Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Ce qu’en disent les élèves

Des chercheuses ont interrogé des élèves de lycée agricole afin de connaitre leur conception d’une bonne gestion de classe de la part de leurs enseignants.

Les pratiques de gestion de classe d’enseignants du second degré sont ici abordées à travers le regard et le vécu des élèves. Les propos de vingt-et-un élèves de quatre classes de seconde générale et technologique d’un lycée agricole ont été recueillis au moyen d’entretiens individuels, dans le cadre d’une recherche1.

Ces entretiens ont été menés au sein d’un dispositif favorisant l’expression libre des élèves sur leurs enseignants : la teneur des entretiens n’est restituée que de façon globale aux enseignants et une astuce méthodologique garantit l’anonymisation des enseignants aux yeux même des chercheurs.

Les entretiens réfèrent à des situations précises de classe, diversifiées, récemment vécues, choisies par chaque élève. Ces entretiens ont été conduits en tout début d’année scolaire, alors que les élèves sont encore dans une phase d’observation assez calme : leurs propos renvoient aux pratiques des enseignants pour limiter l’apparition de comportements inappropriés et engager les élèves dans les classes, c’est-à-dire à des stratégies proactives de gestion de classe.

En nous appuyant sur l’analyse des propos de leurs élèves, nous mettons ici en lumière des pratiques de plusieurs enseignants qui favorisent l’engagement dans la tâche scolaire, la concentration, le plaisir d’être en classe, ainsi que les relations positives.

L’analyse a dégagé quatre grandes familles de gestes professionnels, qui, associés, façonneraient le pédagogue « idéal » selon les élèves : des qualités relationnelles (1), des qualités pédagogiques notamment dans la manière de poser un cadre clair et explicite (2), dans la capacité à intéresser (3) et à s’adapter (4) aux élèves.

L’IMPORTANCE des ASPECTS RELATIONNELS

Les élèves évoquent massivement les qualités relationnelles de leurs enseignants comme un préalable indispensable à leur engagement dans les activités en classe. Parmi ces qualités, nous retrouvons plusieurs termes associés à la notion de bienveillance : gentillesse, empathie, soutien, comme illustré dans les propos de Lily (les prénoms ont été modifiés) : « On a plus l’impression qu’ils nous comprennent, qu’ils savent que des fois on va avoir du mal à se concentrer si ça nous intéresse pas, ou que quelque chose peut nous sembler plus compliqué… Ils sont gentils, ils rigolent quelques fois avec nous tout en nous disant qu’il faut qu’on reste sérieux et du coup ben forcément ça nous facilite plus à rester sérieux. » ; ou dans ceux de Mathias qui mettent l’accent sur l’intérêt porté à la personne de l’élève : « Les profs qui s’intéressent un peu à nous et parlent en dehors du cours, ça donne plus [davantage] envie de venir en cours. »

Ainsi, les élèves se font une idée des enseignants qui sont en capacité de les comprendre, d’identifier leurs difficultés, de proposer de l’aide pour y remédier, et sont particulièrement sensibles à cela.

Les qualités relationnelles imputées aux enseignants relèvent également de la communication verbale, paraverbale et non verbale : « Il est souriant, il aime sa matière et on voit qu’il veut nous l’expliquer dans la joie. » (Claire) ; « Elle a un bon timbre de voix, pas trop aigu, pas trop grave, elle ne crie pas. » (Florine) ; « Il parle à tout le monde, enfin il regarde bien tout le monde, je me suis pas sentie exclue parce que je suis au fond de la classe et ça m’a mis en confiance je pense. » (Lily)

Ces qualités relationnelles perçues par les élèves, s’accompagnent ainsi de l’installation d’un climat de classe serein de nature à influencer positivement le sentiment de confiance et de bienêtre en classe des élèves.

UN CADRE CLAIR, EXPLICITE ET RESPECté

La bienveillance est envisagée par les élèves comme tout à fait compatible avec un cadre imposant des règles à respecter. Ceci ressort précisément des propos de Claire : « Ça se passe dans la joie et la bonne humeur mais il y a quand même un cadre qu’on peut pas dépasser […] Il a imposé son respect et donc maintenant, à nous de faire pareil avec lui, à être respectueux. »

Cependant, le cadre et ses exigences sont mieux respectés s’ils introduisent une certaine souplesse : « Les profs qui sont trop stricts se font un peu moins respecter que ceux qui sont un petit peu lâches sur certaines choses. [Les profs qui annoncent] “si vous êtes calmes vous pourrez chuchoter un petit peu, mais vous écoutez le cours, vous dérangez pas” en règle générale ces profs-là se feront plus écouter que les autres qui disent “pas de bla-bla, copiez, on ne pose pas de questions”. » (Charlène)

Enfin, les rappels à l’ordre plus ou moins marqués et modulables selon les circonstances sont également un savoir-faire professionnel permettant aux élèves de savoir à quoi s’attendre : « Quand il y a des bavardages elle est douce dans la façon de faire, plus pédagogique. Elle sait aussi hausser le ton quand y a trop de bavardages […], c’est une intonation plus sèche. On comprend que peut-être des punitions vont tomber. » (Gautier)

