Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
L’Antiquité façon puzzle

Une amie chère et collègue m’a fait part d’un article trouvé sur le site de Philippe Meirieu au sujet de la jigsaw classroom ou classe-puzzle. J’ai été touché par l’intention de son auteur, Elliot Aronson, de résoudre des conflits entre communautés (au Texas en 1971) par la coopération entre élèves, en rendant chacun d’entre eux indispensables à la réalisation d’un projet de classe.
Dans ma classe de CE2 en REP à petit effectif (dix-huit élèves), j’ai eu envie de donner à mes élèves une première représentation de l’Antiquité, en commençant par une visite de la section Égypte antique du musée du Louvre.
J’ai donc préparé un document didactique me permettant de guider les élèves à travers l’exposition (en m’appuyant sur le parcours de visite « Escale au bord du Nil » proposé par le Louvre).
J’ai formé trois groupes « puzzles » (A, B, C), de quatre élèves, chacun étant responsable d’un thème au sein de son groupe : l’écriture, l’artisanat, la momification, les monuments ou les croyances.
Le but de cette répartition est que chaque élève soit fortement responsabilisé et travaille toutes les compétences en jeu, tout en organisant des temps de travail en « groupe d’experts » qui lui permettent de s’appuyer sur des pairs ayant en charge un même thème (l’artisanat par exemple).
Une fois sur place, j’ai expliqué à mes élèves le fonctionnement des groupes-puzzles et l’objectif de réaliser des exposés dans d’autres classes de l’école. Je leur ai donné leur document de prise de notes et cette consigne : « Sur votre document de prises de notes, vous pouvez voir avec qui vous ferez l’exposé. Vous serez seul dans votre groupe à travailler sur votre thème, mais dans les autres groupes, des élèves travaillent sur le même thème que vous. Vous devrez prendre des notes sur votre thème pendant la visite ».
Enfin, j’ai attribué un groupe-puzzle par adulte (soit les parents accompagnateurs et moi-même). Chaque adulte devait étayer son groupe dans la prise de notes. Les élèves se sont beaucoup entraidés aussi.
Voici deux exemples de prise de notes :
L’étape suivante devait consister à regrouper les élèves ayant pris des notes sur un même thème. Mais je me suis rendu compte qu’un travail de réécriture s’imposait pour permettre l’exploitation des prises de notes.
J’ai lu et légèrement amendé les prises de notes. Puis, au sein de chaque thème, j’ai dégagé des sous-thèmes sous forme d’étiquettes qui allaient constituer les différentes sous-parties de leur exposé. Mon but était alors de décomposer le travail de rédaction des élèves en plus petites étapes.
Par exemple, pour l’artisanat, j’ai préparé quatre étiquettes : « la fabrication de l’encre », « le commerce », « les matériaux utilisés », « ce qu’ils fabriquaient ».
J’ai ensuite réuni les « groupes d’experts », avec les trois élèves ayant les mêmes thèmes. Il a fallu procéder par étapes, car de nombreuses compétences fondamentales allaient entrer en jeu :
- Premièrement, relire seul ses propres notes pour réactiver la mémoire des notes prises.
- Deuxièmement, écouter la lecture à voix haute des notes prises par les autres, et se donner des explications orales sur les contenus, si nécessaire. Le but est le partage des connaissances entre élèves.
- Enfin, après une répartition individuelle des sous-thèmes, les élèves se sont entraidés pour rédiger. Certains étaient déjà quasiment rédigés, d’autres requerraient plus de discussions et de réécritures.
J’ai choisi une modalité de coopération peu formelle, l’entraide au sein du groupe, pour cette longue séance, et opté pour un étayage très important de ma part, en circulant au sein des groupes, afin de réguler la coopération, d’aider à la réécriture ou de fournir des explications de fond.
J’ai aussi utilisé des cartes de rôles pour organiser la coopération : les référents « consigne », « calme » et « distributeur de parole ».
La compilation des rédactions par sous-thèmes a fini par constituer un même corps d’exposé (parties, et sous-parties) pour tous les groupes-puzzle. J’ai remis au propre et ordonné cet ensemble à partir duquel nous avons travaillé par la suite (je me suis chargé du nettoyage orthographique).
Chaque « expert » a ensuite commencé par relire seul sa partie en vue d’une lecture oralisée à son groupe-puzzle. L’objectif d’apprentissage est en premier lieu la lecture à voix haute (fluidité).
Étant seul responsable de sa partie au sein du groupe, c’est à ce moment de la séquence que tous les élèves ont bien pris conscience de la responsabilité qui allait être la leur, quand certains l’avaient anticipé depuis le début.
Après leur avoir montré le Powerpoint que j’avais préparé pour accompagner leur exposé (à partir de photos prises sur place), j’ai sollicité un premier groupe-puzzle pour essayer une première oralisation devant l’ensemble de la classe.
Chaque diapositive correspond à un sous-thème, l’image a fini par aider les élèves à se « détacher de leur texte » en leur faisant montrer et décrire les photos de l’exposition.
