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L’empathie

Serge Tisseron, PUF, Que sais-je ? 2024

Rien de tel qu’un bon vieux « Que sais-je ? » pour faire le point sur une notion aussi floue et fourre-tout que celle d’« empathie ». C’est ce que fait ici Serge Tisseron, comme il l’avait fait pour la « résilience » dans la même collection. Avec clarté et pédagogie, il nous permet de nous y retrouver dans une grande complexité sémantique, à savoir distinguer empathie, sympathie, altruisme, empathie émotionnelle et cognitive, empathie pour autrui et pour soi, à travers un panorama historique et un éclairage multiple (psychologie, neurosciences, philosophie, biologie, références à des situations historiques). La figure de la page 34 présente sous forme de la métaphore d’un navire les différentes facettes de l’empathie. L’auteur s’appuie sur de nombreuses expérimentations pour comprendre tout ce qui se joue derrière une notion trop vite encensée et considérée comme positive. On retiendra notamment l’idée qu’une empathie émotionnelle sans la prise de recul de l’empathie cognitive peut être dangereuse (on se projette dans l’autre, ce qui peut être source de bien des malentendus), mais l’inverse peut aussi conduire à des conduites manipulatoires (parvenir à comprendre ce que ressent l’autre pour mieux l’utiliser à son profit). Bien sûr le rôle des réseaux sociaux est abordé. Ceux-ci peuvent favoriser le repli sur soi et on notera la belle formule « plus proche des familiers, plus proche des inconnus ». Le risque de l’empathie peut être de ne l’éprouver que pour ceux qui nous ressemblent, « l’être humain étant programmé par l’évolution pour privilégier ses liens de ressemblance ». Et parfois le stress lié à la présence de l’étranger peut freiner toute empathie pour lui. Il faut alors savoir si on le favorise ou non, ce qui nous ramène à l’actualité sans doute.

On sait que le ministère de l’éducation nationale veut mettre en place des « cours d’empathie ». Pour Serge Tisseron, celle-ci ne peut s’enseigner, en revanche, elle peut s’apprendre. La question est abordée trop brièvement page 107 où l’auteur avoue son scepticisme sur un effet à long terme de programmes s’ils sont basés sur le développement des seules compétences émotionnelles. En revanche, il insiste sur l’importance de l’éducation artistique et culturelle et de divers dispositifs dont certains commencent à être bien connus à l’école primaire tel le « Jeu des Trois Figures » et autres formes de médiation, sans oublier le tutorat bénéfique pour tous les élèves, aidés ou aidants. Serge Tisseron déplore que « le chemin des élèves français reste soumis de bout en bout à la pression de la réussite individuelle. »

Enfin, l’auteur n’oublie pas que le risque en se centrant sur des situations individuelles est d’oublier les obstacles sociaux et politiques à la manifestation de notre empathie. Il convient de ne pas en rester à une « idéologie borgne, car apolitique ». L’empathie a toute sa place, mais pas toute la place.

Jean-Michel Zakhartchouk