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« Sois acteur de ton parcours ! ». L’engagement des jeunes « en difficultés » au cœur des injonctions paradoxales
Dans cet ouvrage, l’auteur analyse l’engagement des jeunes dans des dispositifs d’insertion, plus précisément dans l’école de la deuxième chance, dont la première a été ouverte en France à Marseille en 1997, avant de s’étendre sur tout le territoire (environ cinquante écoles aujourd’hui).
Par une démarche inductive et compréhensive, Maël Loquais interroge l’injonction qui est donnée aux jeunes de construire leur projet d’insertion. Pour lui, ces jeunes en difficultés ou en rupture avec l’école et ses codes, peuvent devenir des sujets capables et contrer quelques surdéterminations si les conditions d’accompagnement le permettent. Il pose de ce fait la question centrale des paradoxes du dispositif de formation : ne s’agit-il pas d’une démarche de projet, qui contrairement à ses promesses, accroit encore davantage les difficultés des élèves, voire la reproduction des inégalités ?
L’auteur choisit d’analyser empiriquement, à partir d’une quarantaine entretiens avec des jeunes âgés de 18 à 25 ans (dix-neuf femmes et vingt et un hommes), les aspects positifs mais également les effets pervers de cette injonction au projet et à l’autonomie des sujets. Qu’est-ce que cette injonction peut provoquer comme possibles et incompatibilités dans les parcours singuliers d’insertion ? On le sait déjà : tous les jeunes ne sont pas équipés d’avance pour construire leur projet et le mener au bout. « Être acteur de son parcours », c’est trop vite dit ! Autrement dit, les jeunes déploient des capabilités, mais qui dépendent de la manière dont « [ils] diagnostiquent la portée capacitante et/ou incapacitante des injonctions, effectuent leurs « élaborations cognitives et normatives » en situation d’interactions, évaluent les potentialités de leur agir en situation d’interactions sociales et conduisent leurs propres projets en fonction de ce qui leur semble juste pour eux-mêmes et pour autrui » (p. 13).
Pour mieux comprendre l’engagement des jeunes dans une vision dynamique, on regarde moins les aspects déficitaires, mais plutôt leur capacité d’être des acteurs, ainsi que leur potentiel de développement par l’étude des attentes implicites de l’engagement.
À partir de son matériau, le chercheur dégage une typologie de quatre modes d’engagements différenciés : l’engagement d’émancipation, l’engagement critique, l’engagement ambivalent et l’engagement de retrait.
Ce livre se compose de deux parties : la première est dédiée à mieux comprendre les discours des jeunes dans chacune des typologies énoncées et la deuxième est une étude plus critique des injonctions au projet et à l’autonomie, en investiguant l’approche des capacités d’Amartya Sen (2010).
Dans la première catégorie, on retient que les injonctions émancipatrices de ce dispositif de l’école de la deuxième chance sont plus porteuses pour les jeunes qui arrivent à mettre de côté les contraintes liées à la précarité de leur situation et qui s’appuient sur leur réseau proche, qu’il se trouve à l’intérieur ou l’extérieur de l’école, pour mener à bout leur projet d’insertion ; il y a « des soutiens qui font la différence », et les jeunes se sentent épaulés dans leur parcours pour surmonter les difficultés en « faisant feu de tout bois ». Dans la catégorie de l’engagement critique, certains jeunes montrent que les relations conflictuelles entre les formateurs et le monde de l’entreprise ou encore le manque de reconnaissance de leur propre condition (par exemple en tant que parent, ayant des responsabilités) peuvent compliquer leur réussite, voire l’empêcher. Pour la troisième catégorie, les jeunes ressentent de l’ambivalence face au dispositif, vivant la pression ou le stress de cette seconde chance comme le spectre probable de « l’école de la dernière chance », soit la menace de relégation. Ce qui pousse ces jeunes à sortir coute que coute d’une situation de précarité, avec la crainte de ne pas se montrer à la hauteur des attentes, en tournant le plus rapidement possible vers un métier tout de suite disponible – et cela dans une logique « court-termiste ». Dans la dernière catégorie, le chercheur montre plutôt un public de jeunes en décrochage, qui n’ont pas d’autres ressorts que d’abandonner leur parcours – se sentant désillusionnés par le dispositif lui-même, laissés seuls à leur propre sort, en s’accrochant vraiment sans filet, sans aucune aide ou repère, avec un horizon d’attentes considérées comme insurmontables, dans un dispositif dont le projet est la règle.
Dans la deuxième partie, l’auteur montre que les jeunes sont des sujets capables de saisir et d’analyser les enjeux qui les concernent et sur lesquels ils peuvent prétendre avoir une certaine prise. Ils arrivent à dégager les conditions internes et externes optimales, qui peuvent les aider ou au contraire les empêcher, voire les faire abandonner tout espoir dans leur parcours d’insertion. On voit donc une approche critique des capacités d’Amartya Sen, selon laquelle l’environnement devrait ouvrir vers des potentialités ou des étayages institutionnels permettant des capacités individuelles. L’environnement, par son aspect dynamique se présenterait comme capacitant envers les personnes qui l’habitent. Les sujets ne sont pas maitres de leur destin, mais le deviennent un peu plus à l’appui d’un environnement étayant qui les rend capables. Ces analyses invitent fortement à revoir les manières d’accompagner les jeunes en difficultés, en pensant également à l’éthique de l’accompagné par la négociation, avec la préoccupation de la reconnaissance de ces jeunes, chacun, dans son propre parcours singulier, avec ses conditions d’existence (parfois impossibles en vue des attentes exigées par la formation), dans le processus de l’engagement en formation (même celle de la deuxième chance !).
On comprend davantage que si le slogan du titre, « Sois acteur de ton parcours ! », peut être très vite énoncé, ce dispositif incitant fortement au projet et à une autonomie supposée de la part des apprenants, ne va pas de soi. Nous prenons conscience une fois de plus que le rôle de l’accompagnement et de l’entourage contenant le parcours des jeunes en difficultés est essentiel pour contrer tant soit peu les inégalités face à l’apprentissage.