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« Les CP et CE1 dédoublés ont encore davantage figé la géographie de l’éducation prioritaire. »

Le Réseau français des villes éducatrices (RFVE) a été reçu mi décembre 2018 par Ariane Azéma, inspectrice générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, et Pierre Mathiot, universitaire et ancien chargé de mission sur la réforme du baccalauréat et du lycée. Tous deux ont été chargés par Jean-Michel Blanquer d’une mission sur la territorialisation des politiques éducatives, sur les politiques dédiées à l’éducation prioritaire, ainsi qu’au monde rural dans toute sa diversité. Ils rendront leur rapport à la fin du premier trimestre 2019. Damien Berthilier, président du RFVE, a répondu à nos questions sur cette audition.
Que retenez-vous de cette audition ?

Nous avons eu affaire à deux personnes qui connaissaient très bien le sujet, et ç’a a été échange très intéressant, assez vif, où l’on a confronté nos points de vue, au final pas très éloignés. Nous en avons retiré plutôt l’impression que leur opinion n’était pas forgée sur tout et que le but des auditions était d’avoir une vision assez large des points de vue.

Nous sommes pour notre part entrés dans la discussion en disant que, pour pouvoir parler librement, il fallait que la discussion ne soit pas instrumentalisée. Sur la question des seuils et de leur caractère parfois abrupt pour entrer ou quitter le système, nous sommes prêts à discuter, mais la discussion peut pas être déconnectée du contexte budgétaire. Nous ne voulons pas que l’on se serve ensuite d’une telle discussion pour prétendre que nous validerions une baisse budgétaire.

Notre but est de conforter l’éducation prioritaire et de traiter des situations qui ne le sont pas aujourd’hui. Mais comment serait-il possible d’évoluer vraiment avec des moyens identiques voire en baisse ?

Nous avons souligné que les CP et CE1 dédoublés ont encore davantage figé la géographie de l’éducation prioritaire que tout le reste, le ministre s’étant engagé à ne pas revenir sur les CP dédoublés là où il y en avait. Dans le contexte budgétaire, il semble difficile de rajouter des moyens quelque part si on ne peut pas en enlever ailleurs.

Est-ce que le périmètre de la mission, qui mêle éducation prioritaire, territoires ruraux et d’outremer, vous inquiète?

Les territoires sont les grands oubliés depuis le début du quinquennat, les élus ont été méprisés, mis de côté, ils ont l’impression d’arriver à la fin de toutes les politiques menées, une fois qu’elles se mettent en place. Le fait qu’on s’intéresse aux territoires et qu’on essaye de travailler avec les associations d’élus est donc forcément intéressant.

Le ministre a dit qu’il ne voulait pas opposer rural et urbain, mais il ne faudrait pas en venir à la fin à considérer que les problèmes se posent seulement dans le rural. Nous avons perçu dans la mission une vision très tournée vers le rural en difficulté, et c’est vrai qu’il y en a, mais il y a aussi beaucoup de territoires ruraux riches et pas toujours une répartition équitable des moyens. Il y a des moyens à récupérer en termes de taux d’encadrement, dans zones rurales les plus aisées (où l’on peut trouver des effectifs à vingt élèves de maternelle par classe là où il y en a trente en ville).

Quelles sont les propositions portées par le Réseau?

Pour commencer, qu’il n’est pas normal que l’on accorde les mêmes moyens dans les zones défavorisées et dans les zones favorisées. Il faut un redéploiement, et surtout des moyens supplémentaires, surtout dans le premier degré où il en manque. Cela doit se jouer à l’échelle des PEDT (projets éducatifs de territoire), pour intégrer la question du périscolaire dans l’éducation prioritaire. L’État doit avoir un rôle de péréquation aussi pour les temps périscolaires.

