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La transition écologique, objet de recherche collaborative en éducation
Comment agir ensemble face à la transition écologique ? Comment l’enseigner ? À l’Institut français de l’éducation (IFé) et dans ses lieux d’éducation associés (LéA), enseignants, chercheurs et acteurs de terrain croisent leurs expériences. Leur pari : faire de la recherche collaborative un levier de transformation durable pour l’école et les élèves, mais aussi pour la société tout entière. Récit de la journée de réflexions et de débats qui les a réunis le 14 octobre 2025.La salle de l’Institut français de l’éducation s’ouvre. Ce mardi 14 octobre 2025, elle accueille une mosaïque de métiers : des professeurs des écoles, de collège et de lycée, des enseignants de l’Éducation nationale ou de l’Enseignement agricole, des chercheurs et chercheuses, des représentantes d’institutions.
Toutes ces personnes partagent un point commun : elles s’impliquent dans une recherche collaborative (LéA-IFé) qui questionne la transition écologique. Certaines étudient les effets d’un nichoir connecté en classe, d’autres analysent les retombées éducatives des excursions d’élèves dans la vallée de la Roya, d’autres encore questionnent la fresque du climat ou les représentations du changement climatique à l’école.
La projection sur l’écran blanc annonce la couleur : « Le titre reste à trouver ». On reconnait d’emblée la culture de la collaboration que portent ces projets de recherche. L’exigence n’est pas de répondre à une commande prédéterminée, mais de penser et agir ensemble pour garantir la pérennité des transformations.
« Qu’est-ce qu’on se donne comme objectif aujourd’hui ? », demande l’animateur. Les réponses fusent : « partager nos travaux de recherche pour mieux se connaître », « confronter nos méthodes et nos approches pour mutualiser », « penser aux points communs et aux singularités de nos recherches sur la transition écologique », etc. La main d’une enseignante se lève timidement : « C’est peut-être bête, mais moi je suis aussi là pour prendre du plaisir. Pour me nourrir de ces réflexions partagées, j’aime bien ça. »
Les têtes acquiescent à l’unanimité comme pour rappeler un autre point commun : le besoin de s’extraire d’un quotidien effréné pour prendre le temps de penser ensemble et de renouer avec un certain enthousiasme collectif.
Les équipes de recherche réunies ont donc comme point commun de prendre comme objet d’étude un enjeu de la transition écologique : la biodiversité ou le réchauffement climatique. Un autre point commun, plus évident et donc, comme souvent, moins visible, c’est de se focaliser sur la dimension éducative. Dès lors, les recherches menées se déploient pour in fine servir les élèves. Encore faut-il savoir d’où on part pour éviter de plaquer nos représentations d’adulte.
« Nous avons diffusé un questionnaire et mené des entretiens avec les élèves », précise Nina Asloum, chercheuse dans le LéA Deficlim. Noëlie Mauranne, une enseignante de l’enseignement agricole impliquée dans ce projet de recherche, précise que l’étude des représentations d’élèves se divise en deux lots. La conclusion n’est pas à généraliser, les LéA ne se veulent pas modélisant, mais elle questionne : les élèves issus du milieu rural (Ardèche) sont globalement moins inquiets face au dérèglement climatique que les élèves issus de milieu péri-urbain (Aix-en-Provence).
Nina Asloum précise avoir aussi détecté dans cet échantillon un effet de genre : les filles expriment davantage des émotions (« Tout ça est inquiétant »), là où les garçons partagent plutôt une vision technique (« Il faut adapter les exploitations agricoles »).
Cette collecte des représentations fait ressortir une volonté forte des élèves : avoir des pistes concrètes pour atténuer ou s’adapter. Une élève de bac techno STAV (sciences et technologies de l’agronomie et du vivant) le résume ainsi : « On voit plein de choses sur le réchauffement climatique, mais il n’y a jamais de solutions. Ils nous informent, mais ils ne nous expliquent pas comment il faudrait faire. »
Suite à cette présentation, un chercheur partage son questionnement : « C’est bien joli, de partir des élèves, mais est-ce bien suffisant vu notre thématique ? Je remets un peu en cause cette noble intention qui pense que c’est en éduquant les enfants d’aujourd’hui qu’on va changer le monde de demain. Et si on allait plus loin ? » Une enseignante réagit : « Oui, je suis d’accord. Dans notre LéA, on essaye de travailler pour tout le monde, pas uniquement les élèves, car les enjeux de nos recherches concernent tout le monde ! »
Des interventions qui rappellent une évidence : l’éducation, ce n’est pas forcément de 3 à 16 ans, mais c’est toute la vie.
La suite de l’après-midi consiste à confronter les expériences de chacun et chacune sur des invariants liés aux recherches sur la transition écologique. « Confronter » : le mot ne semble pas faire peur à ces habitués des recherches collaboratives qui cultivent l’art de la dispute féconde.
Un invariant soumis au débat génère de la friction : « Travailler un objet de transition écologique avec des élèves active des émotions fortes qui peuvent être soit un levier d’implication soit un frein à l’action. »
Toutes et tous ne sont pas d’accord. Un chercheur nuance : « Attention à ne pas trop s’enfermer dans nos représentations. Dans notre LéA Schémaclim, sur la fresque du climat, on observe des élèves qui ne sont pas traversés par des émotions. Certains sont dans une sorte d’indifférence. » Aurélie Zwang, chercheuse dans le LéA Nichoirs connectés, complète : « C’est aussi à nous de ne pas en faire un sujet d’émotions négatives par essence, par exemple ne pas nécessairement utiliser le terme d’effondrement pour qualifier l’érosion de la biodiversité. »
Une enseignante du LéA Éducation au futur affirme : « Les sujets de transition écologique suscitent des émotions, comme se confronter à un problème de maths, finalement. Mais la différence, c’est que nous, on cherche à en faire quelque chose, ce n’est pas une dispersion de concentration. »
Un autre invariant est évoqué dans le collectif : « Étant donné le sujet global de nos LéA, il devient nécessaire de mettre en œuvre la transdisciplinarité et de mobiliser des acteurs non académiques. » Ici, le consensus est au rendez-vous et pourtant, ce qui questionne, c’est le rôle des acteurs associatifs ou l’intervention d’autres institutions dans le projet de recherche.
Sophie, professeure des écoles dans le LéA Devenir co-auteur de la vallée de la Roya, témoigne : « Dans notre LéA, on travaille avec le Parc national du Mercantour. C’est intéressant, car les intervenants du Parc mettent la focale sur l’évaluation du projet pour légitimer leurs interventions pédagogiques dans la vallée. Pour nous, c’est une force de rappel qui cadre notre recherche. » Elle poursuit en expliquant qu’une association nature de la région intervient auprès des classes plusieurs fois dans l’année et participe à la recherche collaborative. Pour elles et eux, la focale de la recherche est de mesurer ce qui reste, et ce qui passe chez les parents lorsqu’on sensibilise les enfants.
Finalement, l’assertion qui faisait débat au début de l’atelier se complète : « C’est en éduquant les enfants d’aujourd’hui qu’on va changer le monde de demain »… peut-être parce qu’ils et elles sont les seuls à pouvoir influencer leurs parents.
L’atelier se termine. Les discussions se poursuivent dans le couloir. Le lendemain, un enseignant me confie : « Ça m’a bousculé hier, je repars avec des questions et des envies de réfléchir plus longuement. »
La recherche collaborative entre enseignants et chercheurs c’est un peu ça : bousculer, penser, transformer au long cours.

présentation synthétique des LEA-IFE
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