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Pour une politique de la jeunesse

Camille Peugny, éditions du Seuil, coll. La République des idées, 2022

« L’omniprésence de la “jeunesse” dans les discours politiques tranche avec l’absence de vraie politique de la jeunesse », déplore Camille Peugny en ouverture de son court livre (quatre chapitres et un peu plus de cent pages). Le projet du sociologue est donc, après l’examen de ce qui pourrait définir ou caractériser cette génération, d’esquisser ce que devrait être une véritable politique à destination de cette classe d’âge que l’on appelle « les jeunes », prise ici comme celle des « moins de 30 ans ».

Il s’agit tout d’abord d’examiner si « les jeunes » forment un tout, une génération aux valeurs et caractéristiques communes les différenciant des générations plus âgées. L’étude de la génération née dans les années 90, voire au début des années 2000, montre que les représentations ne résistent pas nécessairement à l’examen : plus favorables à l’immigration, certes, mais pas significativement plus que les 30-44 ans ; pas spécialement plus mobilisés contre le réchauffement climatique que l’ensemble des individus de moins de 60 ans, etc. L’auteur décèle plutôt une « homogénéité des attitudes » chez les 18-59 ans, qui vaut pour ces valeurs sociétales mais aussi pour les valeurs socioéconomiques, les jeunes se montrant « assez hostiles au libéralisme économique mais pas significativement davantage que les autres classes d’âge ». Qui plus est, au sein de ce groupe d’âge, les différences sont sensibles selon la situation par rapport aux études et à l’emploi, le niveau d’étude étant « étroitement corrélé aux attitudes ».

Un point les distingue pourtant, leur citoyenneté, moins « déférente » que chez les plus âgés, de plus en plus « exigeante », et donc « distante » face à une offre politique qui ne leur semble pas à même de répondre aux défis du temps.

Sur le plan de l’insertion professionnelle, le livre bat aussi en brèche des représentations désormais dépassées : l’accès aux postes d’encadrement et aux catégories professionnels intellectuelles et supérieures n’est plus fermé pour les nouvelles générations, comme il a pu l’être pour les générations nées dans les années 60 (soit quinze à vingt ans après les premiers « baby boomers »). En revanche, leur taux de chômage reste élevé et « constitue un phénomène structurel dont les effets se font sentir depuis quatre décennies ». De plus, la part de l’emploi précaire (contrat à durée déterminée, intérim, emploi aidé, apprentissage) chez les jeunes a triplé depuis les années 80 (plus d’un jeune sur deux de moins de 25 ans était concerné en 2019) et les jeunes diplômés sont plus souvent en situation d’exercer un emploi en dessous de leur qualification. L’entrée dans la vie active est donc complexe et le retard par rapport aux générations précédentes ne semble pas être rattrapé : « la part d’actifs exerçant un emploi en contrat à durée indéterminée diminue au fil des cohortes ». Avec les effets que l’on sait sur l’accès au logement, l’engagement dans une paternité ou une maternité, etc.

Mais ces éléments reposent sur des moyennes et des comparaisons entre classes d’âge. Or, comme pour toutes les générations de l’après-guerre, « d’autres variables que l’âge ou la cohorte de naissance sont à prendre en compte » et font apparaitre des clivages intragénérationnels qui « fracturent les différentes cohortes et qui favorisent les reproductions des inégalités ».

Parmi les représentations fréquentes qu’il convient d’effacer de nos esprits : les jeunes ne sont pas tous des étudiants, même en y comptant les stagiaires et ceux en formation, ils n’étaient que 40 % des 18-25 ans en 2019, autant que les actifs du même âge. Et parmi la population étudiante, les inégalités « quantitatives » d’accès à l’enseignement supérieur se sont décalées vers des inégalités « qualitatives » entre les filières, elles aussi fortement teintées d’inégalités sociales et géographiques. Le poids de l’origine sociale se retrouve également dans l’accès au baccalauréat qui, décidément, n’est pas « donné à tout le monde », souligne Camille Peugny. Bref, la mobilité sociale est « en panne », et « la société française demeure une société dans laquelle les avantages et désavantages sociaux se transmettent de génération en génération », ce qui ne surprendra sans doute pas trop nos lecteurs.

Comment alors dessiner une politique pour « la jeunesse », puisqu’il existe en fait « des jeunesses » ? Camille Peugny fixe d’abord deux objectifs : contenir les inégalités entre générations et lutter contre la reproduction des inégalités au sein d’une cohorte d’âge d’une génération à l’autre. Son dernier chapitre s’intitule « Plus d’État, moins de famille », ce qui donne le ton de ses préconisations. Un comparatif avec d’autres pays européens confirme que c’est entre ces deux pôles que se situent les différents modèles qui accompagnent les jeunes entre la fin de la scolarité et l’indépendance.

Pour la France, Camille Peugny décrit un « millefeuille de dispositifs » illisible, où « l’enfant et l’adolescent sont d’abord protégés en raison de leur appartenance à une famille, puis le jeune adulte bénéficie des droits associés au travail ». Mais les transformations de la famille, le chômage endémique et la précarisation grandissante du travail révèlent les failles de cette accumulation de mesures. Ce qui caractérise notre pays par rapport aux autres décrits dans le chapitre, c’est le sentiment d’une urgence de l’insertion pour les jeunes Français, accompagnée bien sûr par l’angoisse de ne pas y arriver.

Considérant que cette urgence ne saurait constituer « un horizon désirable », et qu’il n’est pas acceptable de demander aux jeunes « de ne surtout pas être jeunes trop longtemps », Camille Peugny plaide pour que l’État garantisse le droit des jeunes à prendre leur temps de trouver leur voie et à expérimenter, « en intervenant fortement au cours de cette période de vie ».

En octroyant des ressources financières directement aux jeunes, l’État peut individualiser les aides qui ne passeraient plus dès lors par les familles, pour mieux acter que ces jeunes sont bien majeurs et non des « mineurs sociaux ». Une allocation pour les étudiants, sans conditions de ressources familiales, favoriserait ainsi la poursuite d’études. Et pour que cela ne risque pas d’augmenter la fracture avec les jeunes NEET (ni en études, ni en emploi, ni en formation), il propose de créer un droit à la formation équivalent à l’allocation étudiante. Cela tout en œuvrant à « une école moins élitiste et plus inclusive », donc moins sélective, pour réduire le nombre de sorties sans qualification.

C’est à une « révolution dans la manière de considérer la jeunesse » qu’appelle le sociologue, renversant l’argument de l’allongement de la durée de vie, habituellement utilisé pour justifier de repousser l’âge de la retraite, pour « légitimer l’existence d’un temps long de la jeunesse ».

J’ajouterai pour finir que j’ai particulièrement apprécié le fait que Camille Peugny n’écrive pas « nos jeunes », formule infantilisante et qui, sous couvert d’une fausse proximité, masque trop souvent l’absence de prise en compte de la parole des jeunes en question…

Cécile Blanchard