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Loin de la monotonie

L’École du Breuil, située dans le bois de Vincennes, possède une riche histoire et de fortes attaches avec la Ville de Paris. Fondée en 1867 par le baron Haussmann, elle avait alors pour vocation de pourvoir la ville en jardiniers aptes à entretenir le nouveau réseau de parcs et jardins. « Aujourd’hui, cette mission persiste encore et même si l’école est depuis 2019 un établissement public local, son fonctionnement reste très lié à la ville. Nous sommes un terrain d’expérimentation pour tester et impulser de nouvelles politiques en faveur de la transition écologique que ce soit sur le domaine ou dans nos enseignements. En ce moment, par exemple, nous travaillons à développer la place des arbres fruitiers en milieu urbain. »
Depuis le XIXe siècle, l’école a déménagé, a évolué dans ses activités, avec aujourd’hui un lycée professionnel, un centre de formation par apprentissage et un pôle de formation continue pour adultes. Les diplômes préparés vont du CAP au BTS agricole, complétés par une licence professionnelle et un master dispensé grâce à un partenariat avec l’université Paris-Saclay, toujours en lien avec le paysage. « C’est un cursus complet qui peut être un levier de motivation de poursuite d’étude pour beaucoup de jeunes. C’est également très motivant pour un enseignant de pouvoir confronter ses pratiques à des publics aussi divers. »
Rien d’étonnant à ce qu’Aurore Avril raconte si bien cet établissement, c’est ici, en tant qu’élève, qu’elle a « trouvé un sens à l’école », elle qui jusqu’alors ne s’épanouissait pas dans le cadre scolaire. Ici, elle a découvert un métier et une passion pour le paysage, a obtenu un BEP et un bac pro. « Ce passage à l’École du Breuil a déclenché ma vocation pour l’enseignement. J’avais envie, un jour, de participer à cela, de transmettre l’amour d’un métier aux jeunes. J’étais admirative de mes profs, du lien qu’ils avaient avec nous. »
Elle poursuit ses études en Suisse, à l’Hépia (Haute école du paysage, de l’ingénierie et de l’architecture), où elle obtient un bachelor. La découverte de la pédagogie pratiquée en Suisse la passionne. « Les professeurs étaient pour nous de vrais mentors et dispensaient des cours sous forme d’ateliers pratiques, de séminaires, de visites de site… Je reproduis, en tant qu’enseignante, ce que j’ai pu vivre là-bas étudiante. »
Elle revient en France, pour compléter son cursus d’aménagement du territoire par un master d’urbanisme à la Sorbonne. En première année, elle choisit de s’orienter vers la voie professionnelle puis bifurque en M2 recherche, avec un mémoire portant sur la « reconstruction post séisme et l’industrie de la pauvreté en Haïti ». Elle passe deux mois dans le pays. « C’est surement de là que viennent les liens privilégiés qui se sont créés avec les apprentis primoarrivants et allophones. »
Elle travaille trois ans dans différents bureaux d’études, en tant que maitre d’œuvre, alliant le travail de conception, de construction des appels d’offre et de suivi de chantier. Elle est « en mal d’humain », s’en ouvre au directeur de l’École du Breuil avec qui elle est restée en contact, et saute le pas de l’enseignement en 2013.
« Cela a été pour moi, un vrai épanouissement professionnel, avec la découverte de tous les cycles, scolaire au début, puis la formation pour adultes et enfin l’apprentissage, qui me passionne. » Son panorama est large avec des activités de coordonnatrice, d’ingénierie pédagogique, de conception de formation et d’enseignante.

Reconnaissance des végétaux.
Elle découvre un public d’adultes en reconversion lors de cours qu’elle dispense le soir ou le weekend. « Les relations sont différentes. Les jeunes, il faut souvent les booster, les pousser en dehors de leur zone de confort. Pour beaucoup d’adultes, la démarche est inverse, il faut les rassurer, leur dire de ralentir tout en leur insufflant une bonne dose d’optimisme. » Elle s’implique dans les formations par apprentissage, « là où tout était à construire ». Elle constate les clichés sur les apprentis, des supposés cancres. De son côté, elle se régale de leur esprit critique, des allers-retours entre les cours et ce qu’ils vivent en entreprise.
En tant qu’enseignante, elle intervient sur un large éventail de disciplines : techniques du paysage, écologie, biologie végétale, sciences du sol pour les BPA (brevet professionnel agricole) et BP (brevet professionnel), infographie pour les BTS, urbanisme pour les master et gestion d’entreprise et économie pour les adultes. « Cela me permet de renouer avec toutes les facettes du métier, de mobiliser aussi mon expérience de maitrise d’œuvre en bureau d’études. »
Elle prend la coordination de l’apprentissage avec le défi de rendre plus attractif le BPA « Travaux d’aménagements paysagers », gelé faute de candidat. Elle s’intéresse à l’inclusion des apprentis allophones et se forme pour mieux les accompagner.
Elle est aussi chargée de mettre en œuvre la rénovation du BP « Aménagements Paysagers », diplôme de niveau IV (comme le bac). Cette réforme a sensiblement diminué les heures d’enseignement, notamment général. L’équipe pédagogique cherche alors des solutions pour continuer à distiller ces connaissances. « C’était une question d’éthique, nous ne pouvions nous résoudre à ne former que des professionnels et non plus des citoyens. »
Tous les lundis matin, les temps consacrés au retour d’expérience après les sessions en entreprise sont coanimés avec un enseignant de matière générale. Des débats sont organisés pour exercer l’esprit critique. Un partenariat initié avec le Théâtre Dunois en 2019, dans le cadre du dispositif Créac (Convention régionale d’éducation artistique et culturelle) financé par la région Ile-de-France, permet aux apprentis d’assister à deux spectacles par an. Ils participent également à un projet animé par une compagnie de théâtre. « On veille à garder un lien avec la société, avec les arts. D’autres horizons doivent rester ouverts. Beaucoup de nos apprentis sont jeunes et leur construction ne peut se réduire au prisme du métier. »
Elle a fait évoluer ses cours au fil du temps et élargit son éventail de pédagogies. « Des classes fonctionnent bien en cours magistral, d’autres plus en ateliers. J’ai appris qu’en termes de pédagogie, il n’y a pas de règles. Je n’ai pas de déroulé type, le besoin d’adaptation est permanent. » Elle installe un rituel en introduisant chaque cours avec cinq questions, dont une sur la thématique qui sera abordée, « cela me permet de pouvoir évaluer les prérequis ».

