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Un « rapport d’étonnement » qui (d)étonne


Le rapport d’étonnement 2021-2022 des auditeurs de l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2EF) est consacré à la laïcité. Il est assez critique sur la politique menée actuellement sur cette question dans l’Éducation nationale. De quoi s’agit-il et que dit-il ?

Écartelée, la laïcité dans l’Éducation nationale ? C’est l’image qui émerge, derrière les circonlocutions d’usage, du récent rapport frappé du sigle de l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2EF), écrit par la promotion 2021-2022 des « auditeurs » de cet institut.

Qui sont ces auditeurs ? Recrutés chaque année au nombre d’une vingtaine, ils viennent de divers services de l’Éducation nationale ou de l’université, de toute la France, pour travailler durant dix mois sur un thème imposé, relatif à l’école. Ils écrivent ensuite un « rapport d’étonnement » : ils sont invités à s’exprimer librement, à ne pas taire leur surprise devant ce qu’ils voient, pour faire bénéficier l’institution d’un regard tiers, celui de partenaires empathiques qui s’expriment en dehors de la chaine hiérarchique, comme le suggère dans sa préface Alain Boissinot, ancien recteur, ancien directeur de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation nationale.

La démarche, originale, combine donc engagement en responsabilité de la part des auditeurs et autorisation de critique de la part de l’institution.

Grand écart

Le thème assigné à la promotion 2021-2022 était « la laïcité et les valeurs de la République, de l’école à l’université ». Sur ce thème ressassé, ce rapport mérite d’être lu. D’autant qu’il est court, vingt-huit pages. S’il n’évite pas toujours la novlangue, il dégage un constat fort, à savoir qu’entre le principe constitutionnel de laïcité et la réalité institutionnelle de la laïcité, faite de formations dispensées, de déclarations et de règles locales, il y a un grand écart. Cet écart et la confusion qui s’ensuit, beaucoup les ressentent. La campagne ministérielle de septembre 2021, « C’est ça la laïcité », en a été un bel exemple. Alors, cela fait du bien de voir le diagnostic de l’écartèlement posé, écrit noir sur blanc dans un rapport autorisé.

Alors que la laïcité, dans son principe, va de pair avec la liberté et l’égalité, ce n’est pas ce que voient les auditeurs : « L’appréhension de la laïcité, par les atteintes à son encontre, comme une menace pour le climat scolaire ou encore un sujet à risque de conflit avec les élèves et leurs parents est une observation marquante des auditeurs. Même dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), […] la laïcité reste largement perçue par les étudiants du master Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF) rencontrés comme une difficulté potentielle, à travers les atteintes dont elle peut être l’objet, et non comme la condition d’un enseignement libre. »

Les auditeurs poursuivent en relevant que la formation dispensée aux stagiaires et personnels s’appuie sur « des cas » qui « concernent souvent des atteintes à la laïcité, ce qui entretient une vision défensive de celle-ci » (p. 25).

Des opinions plutôt que du droit

Le droit compte peu dans les représentations de la laïcité parmi les personnels rencontrés. « D’une manière générale, des positions personnelles, des opinions, déconnectées du cadre juridique et du contexte d’exercice, s’expriment dans les cercles professionnels auxquels les auditeurs ont eu accès. Le risque est alors que ces opinions ne deviennent l’usage et ne tiennent lieu de règle, parfois en contradiction directe avec le droit positif, méconnu et contesté » (p. 24).

Les auditeurs doutent que « l’inflation normative » favorisée par la loi du 24 aout 2021 « confortant le respect des principes de la République » (dite aussi loi contre le séparatisme) ait un effet de clarification. Sur le terrain, les conflits apparaissent profonds, cristallisés. Or, « faire émerger une véritable éthique de la laïcité, à l’échelle d’un établissement, suppose de dépasser les conflits inhérents à la constitution de collectifs regroupant des personnels défendant des positions parfois très éloignées, archétypales, voire militantes » (p. 26).

Le rapport donne quelques pistes pour remédier aux maux débusqués, mais c’est le diagnostic, brièvement restitué ici, qui donne à réfléchir. Un parler vrai bienvenu. Et formateur…

Françoise Lorcerie
Directrice de recherche émérite CNRS, unité mixte de recherche Iremam (Institut de recherches et d’études
sur le monde arabe et musulman)

Sur notre librairie :

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N° 513 – Quelle éducation laïque à la morale ?
Coordonné par Elisabeth Bussienne et Michel Tozzi
Que s’agit-il d’enseigner, pour ce qui ne peut se réduire à une discipline scolaire ? Dans quel objectif, entre pacification des relations et formation du jugement moral ? Qui pour le faire, dans quel cadre ? Bien des questions, et ce dossier ose dès maintenant des réponses, dans la conviction que nous touchons là à un rôle fondamental de l’école.

 

 

 

Petit cahier n°8 – Faire vivre la laïcité

Objet de débats, de polémiques, d’anathèmes et de récupérations, la laïcité demeure un principe fondamental à l’école et pour les pédagogues. Six articles pour définir simplement la laïcité et donner des pistes pour qu’elle demeure un outil qui autorise au service des apprentissages, de l’émancipation et de l’égalité.