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« L’empathie, ce n’est pas seulement la bienveillance et le soin pour l’autre »

©DR

Malene Rydahl est consultante et enseigne à Sciences po Paris. Elle vient d’écrire aux Presses de la Cité L’empathie, ça s’apprend, où elle s’appuie beaucoup sur ce qui se fait depuis une cinquantaine d’années au Danemark (dont elle est originaire).
On emploie beaucoup actuellement en France le mot empathie. Mais y met-on toujours la même acception ? Quelle en est pour vous la bonne définition ?

Dans mon livre, je reconnais la complexité de la notion dont les sens varient en fonction du contexte culturel, psychologique, et éducatif. Le psychiatre Serge Tisseron a fortement contribué à cette discussion, en soulignant la distinction entre empathie cognitive et empathie affective. Personnellement, je m’appuie sur une approche intégrée qui reconnait l’importance de comprendre à la fois les émotions des autres (empathie affective) et la capacité à se mettre à leur place de manière rationnelle (empathie cognitive). Cette vision holistique permet d’adopter un enseignement plus nuancé et adaptatif de l’empathie.

L’empathie, ce n’est pas seulement la bienveillance et le soin pour l’autre, lequel peut être souvent un proche, ce qu’on pourrait appeler l’« empathie chaleureuse » et qui peut se confondre avec la sympathie, alors qu’il s’agit de comprendre le point de vue de l’autre, souvent éloigné de nous-mêmes (une empathie d’« apaisement »).

Donc, au Danemark, c’est déjà une vieille histoire. Mais parle-t-on d’empathie à proprement parler ?

Au Danemark, l’apprentissage de l’empathie est intégré dès le plus jeune âge dans le curriculum scolaire, avec des « heures d’empathie » hebdomadaires dès la maternelle. Et ceci s’est mis en place dès 1975. On ne les appelait pas ainsi, (si vous dites à des enseignants danois qu’ils font des « cours d’empathie », ils seront étonnés !), on parlait plutôt d’« heures de classe », où il s’agissait surtout d’enseigner aux enfants comment écouter les autres, comprendre leurs émotions et cultiver une compréhension mutuelle, de créer une communauté dans la classe.

Cette approche, en effet, contribue à renforcer la cohésion sociale et le bienêtre des élèves. On parle davantage aujourd’hui de « cours de bienêtre », d’épanouissement personnel. Mais bien sûr, cet « enseignement » ne se conçoit pas sous forme exclusive de cours et passe par des dispositifs comme des jeux de rôles, des sorties, des débats. On peut évoquer aussi la « chaise chaleureuse » ou l’analyse collective de films, etc. Au Danemark, on laisse de la liberté aux enseignants pour concevoir cet enseignement, il y a bien moins de référence à des « programmes » comme en France. Cela se déploie de 6 à 14 ans, mais ce n’est plus obligatoire sous une forme rigide. En gros, il y a une heure de cet enseignement par semaine.

Comment la société danoise réagit-elle ? Y a-t-il les mêmes polémiques qu’en France sur le sujet (« ce n’est pas la mission de l’école que d’apprendre l’empathie », etc.) ?

Il y a un relatif accord dans une société où la recherche du bienêtre et le sens du collectif sont importants, où l’on essaie de développer les compétences psychosociales. Et le Danemark est un des pays où les gens se sentent le plus « heureux » et confiants dans l’avenir. Les sondages annuels sur le bienêtre à l’école sont aussi parlants : plus de 80 % se sentent bien à l’école. C’est aussi par exemple le pays où il y a le moins de harcèlement.

Mais on a bien besoin, dans la période actuelle, d’enseigner la tolérance et le respect mutuel.

Comment voyez-vous l’émergence de ce thème dans notre système scolaire ?

On ne peut pas dire que la France soit en retard, elle a développé des projets très intéressants depuis des années mais qui n’ont jamais été mis en place à l’échelle nationale. J’accompagne pour ma part des projets qui vont dans ce sens.

Bien que l’enseignement de l’empathie ne soit pas un remède miracle, il constitue une composante essentielle pour améliorer le climat scolaire. Il peut réduire le harcèlement, favoriser la collaboration, et améliorer les compétences sociales des élèves. Pour que cet apprentissage soit efficace, il doit être régulier, soutenu par toute la communauté éducative, et adapté aux besoins spécifiques de chaque école.

L’annonce du ministre (qui était alors Gabriel Attal) sur l’introduction des cours d’empathie dans les écoles françaises pourrait être perçue comme un coup de communication, mais elle reflète également une prise de conscience croissante de l’importance de l’intelligence émotionnelle dans l’éducation.

Le succès de cette initiative dépendra de sa mise en œuvre concrète, de la formation des enseignants, et de l’intégration effective de ces cours dans les programmes scolaires. Il est crucial de fournir une formation initiale et continue spécifique, qui inclut des méthodes pédagogiques adaptées à l’enseignement de l’intelligence émotionnelle. De plus, il est important de soutenir les enseignants sur le terrain par des ressources pédagogiques adaptées, des moments de partage d’expériences, et un soutien psychologique si nécessaire. La collaboration entre enseignants, psychologues scolaires, et parents est également essentielle pour créer un environnement propice à cet apprentissage de l’empathie.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

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