Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

La qualité de vie des élèves à l’école, cet impensé

Le collectif Nos services publics publie aujourd’hui un épais rapport sur l’état des services publics, en partant de l’évolution des besoins de la population, en matière de santé, d’éducation, de transport, de justice et de sécurité. Le constat général est celui d’un « décalage croissant entre les besoins sociaux et les moyens des services publics ». Pour ce qui concerne l’éducation, il pointe en particulier la non prise en compte des besoins des enfants et de leur bienêtre, « principal impensé de l’institution scolaire ».

Le rapport sur l’état des services publics du collectif Nos services publics croise les regards d’une centaine d’agentes et d’agents de terrain, de chercheuses et de chercheurs, de cadres de l’administration, de citoyennes et de citoyens, et retrace les principales évolutions des services publics étudiés, au cours des dernières décennies. Ils constatent une très importante évolution des besoins sociaux en matière de services publics.

Les porte-paroles du collectif soulignent la spécificité de leur démarche : les besoins des usagers sont un point d’entrée rare ; le plus souvent, le point d’entrée pour les professionnels des services publics ce sont les économies budgétaires ou la réforme « à moyens constants ».

Ainsi, même si les moyens des services publics ont pu ponctuellement augmenter depuis vingt ans, ils augmentent « moins rapidement que les besoins sociaux, et l’écart entre les premiers et les seconds tend à s’aggraver ». La baisse du nombre des agents publics en particulier « contribue aux difficultés croissantes rencontrées par les agents publics et alimente un phénomène de désaffection à l’égard des emplois publics ».

Le collectif alerte sur le fait qu’à ce besoin en moyens « s’ajoute désormais l’enjeu du financement d’une transition écologique socialement juste ». Il propose des pistes pour renouer le lien des services publics avec les besoins de la société.

Une incapacité à répondre aux besoins

Car les écarts croissants entre les besoins de la population et les moyens des services publics aboutissent à une incapacité de ceux-ci à répondre aux besoins de celle-là. Le collectif cite trois conséquences de cet écart croissant communes à tous les domaines étudiés.

La création d’un espace croissant pour le secteur privé le plus souvent lucratif, représentant pour les usagers un cout supérieur et caractérisé par l’absence d’accueil inconditionnel. Ce secteur privé est très subventionné par la puissance publique. Ainsi, les écoles privées sous contrat représentent une dépense de 8,5 milliards par an. Elles scolarisent en outre « une part croissante d’enfants de familles à fort capital culturel (40 % d’enfants de familles très favorisées en 2021 contre 29 % en 2003), quand la part des enfants de familles défavorisées y a reculé ». La défiscalisation des cours particuliers, quant à elle, constitue également une dépense publique en faveur du secteur privé, très difficile à évaluer. Les dernières données publiées montrent toutefois un recours nettement plus important à ces aides à la réussite scolaire dans les familles aux revenus les plus élevés.

De fait, une deuxième conséquence du creusement des écarts entre les besoins des usagers et les services publics est le creusement des inégalités dans la société.

Ceci amène une troisième conséquence, « le rapport des citoyens aux services publics se dégrade », malgré un très fort attachement de la population aux services publics et à l’idée d’un État autonome dans son action. La confiance de la population dans ces services est « amoindrie ». Et la rupture est aussi créée avec les agents publics qui « assistent, au premier rang, à cette détérioration du lien entre services publics et population, autant qu’ils en subissent directement les conséquences dans leur travail ». Cette double rupture est « un impensé des politiques publiques », observe le collectif, malgré le fait que, depuis vingt-cinq ans, le nombre de candidats aux concours de la Fonction publique d’État a été divisé par quatre, et que le nombre moyen de jours d’absence pour raisons de santé progresse dans l’ensemble de la fonction publique de plus de 20 % entre 2014 et 2019.

Une massification scolaire sans démocratisation

Sur l’éducation plus précisément, le rapport rappelle que la massification scolaire opérée depuis quarante ans a été « réalisée à modèle pédagogique quasi constant », avec une pédagogie qui « conduit à penser la classe et non les élèves », et n’a pas produit une démocratisation « à la hauteur des enjeux de réduction des inégalités ». Dans le même temps, « les pratiques d’évitement des familles dotées d’un fort capital culturel se sont intensifiées, renforçant la mécanique de reproduction des inégalités sociales par l’école ».

Le rapport cite des chiffres de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) : « à peine 50 % des enfants de 13 et 15 ans en France se sentent très soutenus par leurs enseignants et enseignantes, seuls 20 % d’entre eux disent “beaucoup aimer l’école” et une fille sur trois et un garçon sur cinq de 15 ans se sent sous pression par ses devoirs ». Pour le collectif, « il est symptomatique que l’invocation d’un « intérêt supérieur de l’enfant » se limite ainsi aux enjeux de violence et de harcèlement ». En conséquence, de nombreux besoins des enfants ne sont pas pris en compte par l’institution scolaire, le rapport citant en exemple la santé mentale, le temps de l’enfant ou le rythme de la journée.

Conséquence qui ne surprendra guère : ce « refus de prendre au sérieux la qualité de vie des élèves dans l’enceinte scolaire » contribue selon le collectif à « une perte de sens généralisée ressentie par des agents, mis dans l’incapacité de réaliser leur mission au contact quotidien des enfants ».

Cécile Blanchard

Le rapport est accessible sur le site du collectif : https://nosservicespublics.fr/rapport-etat-services-publics-2023


À lire également sur notre site :

Parcoursup : classer quoi qu’il en coute ? Compte rendu de la note du collectif Nos services publics, par Cécile Blanchard
Le bienêtre à l’école : bonne ou mauvaise préoccupation ? Par Andreea Capitanescu Benetti, Laetitia Progin et Olivier Maulini


Sur notre librairie :

 

N°575 – Le bienêtre à l’école

Dossier coordonné par Andreea Capitanescu Benetti et Maëliss Rousseau

La recherche en éducation met de plus en plus l’accent sur l’importance du bienêtre à l’école, et les conditions à mettre en œuvre pour que les élèves persévèrent et réussissent scolairement, voire développent leur personnalité. Cela demande de faire émerger une relation apaisée entre les élèves, les enseignants, et les savoirs.

 

 

N°520 – École et milieux populaires

Dossier coordonné par Florence Castincaud et Jean-Pierre Fournier

Le mythe de l’égalité républicaine, nous n’y croyons plus trop, nous savons bien que certains élèves «  sont plus égaux que d’autres  ». Nous ne sommes pas naïfs. Mais pour la plupart, enseignants et acteurs de l’éducation, nous pensons travailler à la promotion de tous et souhaitons souvent pouvoir «  compenser  » les inégalités.