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Fédération Léo Lagrange : « Quel sera l’impact de la séquence politique que nous venons de vivre sur les prochains votes des jeunes ? »

©Benjamin Géminel / Agence Hans Lucas
Absolument. À Léo Lagrange, lors de notre précédent congrès, en 2019, nous avons revisité notre manifeste fondateur, à l’aune de l’actualité et de notre analyse de la société. Et, à l’issue de ce débat, nous nous sommes dit qu’il fallait absolument revoir l’ensemble de nos propositions pour la jeunesse. Ensuite, le covid a montré la fragilité de la jeunesse dans cette confrontation à la crise. Et, surtout, le droit au bonheur est venu avec l’analyse de l’étude Nouvelle vague de l’IFOP, en 2020. C’est une étude intéressante, qui pose les mêmes questions à la classe d’âge 16-25 ans depuis cinquante ans et tous les dix ans ; cela permet de voir les évolutions de la perception d’un certain nombre de thématiques sur cette classe d’âge. Et à la question « pensez-vous que demain sera mieux qu’hier ? », le taux de satisfaction, qui était près de 80 % dix ans auparavant, était à peine à 50 %. Et surtout, si les jeunes pensaient qu’ils pourraient s’en sortir individuellement, ils n’avaient aucune confiance dans la capacité du collectif, de la France, de s’en sortir. Face à ce constat, nous avons réalisé qu’il y avait une crise majeure, dans la conviction que l’on peut avancer collectivement, avec la communauté nationale, républicaine, et de la possibilité d’y apporter sa part.
Le covid étant passé par là, et les questions de santé mentale et de bienêtre aussi, la question s’imposait d’elle-même. Il s’agissait de se demander comment les jeunes peuvent aborder le bonheur, comment se projeter dans l’avenir en pensant que demain nous offre une opportunité plus intéressante qu’hier. Nous voulons redonner aux jeunes la conviction qu’ils peuvent aborder l’avenir en confiance et non pas avec fatalité, parce qu’ils sont des acteurs, qu’ils ont confiance en eux, que la société a confiance en eux, et que l’on peut changer l’avenir. Le pire n’est pas absolument obligatoire.
C’est exactement dans la logique résolument optimiste qui est l’ADN de la Fédération Léo Lagrange, qui est une fédération joyeuse, heureuse. Nous avons toujours, depuis notre création en 1950, où la crise sociale était forte, porté cette conviction que demain sera meilleur qu’hier parce que nous en serons les acteurs et que nous sommes une force de progrès. C’est cette philosophie qui a guidé tout le texte. Chacune des cinquante propositions en est pétrie.
L’engagement citoyen, le parcours citoyen, c’est un axe majeur de notre texte. Nous avons mis trois ans à le produire, parce qu’il est issu de débats et de mobilisations au plus près du territoire de la fédération, auprès des équipes jeunesse des jeunes de nos structures. Nous avons eu trois années d’échanges, de réunions, de contributions, de partages, de propositions.
La fabrique du citoyen est un enjeu majeur, parce qu’une démocratie sans électeurs, on ne sait pas très bien ce que ce serait. Et notre constat, c’est qu’on ne vote que lorsqu’il y a un intérêt au vote, qu’on en comprend les enjeux, qu’on a une pratique du vote éduquée, qu’on a eu une éducation civique et morale à l’école. Bien sûr, nous nous réjouissons de la mobilisation électorale de juin. Elle conforte notre analyse : il y avait un enjeu clair, des sujets à traiter.
La question à se poser, c’est la prise en compte du résultat : est-ce que ça a servi à quelque chose d’aller voter ? Quel sera l’impact de la séquence politique que nous venons de vivre sur les prochains votes ?
Est-ce que le contexte a changé la nature de notre texte ? Absolument pas. Ce que nous y préconisons est toujours valable. On avait en débat la question de l’abaissement de l’âge du vote et celle de la création d’un « devoir de vote ». Le congrès a été très clair, à plus de 55 % : la Fédération Léo Lagrange est pour l’abaissement du droit de vote à 16 ans et n’a pas retenu la proposition de rendre le vote obligatoire.
Notre congrès a illustré ce que nous préconisons pour renforcer l’adhésion citoyenne : la définition des sujets et enjeux à traiter, l’échange et le dialogue autour de ces enjeux, le vote et le respect du vote. C’est tout ce qui fait que l’on s’engage et que l’on va s’exprimer dans un vote, que ce soit utile, qu’on identifie les besoins, et que ce soit respecté. Les élections de juin auront certainement un impact sur les prochains scrutins et, entretemps, nous continuerons à construire notre proposition d’un véritable parcours citoyen avec une association des jeunes au quotidien, avec une éducation à la citoyenneté dont nous pensons que l’éducation populaire doit être le moteur.
Comme je le disais, pendant trois ans, nous sommes allés partout dans les territoires, rencontrer nos usagers mais aussi les professionnels de la jeunesse qui sont parfois eux-mêmes jeunes, donc bénéficiaires et professionnels à la fois.
Mais nous avons aussi travaillé à l’argumentation, parce que le tout n’est pas de savoir quelle est la proposition, mais pourquoi on la retient. Nous avons donc travaillé sur des formations à l’éloquence, à l’argumentation, et à l’écoute et à l’échange démocratique. À partir de cela, une quinzaine de jeunes étaient missionnés à notre congrès pour nous présenter et développer l’ensemble des argumentaires collectifs entendus dans nos conventions territoriales sur les propositions retenues pour le congrès.
