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La créativité pédagogique, source de jouvence professionnelle

Denis Sestier

Denis SestierDenis Sestier place le plaisir d’apprendre et d’enseigner au fronton de ses pratiques professionnelles. À l’aube de sa retraite, cet enseignant en histoire-géographie nous raconte comment, du jeu aux travaux pluridisciplinaires, il use de la liberté pédagogique pour mieux vivre jusqu’au bout son métier.

Il aurait pu être juge pour enfants ou assistant social, ou exercer toute autre profession liée à l’éducation, le secteur qui l’attirait. À la fin de l’adolescence, le BAFA en poche (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur), il a travaillé dans le secteur de l’animation et notamment, selon les termes de l’époque, auprès de l’« enfance inadaptée ». « Ce travail avec des éducateurs a contribué à ma formation et à mon intérêt pour les difficultés cognitives et les stratégies pour amener des jeunes qui ne sont pas dans la facilité à apprendre. »

Son cursus universitaire en histoire le mène à l’enseignement. Pendant ses études, il travaille comme surveillant, puis il passe le concours de PEGC (Professeur d’enseignement général de collège) et, après quelques années, le Capes (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) : « J’ai suivi un parcours classique à l’Éducation nationale. » Il enseigne d’abord en collège puis depuis plus de dix ans en lycée, mais toujours en Normandie.

Son métier, il l’a appris sur le terrain mais aussi en grande partie au sein de groupes de réflexion, en particulier de formations actions. « Nous étions réunis par l’inspecteur pour réfléchir collectivement sur un thème, fournir un état de la pédagogie et faire des propositions pour des mises en œuvre en classe. » Il apprécie ces temps où il apprend auprès de collègues férus de pédagogie et de didactique. Il contribue ainsi à des travaux sur des thèmes comme « Tous capables en histoire-géographie » ou encore « Raisonner en histoire-géographie ». Et c’est dans ces circonstances qu’il rencontre Yvan Hochet avec qui il fonde le réseau Ludus.

Travailler avec des jeux

« On a découvert mutuellement que l’on travaillait avec des jeux en classe. À l’époque, en 1998, ce n’était pas très répandu. » Tous les deux, ils proposent à leur inspecteur d’animer une formation sur le thème. L’idée est validée, même s’il n’y a aucune certitude sur l’intérêt des enseignants pour une telle thématique. Les doutes sont vite levés puisqu’il y a plus de volontaires que de places pour le stage. Les participants souhaitent même, à l’issue de la formation, prolonger le travail en commun.

C’est ainsi que nait le réseau Ludus, sous une forme tout d’abord informelle et avec des rencontres en présentiel et en dehors du temps de travail. « Au début, c’était juste pour mutualiser et tester nos jeux. Et puis, en 2000, nous avons reçu le prix de l’innovation éducative ce qui nous a fait connaitre et nous a également permis de financer l’achat de jeux. ».

En parallèle, le nombre de candidats pour les formations augmente progressivement. L’offre s’étoffe avec un niveau 1 pour les débutants et un niveau 2 pour les enseignants plus aguerris. Le succès ne se dément pas, avec comme clés principales une approche concrète et une application possible en classe. « C’était aussi lié à la façon non descendante dont on menait nos formations. Les enseignants repartaient avec des outils qu’ils pouvaient utiliser tout de suite. Ils voyaient l’intérêt immédiat ».

Photo en plongée sur de stables de classe avec des éléments du jeu Littoral (une fiche "Acteur", une feuille avec le tracé d'un littoral et des QR codes), un stylo, des ciseaux, et des mains d'élèves en train de pointer des éléments sur une feuille du jeu.

Des élèves de 2de jouent à Littoral
Le gout de la formation

Denis Sestier prend gout à être formateur. Et, quelques années plus tard, il bénéficie d’une décharge de quatre heures pour se consacrer à la formation des sujets variés. « Je crois beaucoup à la formation continue. C’est un moyen de résoudre nombre de difficultés pédagogiques à l’école et de faire évoluer les pratiques. Mais cela nécessite du temps, des rencontres physiques pour confronter les points de vue, débattre. Tout le contraire de ce qui est mis en place aujourd’hui. »

Décidée l’an dernier au niveau national, la nouvelle organisation des formations des enseignants, en dehors des temps de travail et le plus souvent à distance, l’amène à quitter les fonctions de formateur qu’il exerçait avec plaisir depuis vingt-cinq ans.

Le jeu est une constante dans son approche pédagogique. Il est présent depuis sa première année d’enseignement. « Il se passe quelque chose avec le jeu en classe, sur le plaisir d’apprendre, sur le climat de classe. C’est un outil d’inclusion pour les élèves qui sont les moins intéressés par l’école, mais aussi un outil de réussite pour tous. »

Le jeu comme composante d’une pédagogie

Les plus utilisés au sein du réseau Ludus sont les jeux classiques facilement adaptables, des jeux de plateaux, de cartes, de simulation ou de rôle. Il en est de même dans ses pratiques en classe. Il cite un jeu de simulation sur les cités grecques ou encore de fonctionnement d’un conseil municipal destiné à des 6e.