Certains élèves étaient de grands lecteurs expressifs, mais complètement rivés à leur texte ; d’autres n’avaient pas encore bien compris et assimilé les contenus ; d’autres improvisaient à l’oral à partir du diaporama, tout en déchargeant leur stress par des clowneries.
Cette première tentative nous a permis de définir les critères de réussite d’un exposé, à partir des critiques formulées par la classe lors de ces premiers oraux. Nous avons construit une grille critériée, en vue d’une évaluation qui rendrait visibles les progrès individuels.
Pour réussir : | Oui | Un peu | Non |
Bien connaitre son sujet | |||
Parler fort | |||
Être bien compréhensible | |||
Parler au public sans trop lire | |||
Avoir une attitude « pas trop stressée » |
En classe, les groupes ont pu s’entrainer plusieurs fois, chaque élève s’appuyant sur sa grille de réussites, lui permettant de voir l’évolution de ses compétences. Il a fallu planifier et répartir ces séances décrochées sur plusieurs demi-journées.
J’ai demandé à plusieurs reprises à mes élèves, en devoir à la maison, de relire leur texte et de s’entrainer à le dire. Le travail a « pris » dans certaines familles (souvent les plus favorisées…) qui ont énormément investi le texte de l’exposé et la grille de réussites. Il en a sans doute résulté de nombreux entrainements, et des progrès très notables.
Ces entrainements nous ont aussi permis de comprendre la nécessité de préparer une introduction et une conclusion, d’anticiper la possibilité d’être interrompu ou dérangé pendant l’exposé, de penser à remercier pour l’écoute et de proposer de répondre à des questions.
Les élèves ont rapidement saisi qu’une bonne connaissance de fond de sa partie était absolument nécessaire avant de pouvoir améliorer la prestation orale elle-même. J’ai vu des groupe-puzzle descendre en récréation ou sur le temps périscolaire avec leur texte pour s’entrainer. C’était exaltant !
Avec l’accord de collègues en CM1 et CM2, j’ai planifié sur deux jours la venue des groupes-puzzle dans leur classe. Les élèves étaient très motivés par ce projet, mais certains ont dû dépasser un trac important et, en y parvenant, en ont conçu une grande fierté. Devant rester avec les autres groupes de la classe, je n’ai pas assisté aux exposés eux-mêmes !
Au retour en classe, chaque groupe était très excité et progressivement soulagé, fier, et exprimait le besoin de témoigner de leur expérience.
Cette expérience m’a permis de faire plusieurs observations.
Quand la perspective de l’exposé est devenue réelle, la prise de conscience de la responsabilité individuelle a bouleversé leur posture et leur rapport au travail scolaire.
L’interdépendance a créé un esprit d’équipe très favorable au travail. Cela n’aurait pas été possible sans avoir une pratique de différentes formes de coopération bien installées dans les habitudes scolaires de la classe.
Pendant toute cette expérimentation, malgré beaucoup de préparations, j’ai eu le sentiment de naviguer à vue, en construisant les séances l’une après l’autre. Il a fallu concentrer la durée de la séquence pour bénéficier au maximum de la mémoire active de la sortie. Un enregistrement aurait été une forme d’aboutissement, partageable aux familles notamment, et un bon support de travail. Je regrette de ne pas y avoir pensé.
Cette forme pédagogique m’a semblé garantir une bonne mémorisation d’un grand nombre de nouveautés, la coopération et le fait de se retrouver en « posture d’enseigner » a construit, par la secondarisation1, un haut niveau de compétence. Certains élèves timides, dont d’anciennes élèves d’UPE2A notamment, ont fait un bond en avant dans leur capacité d’expression orale.
Enfin, j’ai trouvé un intérêt à ce travail pour répondre aux exigences programmatiques pour consolider à long terme des représentations sur des contenus tout à fait étrangers aux élèves : l’Antiquité, l’aménagement du territoire en fonction de données géographiques (le Nil), les techniques, les croyances, l’organisation sociale de l’époque, etc. Cela faisait aussi longtemps que je m’interrogeais sur la façon de travailler spécifiquement les compétences orales. L’alliance de ces objectifs à des contenus ambitieux nous a rendu fiers, mes élèves et moi-même.
À lire également sur notre site
3 outils simples pour organiser la coopération en classe, par Sylvain Connac et Laurent Reynaud
« Faire un projet en histoire, ce n’est jamais banal. », Entretien avec les coordonnateurs du dossier « L’histoire à l’école : enjeux », Benoit Falaize et Alexandra Rayzal
Une soirée au musée (de l’immigration), par Émilie Kochert
Sur notre librairie
Notes
- Capacité métacognitive à prendre du recul sur la tâche pour en comprendre les enjeux en termes d’apprentissage. La définition des critères de réussite et l’autoévaluation des élèves tendent à la développer, tout comme les pratiques coopératives, puisqu’elles mettent les élèves en posture d’enseigner.