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Un jeu sérieux pour apprendre en profondeur…
La reconnaissance des végétaux est une compétence difficile à développer pour nos élèves, en classe de terminale de CAP Agricole, souvent en difficulté scolaire. Nous cherchions donc une autre technique que le « par cœur » pour les aider dans cette tâche. Le projet Hortispeed est né de la concertation d’une enseignante-chercheuse avec l’équipe enseignante qui avait exprimé le désir de rendre cet apprentissage plus ludique. Nous sommes partis de Jungle Speed qui est un jeu d’observation et de rapidité, car il répondait à notre principal critère, l’observation des formes des feuilles ou fleurs des plantes étudiées, tout en créant une émulation, car l’enjeu est bien de gagner !
Hors du terrain, reconnaître une plante, c’est savoir associer la photo d’une plante à son nom en français, voire en latin. La reconnaissance des végétaux demande donc aux élèves de développer leurs capacités d’observation mais aussi de mémorisation. Dans le jeu que nous avons conçu, les élèves doivent associer les différentes représentations d’une même plante — sous forme de photo de la plante, schéma ou par son nom — pour gagner. Le jeu total comporte vingt-cinq végétaux à reconnaître : quinze arbres à feuilles caduques et dix adventices (communément appelées mauvaises herbes). Les élèves doivent connaître les noms latins des arbres, mais pas des adventices comme l’ambroisie.
Pour aider les élèves à apprendre les noms des végétaux, nous avons suivi les conseils d’Alain Rieunier sur l’enseignement des faits : travailler l’information à apprendre en profondeur aide les élèves à mémoriser. Nous avons donc proposé aux élèves de créer ce jeu de A à Z. Première étape, une séance de présentation du principe du jeu en classe entière : pratique du Jungle Speed, détermination avec les enseignants des plantes qui seront utilisées dans l’Hortispeed, explicitation des critères de reconnaissance d’une plante (port de la plante, couleur et forme de ses feuilles ou fleurs).
Les élèves ont été ensuite répartis en groupes de quatre ou cinq, encadrés par un enseignant, et devaient travailler sur la création des fiches correction ainsi que des cartes de quatre arbres et deux adventices. La recherche d’informations se fait sur trois séances : nom commun et nom latin avec le genre et l’espèce ; photos et dessin de la plante étudiée ; anecdote ou information permettant de se souvenir de la plante, par exemple, « le platane est facilement reconnaissable grâce à son écorce aux motifs militaires ». Ils ont aussi réalisé des dessins d’observation de ces plantes.
Ces séances permettent de travailler plusieurs compétences des référentiels du CAPA liées à l’utilisation des outils numériques. Deux ont été nécessaires pour la création des fiches correction (la police et la mise en page des fiches correction et des cartes correspondent à l’adaptation nécessaire à la majorité des déficients visuels accueillis en CAP agricoles) et des cartes à jouer — ce qui nous permet d’aborder les compétences liées à l’utilisation d’un logiciel de traitement de texte et à l’impression de documents. Une autre séance a été consacrée la réalisation des fiches : découper, coller, plastifier. En parallèle, un élève nous a proposé un logo qui apparaît au dos des cartes à jouer.
Les élèves sont regroupés en classe entière pour tester le jeu par groupes de huit, en ayant à leur disposition les fiches de correction. En jouant sur des sous-ensembles ne comprenant que cinq végétaux, les élèves acquièrent la compétence « Reconnaître les espèces végétales indésirables et reconnaître les principales espèces végétales à partir de leurs caractéristiques anatomiques et morphologiques »1.
Nous pensons que ce dispositif peut être adapté dès lors que les élèves doivent apprendre à reconnaître des objets. Il pourrait s’agir d’outils, de verrerie en chimie, d’appareils de mesure en physique, d’insectes. Pour notre part, nous allons poursuivre l’utilisation de ce jeu en créant, comme pour le Jungle Speed original, des extensions en parasitologie avec les insectes, les maladies, les champignons.
Néanmoins, quelques difficultés sont apparues au cours de ce projet. La première est que tous les élèves ne connaissent pas la règle du Jungle Speed, qui est complexe : il faudrait diminuer le nombre de cartes pour en faciliter la découverte. Les élèves dyspraxiques (ou ayant d’autres troubles) peuvent avoir des difficultés de proprioception qui les gênent dans l’utilisation des cartes. Ensuite, dans le cours du jeu, les élèves ont souvent sélectionné des images qui ne correspondaient pas à la plante recherchée (en particulier dans les groupes où l’enseignant n’est pas spécialiste de la reconnaissance des végétaux). Cette difficulté à trouver des informations fiables et les erreurs qui en découlent sont instructives mais elles demandent une plus grande préparation en amont pour pouvoir avoir un œil critique quant aux données erronées que l’on trouve sur internet.
En revanche de nombreux aspects sont très satisfaisants : les élèves ont acquis des compétences sans en avoir conscience et beaucoup furent heureux de voir ce qu’ils avaient appris lors de l’auto-évaluation. Il nous a semblé que les élèves mémorisaient bien mieux que d’habitude les végétaux, en particulier ceux sur lesquels ils avaient travaillé lors de la construction des fiches de correction. Par ailleurs, pour remédier à la première difficulté évoquée, ce jeu sera utilisé en classe et on peut imaginer que les difficultés de compréhension de la règle ou la rapidité ne seront plus des obstacles à l’acquisition de la reconnaissance de végétaux, et que le plaisir de jouer sera alors le véritable moteur à l’apprentissage.
De manière plus générale, le travail en coanimation est réellement apprécié au sein de notre équipe. Ce plaisir est partagé par les élèves et se ressent dans l’ambiance générale de la classe. La coanimation génère de la créativité du fait de la complémentarité entre les enseignants. Nous avons pu tenter de nouvelles activités, nouveaux modes de gestion de la classe et de différenciation grâce aux taux élevé d’encadrement (quatre enseignants pour dix neuf élèves).
Ces séances nous aident à mieux connaître les programmes des autres enseignants, leurs manières d’enseigner et ainsi d’enrichir nos pratiques. La formation que nous proposons aux élèves est, de ce fait, davantage décloisonnée. Enfin, elles sont l’occasion de travailler des compétences vraiment transversales comme les compétences informatiques ou les savoirs-être. On peut juste regretter que les compétences liées aux savoirs-être ne se retrouvent que dans les référentiels liés à l’éducation physique et sportive et que l’on ne dispose pas d’un socle commun de compétences à l’instar de ce qui est fait au collège. Or ce projet se serait très bien prêté à l’évaluation de compétences liées à la compréhension de la règle et au respect de cette dernière.
Enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation, École normale supérieure de Lyon
PLP Travaux paysagers à la cité scolaire René Pellet-Établissement régional d’enseignement adapté Déficients visuels, Villeurbanne (Rhône)
En complément
Règle du jeu du Jungle Speed
L’ensemble des cartes est distribué aux élèves. Les cartes sont en pile devant chaque élève, faces contre la table. L’objectif du jeu est de se débarrasser de toutes ces cartes. Successivement, les élèves retournent la carte au sommet de leur pile et la posent face visible devant eux. Dès qu’il y a deux cartes identiques sur la table, les joueurs ayant la même carte doivent attraper le totem. La personne qui attrape le totem en premier se débarrasse de toutes les cartes qu’elle a déjà retournées et les donne à la personne qui avait la même carte que lui. Le perdant retourne alors la carte suivante pour continuer le jeu.
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