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« Les jeunes lisent et écrivent beaucoup finalement »

Quels sont vraiment les rapports des jeunes à la lecture et à l’écriture ? Ces pratiques sont certes en déclin, mais elles sont aussi très diversifiées et souvent dévalorisées. Pour mieux les cerner, l’association Lecture Jeunesse associe développement de la recherche, projets pédagogiques, formation des professionnels intervenant auprès des jeunes et diffusion de publications. Rencontre avec sa directrice, Sonia de Leusse.
Pouvez-vous présenter l’association ?

Notre association a pour objet d’étude les adolescents dans leurs rapports avec la lecture et l’écriture. Les bornes d’âge ne sont pas figées : nous avons pour cible les préadolescents, les adolescents et les jeunes adultes, ce qui explique que certaines de nos enquêtes parlent des 15-25 ans, par exemple. Un point important : l’association a, depuis sa création, un lien très fort avec la recherche. Cela fait partie de son ADN.

Nous avons trois grands sujets : l’observation de l’offre éditoriale au sein de l’offre culturelle pour les jeunes, les pratiques culturelles et numériques des adolescents, et la médiation. L’idée est de faire se rencontrer un public, une offre et une pratique. À partir de là, on agit à travers trois pôles d’action. Le premier pôle est celui de la formation continue des professionnels (nous avons la certification Qualiopi) et tout particulièrement des bibliothécaires, mais aussi des professeurs documentalistes et du secteur de l’éducation populaire. En France et à l’étranger, selon les demandes. Nous assurons aussi des missions de conseil à la demande. Le but est de faire monter en compétences, professionnels et bénévoles.

Le second pôle est le développement de projets. Ainsi est né le dispositif Numook (contraction de « numérique » et de « book »). Nous avons, pour commencer, travaillé avec le collège Valmy à Paris dans des activités d’écriture qui ont pu être évaluées positivement grâce à l’apport d’un chercheur, ce qui nous a incités à essaimer ce projet. Aujourd’hui, nous comptons une centaine de projets en collège, MFR (maisons familiales et rurales), lycées professionnels, ou en direction d’élèves allophones. Il s’agit chaque fois de créer collectivement un livre numérique sur toute l’année. La condition à remplir : qu’il y ait au moins trois enseignants impliqués et un partenariat avec une bibliothèque. L’association Lecture Jeunesse est en support et en accompagnement méthodologique. Nous sommes actuellement en train de faire évoluer Numook avec des formules différentes : fournir un kit pour ceux qui veulent fonctionner en autonomie ou accompagner davantage ceux qui ont plus besoin.

Le troisième pôle est l’Observatoire de la lecture et de l’écriture des adolescents.

Quelles sont les missions de cet observatoire ?

L’Observatoire a été créé en 2017, sur incitation du ministère de la Culture. Il a plusieurs activités :

  • la revue trimestrielle Lecture Jeune, structurée autour de trois parties : penser, agir, lire. Il s’agit de prendre de la hauteur sur un sujet de société, comme le genre, la diversité, l’intelligence artificielle ou l’engagement politique, mais par le biais de la lecture et de l’écriture. Comment la littérature jeunesse s’empare du sujet, quelles médiations sont possibles, etc. ?
  • la recension de nombreux livres (environ cent-vingt par revue) ;
  • des hors-séries, qui s’intercalent entre deux revues, dans un format plus léger et plus axé sur le terrain ;
  • des « chroniques » de livres en format numérique, publiées tous les quinze jours ;
  • des synthèses d’enquêtes sur les lectures publiques ou sur des pratiques culturelles des adolescents (youtubeurs de sciences, partenariats scolaires et bibliothèques, pratiques d’écriture des jeunes pour 2023) ;
  • le « panier du médiateur », une formule de vulgarisation auprès des médiateurs les plus variés, avec des rendez-vous trimestriels en visio, les derniers étant la lecture des ados et le « quart d’heure lecture » ;
  • l’organisation d’un colloque annuel, qui a été numérique durant deux ans, mais qui devrait être en présentiel pour la prochaine édition, en décembre ou janvier.
Quel est le rôle de la recherche, que vous avez évoquée ?

La recherche est pour nous le terreau dans lequel puiser pour faire évoluer les pratiques des professionnels et des bénévoles sur le terrain. Nous sollicitons des chercheurs en sciences de l’éducation, en sociologie, en sciences de l’information et de la communication, etc. Le rôle de l’Observatoire est aussi de diagnostiquer des manques de données, de conduire des enquêtes et de les vulgariser pour que les professionnels puissent s’en servir concrètement sur le terrain. C’est donc un rôle phare.

Quelles sont les idées reçues qui existent sur la lecture et l’écriture des jeunes et comment les interrogez-vous ?

Les enquêtes, comme celle récente de l’IPSOS sur les jeunes Français et la lecture pour le Centre national du livre, montrent le recul de la lecture chez les jeunes, mais il faut noter qu’il s’agit d’un phénomène qui touche l’ensemble de la population. Les jeunes lisent moins, certes, mais c’est une activité qui perdure et à laquelle les jeunes sont très attachés quand ils la pratiquent (davantage par exemple que d’autres activités comme les jeux vidéo), ce qu’avait montré la sociologue Christine Detrez. Ce qui a baissé, c’est la lecture de romans, de livres en entier. Les jeunes ont des pratiques et des compétences très diversifiées. Ils lisent et écrivent beaucoup finalement. Sur les écrans, il y a beaucoup d’écrits. Il faut donc décloisonner les deux mondes, lecture et écrans, et partir des usages des jeunes, lesquels sont souvent dévalorisés ou ignorés. Les enseignants qui travaillent avec nous réutilisent ces formes.

Vous travaillez actuellement sur une grande enquête sur l’écriture, en quoi consiste-t-elle ?

C’est une enquête sur un phénomène finalement très peu connu que sont les pratiques effectives d’écriture des jeunes. Elle est à la fois quantitative et qualitative. Nous avons élaboré un questionnaire en tenant compte des réactions d’une cinquantaine de jeunes (dans des groupes de discussion) pour éviter des biais d’enquête et être au plus près des pratiques réelles dans nos questionnaires. Une première phase aura lieu via des questionnaires d’ici l’été. Puis, entre cet été et le début de l’année prochaine, nous allons mener des entretiens, et enfin, un colloque sera organisé au moment de la publication des résultats.

Quels sont vos projets ?

Nous venons de publier un numéro sur l’engagement des jeunes en politique. Puis vont venir : un hors-série, Écrire pour lire en mai1, des dossiers sur les jeux, sur les « classiques », sur la traduction littéraire et sur « Raconter l’Histoire ». Beaucoup de projets, donc, sur des thèmes qui ne manqueront pas d’être stimulants.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

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À lire également sur notre site :

Lier lecture et culture scientifique des jeunes, compte-rendu d’un colloque

Lecture : une question de méthode ? Par Jacques Crinon

Lire chez soi à l’ère du numérique, par Axelle Potvin


Sur notre librairie


Notes
  1. Soir peu avant la publication du dossier des Cahiers pédagogiques « Écrire pour être lu » (n°578 de juin 2022).