale sur les apprentissages.
Les élèves constatent une plus grande disponibilité des enseignants, qui semblent plus à même de répondre aux sollicitations et peuvent intervenir immédiatement : « Si y a plein de monde qui lève la main ben y a deux maitresses et elles peuvent voir qui lève la main. » « Quand la maitresse est seule, c’est difficile de travailler quand elle est occupée avec beaucoup de gens, elle peut nous aider mais d’abord il faut lever la main et attendre. » Cette disponibilité dans l’aide directe aux élèves, permise par la coprésence de deux enseignants au lieu d’un seul, a un impact sur l’ambiance de classe et crée un climat positif pour l’apprentissage. « C’est mieux quand vous êtes deux car quand la maitresse est toute seule, je ne comprends pas, elle explique vite, puis elle parle loin, et elle n’a pas le temps d’expliquer encore. »
Cette situation permet aussi la mise en œuvre de projets ludiques et porteurs de sens. « Je peux faire des trucs amusants. Par exemple, quand on allait écrire une poésie, on faisait des jeux. » « Quand tu es là, on a le droit de choisir nos phrases ; avec la maitresse elle dicte des mots sur ardoise et j’aime pas. »
La répartition des rôles des deux intervenants favorise une remobilisation attentionnelle, les élèves sont plus à même de se focaliser sur la tâche et de s’y engager, de raccrocher : « Il y a une maitresse qui explique le travail et l’autre qui regarde les élèves pour voir ceux qui sont pas attentifs et alors là, elle les aide à se concentrer. Et aussi pour qu’ils participent. » « Quand vous êtes toutes les deux je suis toujours concentrée. » « Je me sens calme quand vous êtes deux. Quand il n’y a que la maitresse je me sens plus agité. »
Le coenseignement, parce qu’il engage une coplanification, permet une réflexion des enseignants sur l’accessibilité des supports, la mise en œuvre de la différenciation et la prise en compte de la diversité des élèves. Ils se voient donc proposer des supports plus adaptés et des tâches plus individualisées : « Avec la petite feuille (quand il y a deux maitresses), les lignes sont énormes et on peut écrire en gros. » « Les phrases, c’est plus facile quand il y a les deux maitresses. » Ils sont donc placés en situation de réussite, être à deux permettant de répondre plus finement aux besoins des élèves : « Quand vous êtes deux, je réussis. » « On écrit des mots sur l’ardoise et moi j’aime pas. La maitresse, elle donne des autocollants après. Moi j’ai qu’un autocollant. Quand tu es là et que je réussis, tu mets un tampon, et quand tu es là j’ai toujours un tampon. »
Enfin, contrairement à une externalisation de l’aide, les élèves peuvent apprendre au sein de leur classe, sans rupture du temps d’apprentissage, sans stigmatisation : « Je préfère tous ensemble dans la classe, parce que j’aime bien mes amis. » « Je peux montrer à mes amis comment je travaille. » Les interactions entre élèves sont facilitées par la variété des modes de regroupement, développant une entraide qui favorise la remise au travail. « Quand on est avec toute la classe, y en a plein qui peuvent aider leurs camarades. » « J’aime bien quand on est plusieurs, c’est facile et en plus, ça passe plus rapidement. »
L’ensemble de ces paramètres affectifs, cognitifs et sociaux agissent sur le sentiment d’efficacité personnelle des élèves et sur le ressenti face aux apprentissages. « Je ne suis pas stressée quand vous êtes à deux, alors que quand je suis dans la classe et que je suis seule, j’y arrive pas et ça me fait pleurer. » « Des fois j’arrive pas et je me bloque toujours. » La remobilisation des élèves agit sur le sentiment de pouvoir dire, pouvoir faire et ainsi se sentir prêt à apprendre : « Quand vous êtes à deux dans la classe, je me sens mieux, je me sens capable de m’exprimer. »
Au-delà des élèves, nous constatons que ce coenseignement est gratifiant également pour les enseignants qui ont pu identifier l’évolution positive des élèves « en difficulté » dans l’espace même de leur salle de classe.
Au sein de chacun des binômes de recherche, l’enseignant de la classe avait identifié des élèves qui, selon lui, éprouvaient des difficultés graves et persistantes. Au terme de quelques mois de mise en œuvre de ce coenseignement inclusif, les élèves ne sont plus « marqués » comme étant « en difficulté », mais identifiés, comme les autres élèves de la classe, selon leurs besoins d’apprentissage. Au point que les enseignants ont décidé qu’ils ne relevaient plus du champ d’action du Rased.
Qu’il s’agisse de l’élève de CP qui entre dans la lecture et n’a plus besoin d’étayage spécifique, de l’élève de CE2 qui est en capacité de produire un écrit de plus en plus normé, ou de cet élève de CM1 qui s’engage dans la tâche sans sollicitation, il semble que tous ont bénéficié de la prise en compte de la diversité de leurs besoins.
La (re)mobilisation ne dépend ainsi pas d’un bon vouloir de l’élève, mais bien d’un bon pouvoir d’agir et de participer, au sein de sa propre classe, autant que possible.
À lire également sur notre site
« On peut identifier les avantages tirés du coenseignement pour les enseignants », entretien avec Quentin Magogeat
« Co-intervenir, coenseigner, coanimer », par Rachel Harent et Céline Walkowiak, avant-propos, du dossier « Co-intervention : à deux dans la classe »
Le coenseignement comme innovation pédagogique ? Une classe unique, deux enseignants, recension du livre dirigé par Thierry Bouchetal et Quentin Magogeat