Travail en atelier.
Cette première demi-heure lui est également utile pour choisir le support et la méthode adaptés en observant l’humeur et l’état de fatigue. Les classes sont composées de multiples profils, avec des parcours et âges différents, de jeunes à l’orientation choisie ou subie, d’adultes en reconversion. Les séances durent trois à quatre heures, ce qui laisse le temps en classe pour des ateliers de travail en petits groupes, des combinaisons de vidéos, de jeux, d’activités pratiques à l’extérieur, comme la réalisation de l’entretien des surfaces enherbées à l’arborétum de la Ville de Paris.
Elle s’appuie sur une réserve de ressources étoffée qu’elle a constituée petit à petit. Ce qu’elle propose va à rebours du modèle scolaire classique, vécu souvent jusqu’alors par les élèves. « Il est primordial de faire prendre conscience aux élèves de leur apprentissage, de leur évolution, de leur positionnement par rapport aux exigences du diplôme mais aussi à celles des entreprises, c’est la base de la pédagogie. »
Là encore, le dialogue est d’importance. Elle apprécie cette approche où la dimension humaine et la créativité dominent. « Je me voyais mal répéter tous les ans le même cours, là, il faut revoir la copie en permanence. D’une classe à l’autre, ça change, c’est un métier qui demande de se réinventer constamment. »
Pendant les périodes en entreprise, ils ont bien souvent peu de temps pour étudier ou sont trop fatigués pour le faire. Alors, lorsqu’ils sont à l’école, tout doit être mis à profit pour qu’ils acquièrent les connaissances et savoir-faire requis pour maitriser leur métier et décrocher leur diplôme.
Les formations sont denses et le travail d’ingénierie de formation avec l’ensemble du corps enseignant est un impératif pour renforcer la cohérence des cours. « En apprentissage, il y a peu d’heures allouées au CFA, il faut donc les rendre intenses et objectiver les formations. Les liens forts qui existent entre les enseignants sont capitaux ; il faut construire ensemble le déroulé pédagogique avec beaucoup d’interdisciplinarité. Il y a une vraie réflexion collective, ce fonctionnement est passionnant ! »
L’objectif est également que tous les apprentis accèdent à un socle commun de pratiques-métier, quelle que soit leur entreprise. L’équipe s’appuie donc sur un réseau solide de partenaires comme le Parc naturel régional de la Haute vallée de Chevreuse, la fondation Rosa-Bonheur, la Ferme de Paris, le Jardin de Versailles, la Recyclerie…
Différents projets sont menés avec les apprentis pour couvrir l’intégralité du référentiel métier. « Cela permet une approche transverse avec des mises en pratique régulières qui enrichissent l’expérience vécue en entreprise et deviennent source d’épanouissement professionnel. » Cette diversité des publics, des partenaires, des situations pédagogiques donne un sens tout particulier à ce métier tourné vers l’humain, un véritable antidote à l’ennui et à la lassitude.
Sur notre librairie :
N° 585 – Apprendre avec la nature
Coordonné par Laurent Reynaud et Jean-Michel Zakhartchouk
Les expériences de « classes dehors » ont du succès. Une manière de se reconnecter avec la nature. Mais en quoi le contact avec la nature est-il nécessaire aux élèves, et à quelles conditions permet-il de mieux apprendre ?
N° 540 – Voie professionnelle : (r)évolutions en cours
Coordonné par Sabine Coste et Nicole Priou
La rénovation de la voie professionnelle engagée en 2009 a modifié les représentations sur les études initiales et la façon d’envisager les inégalités scolaires. Les caractéristiques sociales des jeunes scolarisés dans la voie professionnelle se sont, elles aussi, modifiées. Entre « diplôme bradé » et « émancipation sociale », quel état des lieux ?