Et les jeunes ont été partie prenante, parce qu’ils ont présenté les arguments collectifs et d’autres qui leur étaient propres, investis dans l’enjeu qu’ils étaient. Et puis, comme à Léo Lagrange le droit de changer d’avis dans la conversation est la base, certains ont réussi à se convaincre entre eux. Je peux donc dire avec grande fierté que les jeunes eux-mêmes ont participé non seulement à la définition des propositions mais aussi à leur argumentation, leur défense, et à leur arbitrage.
Notre texte prévoit cinquante propositions, on en avait retenu trois, celles qui étaient les plus débattues, et devaient être arbitrées en congrès. Les trois portaient sur la question du parcours citoyen. La première était celle sur l’âge du droit de vote. La deuxième portait sur le rapport au numérique et de l’aliénation que cela peut représenter ; la proposition était que, dans les équipements de Léo Lagrange, on mette en place des temps volontaires de déconnexion, des espaces-temps libérés du numérique, pour faire des « slow activités », comme le jardinage, la cuisine, le tricot ou tout simplement échanger avec son voisin autrement que par écran interposé. Cela permet aussi de mettre un peu à distance les réseaux sociaux. Et la dernière question, qui était peut-être la plus délicate, était celle sur l’allocation minimum jeunesse : est-ce que l’on propose une allocation minimum jeunesse universelle, ou une allocation qui prend en compte les revenus des familles, comme le système de bourses (réévalué bien sûr) ?
C’est cette troisième question qui a suscité le plus de débats. Les deux premières ont été arbitrées consensuellement par un vote. À Léo Lagrange, on vote avec trois bulletins. Le bulletin vert qui signifie l’adhésion, le bulletin rouge qui signifie le rejet et le bulletin jaune, qui indique que l’on n’est pas encore convaincu, que l’on n’invalide pas la proposition, mais que l’on demande à ce qu’elle soit retravaillée.
Il a donc eu des arbitrages nets sur les deux premières questions, mais celle de l’allocation minimum jeunesse reste en débat. Le congrès a arbitré sur le fait qu’il fallait une allocation d’autonomie des jeunes, donc donner à l’ensemble des jeunes indépendamment des revenus des parents, mais avec un fort nombre de votes jaunes, donc une volonté de revoir ou d’affiner la proposition. Cela nous engage à travailler, et nous nous sommes donné un an pour que la question soit à nouveau présentée à notre prochaine assemblée générale, avec une nouvelle proposition qui fasse consensus. C’est notre démarche, les débats ne sont pas bipolarisés mais plus complexes, parce que la société est complexe, et que cela nous semble le meilleur moyen pour construire des solutions.
Nous sommes à Léo Lagrange, depuis plus de quinze ans, pour l’obligation d’un service civique ou d’un engagement des jeunes. Parce que nous pensons que l’obligation est le moyen d’être universel.
Nous avons regardé le rapport de la Cour des comptes, et nous pourrions bien partager ses constatations aux deux tiers. La constatation que les objectifs ne sont pas assez définis, on peut la partager. Le pilotage qui pourrait évoluer, on partage. Nous partageons la constatation qu’il y a des dispositifs et modalités de mise en œuvre – je pense au transport des jeunes, des équipes, à l’animation, au recrutement – qui sont parfois des irritants réels, parfois des dysfonctionnements majeurs. Là, effectivement, il faut retravailler. Je constate par ailleurs avec ce rapport la non prise en compte de la mobilisation des services de l’État dans les couts, mais c’est presque du contrôle de gestion et c’est le travail de la Cour des comptes.
Nous partageons aussi beaucoup des recommandations de la Cour. Dans notre texte de congrès, on a une proposition de refonte du SNU. Nous ne tenons pas le stylo pour le faire, cela appartient aux pouvoirs publics, nous sommes peu associés, pas assez sur le pilotage à notre gout, donc nous nous sommes demandé ce que serait un SNU correspondant à l’intime conviction de Léo Lagrange. Nous l’avons appelé le « service universel républicain ».
Il est universel et républicain, d’abord parce qu’il est ouvert à tous les enfants de France, parce que c’est pour nous un moyen d’intégration. Il est obligatoire, parce que c’est un engagement réciproque. Un engagement des jeunes à donner du temps pour la communauté républicaine, la communauté de destin en France. Un engagement de la République à reconnaitre ses enfants, à leur présenter leurs droits mais aussi leurs devoirs, à faire en sorte qu’ils soient partie prenante du destin de la France de demain. Cet engagement-là le rend obligatoire. Nous avons aussi pensé qu’il pourrait ouvrir des « open badges », c’est-à-dire des possibilités de bénéficier, en échange de missions d’intérêt général, de financements du BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) ou du code de la route, ou d’autres choses encore.
Et puis, nous rêvons d’un pilotage confié aux associations d’éducation populaire, à l’instar de ce qui est fait dans le sport. Que l’État donne aux mouvements d’éducation populaire une délégation de service public pour la mise en œuvre de ce service universel. C’est un métier, l’animation, un métier avec des champs de compétences. C’est le nôtre, laissez-nous faire ! On ne peut pas demander aux responsables d’administration centrale d’être des spécialistes de l’animation. D’ailleurs, on ne recrute pas un attaché d’administration sur son BAFA. Et c’est normal ! En revanche, un animateur du SNU, lui, oui ! Chacun son métier, il faut laisser aux acteurs de l’éducation populaire le moyen, la latitude de faire de l’éducation populaire.
Cela n’est pas repris dans le rapport de la Cour des comptes, mais je le lis en sous-texte, parce que quand elle dit que les objectifs ne sont pas suffisamment clairement fixés, que le pilotage n’est pas assez assuré, notre réponse est celle-ci : il faut confier la définition des objectifs et le pilotage aux fédérations de l’éducation populaire !
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