Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

L’institut Agro de Montpellier SupAgro, à Florac, emmène en début d’année une partie de ses élèves en itinérance de cinq jours. Retour et bilan sur un dispositif pédagogique.

Dans le cadre de l’enseignement agricole, nous construisons un dispositif de recherche-action-formation dans une démarche de projet et d’innovation permettant de trouver un équilibre entre la dimension éducative et la dimension pédagogique-formatrice, en utilisant la randonnée pédestre et le travail sur les compétences écopsychosociales. La dimension écopsychosociale propose des interventions et des attentions sur les dynamiques relationnelles articulant soi, les autres et le monde. Pour moi, elles s’inscrivent dans une dynamique d’autonomie, d’émancipation et d’encapacitation (autoformation existentielle) de la personne dans sa relation à elle-même, aux autres et au monde (l’oïkos). Nous accompagnons l’équipe et la classe, lors d’une immersion en itinérance pédestre, souvent en début d’année scolaire. Chaque jour, sont parcourues quelques dizaines de kilomètres et les nuitées se font en gites ou sous la tente.

Favoriser le vivre ensemble

Lors de cette semaine, nous, les formateurs de Florac, animons des ateliers et des temps dont l’objectif principal est de développer un climat scolaire favorable à la transformation des relations pour un mieux « vivre ensemble » sur notre Terre. Sur l’année, nous continuons à travailler avec l’équipe et la classe pour faire bouger le quotidien scolaire. Cela veut dire rendre les élèves acteurs et auteurs de leurs apprentissages et de leur scolarité, en leur laissant instaurer et animer, par exemple, des temps de vie de classe, ou proposer et réaliser des aménagements dans l’établissement. Une dynamique d’équipe peut s’engager en lien avec les jeunes pour construire des projets scolaires pertinents, qui font sens pour tous. L’objectif est d’expérimenter des pédagogies plus actives, concrètes, interactives donnant une place au dehors, aux approches corporelles, émotionnelles, relationnelles.

Suite à un travail de master en sciences de l’éducation nous faisons l’hypothèse que la marche facilite le changement et l’ouverture d’esprit, dans la relation à soi, à l’autre et aux milieux de vie. C’est un apprentissage actif, global de la personne, où l’existentiel, l’expérientiel et la formation formelle s’entremêlent et s’ajustent dans une dynamique émancipatrice et encapacitante. Ces aspects s’ajoutent aux bienfaits sur la santé physique et mentale démontrés par de nombreuses études scientifiques récentes.

Bilan provisoire

Après cinq années d’expérimentations avec des établissements publics de l’enseignement agricole, nous avons identifié les intérêts et des limites d’un tel dispositif. Les impacts sont multiples et tous n’ont pas pu être mesurés ou identifiés. Toutefois, que ce soit nos observations en tant qu’accompagnateurs ou celles des enseignants et des jeunes eux-mêmes, plusieurs retours très positifs ont émergé. D’abord, sur la dynamique de groupe : les jeunes développent une très forte cohésion, chacun trouve sa place, un climat de confiance s’installe. Ils s’expriment davantage et interagissent plus facilement avec la communauté éducative, surtout auprès des équipes parties en immersion avec eux. Parce qu’il y a eu des temps d’échanges, de solidarité, voire de complicité, ils se connaissent mieux, ce qui facilite la mise en place d’un accompagnement adapté. La relation éducative et pédagogique est renforcée.

À la fin de l’itinérance, les équipes remarquent que les jeunes ont une meilleure estime d’eux-mêmes, des comportements plus matures, plus calmes, avec une attention portée à l’autre et à la nature. Nous avons été témoins de changements d’attitude parfois spectaculaires entre les élèves ou entre élèves et l’équipe éducative. Une conseillère principale d’éducation, ayant participé à plusieurs immersions, témoigne : « L’autre chose que je vois, comme résultats et impacts, c’est la place laissée à l’expression au travers des ateliers, là on leur donne l’opportunité de s’exprimer et d’être écoutés, ce qui ne se passe jamais à l’école. »

Des changements

Pour certains, marcher durant plusieurs jours en portant toutes ses affaires, dormir dans un gite ou sous une tente, sortir de son territoire, franchir un sommet de montagne, se balader de nuit pour écouter le brame du cerf est une véritable aventure. Ils gardent un souvenir inoubliable de ce moment. Les familles témoignent par la suite des changements et du vécu de leur enfant et remercient l’équipe.

Concernant les limites, nous en avons identifié un certain nombre. L’équipe qui part avec la classe développe une relation privilégiée avec les jeunes, leur regard change ainsi que leur façon de les appréhender, ce qui peut créer des incompréhensions avec les collègues qui ne sont pas partis. De fait, la semaine d’immersion en itinérance pédestre est comme une bulle hors du temps et de l’espace scolaire habituel. Elle permet à chacun d’évoluer et de sortir de son rôle. Alors quand, dès le lundi suivant, tout le monde revient dans l’établissement en reprenant ses habitudes, son quotidien, et que l’équipe rencontre des difficultés à amorcer des changements structurels au niveau pédagogique et éducatif, par exemple mettre en place un temps de vie de classe, des tensions peuvent surgir au sein de l’équipe et avec les élèves. Il est fondamental d’ancrer les changements pour intégrer la qualité relationnelle dans le quotidien.

Aujourd’hui, ce dispositif reste une des modalités que nous proposons aux équipes éducatives. Il s’avère plus pertinent de le mettre en place avec des classes de 4e et 3e plus souples sur le programme scolaire. Nous expérimentons actuellement des classes itinérantes sur plusieurs séjours, à la découverte de professionnels et de nouveaux territoires.

Orane Bischoff
Ingénieure pédagogique SupAgro, Florac