Mais pour lui, la dimension ludique n’est qu’une composante d’une approche globale avec pour objectif de favoriser le plaisir d’apprendre pour les élèves. L’organisation de sorties, de rencontres avec des témoins, des activités en classe, l’usage de l’humour et de la bienveillance sont également mobilisés pour diversifier les modalités d’apprentissage.

« J’ai été très inspiré par des pédagogues et en particulier Philippe Meirieu et son pari sur l’éducabilité de tous, sur le fait que tout le monde peut progresser et apprendre à condition que les adultes aident à trouver les bonnes clés. » Il est convaincu que la créativité pédagogique est le moyen de faire son métier le mieux possible et pendant longtemps. « C’est la fille naturelle de la liberté pédagogique qui ne s’use que si on ne s’en sert pas. »

Créer et varier les activités

Il perçoit l’histoire-géographie comme une matière propice à la créativité. Il mise sur la variété des activités pour « faire rêver les gamins, répondre à leurs questionnements ». Les productions peuvent prendre la forme de sketch notes, de vidéos, de textes ou de doublages de vidéos.

Les élèves peuvent eux-mêmes faire des propositions de travaux. Ils ont la liberté de choisir de faire des productions complémentaires, publiées s’ils le souhaitent sur un « mur des chefs-d’œuvre » numérique. « C’est dans la variété que chaque enfant peut trouver du plaisir à apprendre. La notion de liberté est également indispensable ».

L’évaluation est vécue comme constitutive de l’apprentissage, loin de l’idée de sanction, avec la possibilité pour l’élève de s’améliorer, là aussi s’il le souhaite. Un portfolio sert notamment de support à l’évaluation de l’élève. Il inclut certains travaux de classe, les travaux complémentaires et les évaluations. « Cela repose beaucoup sur la liberté. On joue aussi sur la responsabilisation progressive de l’élève. L’idée est de créer un climat de classe où les élèves se sentent le mieux possible, où chacun puisse trouver son bonheur à un moment donné ».

Photo montrant en arrière-plan une dizaine d'adultes en train d'interagir en formation, les uns debout les autres assis. Au premier plan, des dés de différentes tailles et des boites de jeu.

Un stage sur le jeu en histoire-géographie en 2020.

 

Pas de miracle

Pour lui, ces démarches ne sont pas miraculeuses et certains élèves resteront probablement en marge des apprentissages, mais moins que dans des démarches plus classiques ou routinières. Il mise aussi sur le travail d’équipe et l’interdisciplinarité pour proposer des activités inédites sortant du quotidien de la classe. « Cela permet de travailler en équipe et de montrer que les matières ne sont pas cloisonnées. »

Cette année, en s’associant avec ses collègues de mathématiques, sciences de la vie et de la Terre et physique-chimie, il a proposé des travaux de groupe sur le changement climatique avec les ressources du GIEC normand comme supports. Pendant une semaine, et sur les heures des quatre disciplines, les élèves vont travailler sur une présentation des divers risques qui concernent la Normandie. Les productions seront réalisées sous forme de sketchnotes filmés et commentés par les élèves eux-mêmes sous la forme d’audioguides.

Trouver les marges de manœuvre

« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a plein de marges de manœuvre même s’il existe des pesanteurs, les effectifs de classe par exemple, qui sont un fléau et un véritable obstacle à la mise en œuvre de pédagogies actives et à une évaluation individualisée. On peut trouver néanmoins de nombreuses façons d’être créatifs, de failles où se glisser, des marges de manœuvre à se saisir pour servir les élèves et mieux vivre sa vie professionnelle. »

Il évoque des projets menés en collège pour mieux accompagner les élèves en grande difficulté. « On travaillait par contrat avec les élèves et leurs familles et sur du volontariat. Je l’ai fait, avec des collègues, dans deux collèges différents, avec le sentiment d’avoir rendu service aux élèves, de les avoir aidés à être dans une dynamique de réussite. »

Le dispositif était expliqué et partagé avec l’élève et sa famille, à qui la décision revenait. Il se basait sur des programmes et évaluations adaptées et incluait des stages en milieu professionnel. La coéducation était à l’œuvre avec des rencontres organisées plusieurs fois dans l’année entre l’équipe pédagogique, les collégiens et leur famille pour faire le bilan du travail de l’élève.

Une attention particulière était apportée à l’orientation en essayant d’amener chaque élève vers sa propre voie de réussite. « L’idée n’était pas de discriminer ni de marginaliser les élèves en les retirant de leur classe d’origine mais au contraire de se donner des marges de manœuvre pour qu’ils retournent ensuite en classe ordinaire avec une vraie perspective de réussite dans la voie et vers le métier qu’ils avaient choisis. »

Il invite à rechercher « les portes ouvertes et à en ouvrir », pour rendre possible « ce type de dispositif devenu très difficile à mettre en place ». Certes, cela réclame du temps, de la volonté et de la formation. « Faire tout cela, c’est aussi une façon de bien vieillir dans le métier, de se surprendre, de vivre de bonnes relations avec les enfants et les parents. »

Monique Royer

Pour en savoir plus
Le blog du réseau Ludus
Magistère en auto inscription : Le jeu, un atout pédagogique (2022)


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