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Le coenseignement comme innovation pédagogique ? Une classe unique, deux enseignants

Sous la direction de Thierry Bouchetal et Quentin Magogeat, ISTE éditions, 2022.

C’est tout d’abord pour son titre et la question qu’il posait que j’ai choisi ce livre. Puis, c’est le contexte qu’il développe qui m’a interpelée.

Le coenseignement comme innovation pédagogique ? Une classe, deux enseignants est l’ouvrage collectif de huit chercheurs, le fruit d’une recherche en sciences de l’éducation et de la formation menée à partir de l’évaluation du dispositif Coenseignement et ruralité, mis en œuvre depuis 2017 dans onze écoles ardéchoises. Il présente donc un coenseignement en contexte particulier, celui de la ruralité montagnarde, de l’école isolée, mais ancrée dans son territoire, de la classe multicours, voire de la classe unique.

Après quelques repères théoriques sur le coenseignement donnés par Quentin Magogeat, nous entrons dans le contexte ardéchois : la fermeture de classes dans de petites écoles rurales montagnardes, des municipalités et des enseignants qui cherchent à maintenir leur école ouverte, la décision académique de mettre en place du coenseignement dans les zones rurales, des enseignants sceptiques, pris entre inquiétude de voir leur école fermer, nécessité de sauver leur poste, possibilité de s’engager dans un dispositif expérimental (mais sans certitude quant à sa continuité dans le temps) et logique de défense et promotion du dispositif auprès des parents, des élus et du territoire. Joris Cintéro y décrit comment les enseignants doivent traduire dans le réel ce nouveau dispositif institutionnel.

Passant d’un cadre théorique à l’autre, cet ouvrage présente le dispositif sous différents angles. Marc Guignard y relate la façon dont les pratiques enseignantes dans et hors la classe se sont ici construites, modifiées, réaménagées, partagées dans le contexte incertain de cette nouvelle configuration pédagogique.

Vous avez dit école rurale ?

Pierre Champollion et Thierry May-Carle, quant à eux, décrivent combien la ruralité est depuis longtemps définie en négatif, en creux, à partir de l’urbain et de la ville. Le dispositif Coenseignement et ruralité a cette double particularité d’être implanté en zone rurale et en zone de moyennes montagnes.

Pour autant, « il n’y a pas en France d’école particulière » (p. 86). La notion d’école rurale et montagnarde ne couvre-t-elle alors qu’une géolocalisation de l’école, comme tous les textes nationaux le laissent à penser, ou répond-elle à des spécificités socialement, culturellement, institutionnellement, législativement reconnues ? Dans les années 1980 ont été mis en évidence à la fois la notion de contexte territorial (adaptation pédagogique à l’environnement des classes) et le bon niveau de réussite des élèves de l’espace rural montagnard jusqu’alors stigmatisés (p. 88). En conclusion, les auteurs précisent combien « le coenseignement ardéchois a montré de véritables capacités d’adaptation à des contextualisations locales différenciées et parfois mouvantes ».

Comment évaluer un tel dispositif ?

Pour l’évaluation du dispositif Coenseignement et ruralité, le laboratoire Éducation, Cultures, Politiques a été sollicité par le rectorat de Grenoble. Le coenseignement est « un objet complexe », et Élodie Bellarbre détaille en quoi il n’est pas si simple à évaluer. Un des objectifs était d’en mesurer les effets sur les performances en français et mathématiques d’élèves de CE1 et de CE2 comparées à un groupe témoin. Mais comme le précise l’autrice, « les méthodes quantitatives souvent souhaitées par l’institution, ne permettent pas à elles seules de vraiment montrer les impacts des dispositifs ». D’autres acquisitions non académiques, qui favorisent la réussite, sont également à prendre en compte : autonomie, estime de soi, sentiment d’efficacité personnelle, etc.

Identité et développement professionnels

Le dispositif Coenseignement et ruralité a d’abord été mis en place pour maintenir un service public de proximité et de qualité. Ses effets sur les apprentissages des élèves ont été scrutés par l’institution. Mais qu’en est-il des effets sur les enseignants, sur leur identité professionnelle, sur leurs pratiques ? Thierry Bouchetal relate que, dans cette enquête, le coenseignement est vécu par les professeurs des écoles comme un facilitateur de l’exercice professionnel et un vecteur d’apprentissage professionnel, un moyen d’enrichir ses compétences. L’expérience ici vécue y est replacée dans un parcours professionnel continu et une identité professionnelle renouvelée.

Cet ouvrage se termine par un texte de Quentin Magogeat sur la question de l’innovation pédagogique. Il y décrit en quoi chacun des onze coenseignements étudiés, par sa contextualisation in situ, a donné lieu à une très grande variété de mises en œuvre. Si le coenseignement peut être considéré comme innovant parce qu’inédit, il n’en existe pas pour autant une « recette pédagogique » généralisable.

Rachel Harent

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