Le plan mercredi est inopérant parce qu’il n’y a presque plus d’enfants dans le périscolaire dans les villes relevant de la politique de la Ville qui sont revenues à quatre jours de classe par semaine. La fréquentation des temps périscolaires a baissé le soir et la fréquentation du mercredi matin n’a pas rattrapé cette baisse. On a constaté dans un certain nombre de villes une baisse très forte de fréquentation les mercredis après-midi. Faute de moyens, les parents s’arrangent pour garder les enfants toute la journée à la maison.

Nous demandons que le plan mercredi soit modulé selon la typologie de la ville, il n’est pas normal qu’on mette un euro par élève à Neuilly, et autant à Saint-Denis où il y a plus de besoins.

Et puis, il faut intégrer le privé à l’obligation de mixité sociale. On va à l’échec total de toute la politique de mixité et d’éducation prioritaire si on vide les établissements publics de leur mixité en finançant le privé, et comme on ne leur demande pas de mixité sociale, on doit compenser et financer le manque de mixité induite dans le public. Nous demandons également que soit possible une modulation des forfaits aux écoles privées versées par les collectivités en fonction des réalités des écoles (selon qu’on y trouve de la mixité, des classes comme les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants, UPE2A).

Enfin, nous voudrions que soient étendus à l’ensemble des écoles en éducation prioritaire les moyens de formation supplémentaire et la souplesse qui aujourd’hui sont accordées seulement dans les REP + (réseaux d’éducation prioritaires renforcés).

Comment le réseau se positionne-t-il sur la question du « label » éducation prioritaire, que la Cour des comptes suggère de supprimer et que l’OZP milite pour conserver ?

Aujourd’hui, le label est jugé plus positivement par les familles, qui ont tendance à le défendre. Nous ne défendons pas forcément le label, mais surtout la proportionnalité des moyens. Mais cela ne doit pas se faire sur le dos des écoles les plus défavorisées. Il faut mesurer que, dans ces écoles et ces quartiers-là, on peut avoir l’impression que rien ne s’améliore, rien ne change, alors que c’est en partie aussi parce que les familles en partent, dès qu’elles le peuvent.

Si l’on veut vraiment que l’éducation prioritaire évolue, il faut faire évoluer la carte. Certaines écoles gardent des labels de façon moins justifiée alors qu’il y a des besoins ailleurs.

Vous demandez des États généraux de la politique d’éducation prioritaire, quand l’OZP a annoncé prendre l’initiative d’une évaluation globale en 2019, que le ministère devait faire et à laquelle il semble renoncer. Est-ce que pourtant tout n’a pas été dit déjà sur l’éducation prioritaire ?

Jean-Michel Blanquer dit depuis le début du quinquennat qu’il veut le grand soir de l’éducation prioritaire, mais tout est désormais figé par les CP et CE1 dédoublés. Nous voulons des États généraux pour réfléchir avec tous les acteurs sur ce que l’on voudrait comme nouveau système. On ne peut plus penser l’éducation prioritaire uniquement à l’échelle de l’État, ce n’est pas logique du tout. Les moyens des collectivités et des écoles doivent être proportionnés.

Jusqu’à il y a quelques années on était sur des différentiels de qualité du bâti, mais là, on rajoute les inégalités numériques (entre les villes où toutes les écoles sont équipées de tablettes, de tableaux interactifs, et les villes pas entièrement équipées de vidéoprojecteurs interactifs). Si ce matériel est indispensable aujourd’hui comme l’était tableau noir ou vert « dans le temps », il faut faire en sorte que toutes les écoles en soient équipées.

Par ailleurs, nous demandons un décalage des décisions annoncées pour la rentrée 2020 à 2021, après les élections municipales. Sans quoi, il n’y aura pas la même équipe municipale entre le début et la fin de l’année scolaire où la réforme sera discutée. En outre, avec des annonces en pleine campagne électorale, les élus voudront afficher qu’ils se battent pour que les écoles restent classées en REP, cela va polluer la nécessaire réflexion sur les véritables enjeux.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Crédit photographique : Gilles Michallet, Villeurbanne


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