RENDRE LES SÉANCES DE COURS ATTRACTIVES

Des élèves mettent en avant la capacité de certains de leurs enseignants à capter leur attention grâce à un enthousiasme communicatif : « Il est intéressant, il nous captive. Quand il parle j’ai envie de participer. […] on sent qu’il veut vraiment nous apprendre quelque chose… Il nous fait participer […] Il se déplace beaucoup dans la salle. » (Agnès) ; « Le cours est intéressant : on comprend bien, […] il a un peu d’humour parfois, ça me va très bien. Je me dis que je vais pas m’ennuyer […], je suis détendu. » (Jules) ; « Elle est dynamique, on pense pas à se disperser […] elle prend le temps, elle ré-explique. Ça donne envie de l’écouter. » (Élise)

Ces élèves illustrent à travers leurs propos toute l’importance de la compétence pédagogique de l’enseignant « intéressant et intéressé » qui passe par donner « de la saveur aux savoirs2 » en lien avec des gestes professionnels précis comme la clarté du propos, l’humour, les déplacements et la présence en classe.

ADAPTEr SA PÉDAGOGIE

Des propos d’élèves, à l’image de ceux d’Adrien, mettent en évidence l’importance de l’adaptation de l’enseignant à leurs besoins. Cette adaptation peut être considérée comme une régulation efficace de l’apprentissage : « J’ai remarqué que dans les matières où le cours est intéressant, c’est beaucoup plus calme ! On apprend des trucs, il nous fait participer, et quand il voit qu’on n’a pas envie, qu’on n’y arrive pas, c’est lui qui fait le cours, qui dirige […] il s’adapte en fonction des jours… et si on comprend pas, on sait qu’on peut compter sur lui, qu’il va nous expliquer, et qu’on comprendra […]. Des fois il nous fait juste compléter les fins de phrases, des fois c’est comme des petits exercices à l’oral, et de temps en temps c’est comme s’il nous faisait récapituler ce qu’on venait de voir pour être sûr qu’on a compris, c’est pas mal que les élèves réexpliquent, ça permet de voir si on comprend bien. »

Ici, plusieurs déclencheurs de l’adaptation de l’enseignant notamment quand les élèves n’ont pas envie d’apprendre ou ont des difficultés à comprendre, sont mis en parallèle avec plusieurs modes de régulation comme faire participer, faire le cours, expliquer, encourager la réflexion. Ceci démontre que la diversification des tâches proposées, l’adaptation de celles-ci aux rythmes d’apprentissage des élèves ou encore l’étayage et le soutien susceptibles de leur être offerts peuvent aider ces derniers à maintenir leur motivation tout en favorisant une atmosphère de travail calme et efficace.

Des pratiques diversifiées et proactives

Les pratiques de gestion de classe des enseignants telles qu’elles sont perçues par les élèves, notamment en début d’année scolaire, ont des effets sur l’attitude des élèves en classe et leur rapport au travail scolaire. En interrogeant leurs perceptions, nous avançons que ces pratiques correspondent à un ensemble de compétences professionnelles indissociables. Il s’agit de compétences relationnelles et d’autorité à travers un cadre bienveillant, de compétences pédagogiques et didactiques reposant sur l’expertise dans la discipline et le plaisir de l’enseigner, le souci de diversifier son approche pédagogique pour s’adapter aux élèves ainsi que la création d’un environnement d’apprentissage profitable.

Enfin, les propos relatés montrent souvent une forme de réciprocité dans la relation éducative et pédagogique : respecter ses élèves suscite généralement le respect de leur part, être enthousiaste donne plus de chances de générer leur enthousiasme, prendre les règles au sérieux incite les élèves à les suivre, s’attarder sur la compréhension des élèves permet à ces derniers de rester engagés dans les apprentissages, tel un cercle vertueux.

Même s’il n’y a rien de mécanique dans l’influence qu’un enseignant peut avoir sur ses élèves, certaines pratiques ont plus de chances que d’autres d’aboutir à des effets positifs pour la gestion de classe et les apprentissages. C’est notamment le cas des pratiques proactives de gestion de classe, qui visent à réduire les probabilités d’apparition des comportements inappropriés des élèves.

Julie Blanc, Audrey Murillo, Hélène Veyrac
Enseignantes-chercheuses en sciences de l’éducation et de la formation, École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole de Toulouse Auzeville, UMR Éducation, formation, travail, savoirs (EFTS), université fédérale de Toulouse

Sur notre librairie


Notes
  1. Audrey Murillo, Julie Blanc et Hélène Veyrac, « Teachers’ Practices: Students’ Views at the Beginning of the School Year », Swiss Journal of Educational Research 3, 44, décembre 2022 ; Audrey Murillo, Prendre un bon départ avec ses classes : les pratiques des premiers jours en questions, ESF sciences humaines, 2021.
  2. Jean-Pierre Astolfi, La saveur des savoirs : disciplines et plaisir d’apprendre, ESF, 2088.