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« Enseignants et élèves donnent le meilleur d’eux-mêmes »

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benoit-falaize.jpgLe concours national « La Flamme de l’égalité » a déjà sept ans. Conçu sur le modèle du plus connu Concours national de la Résistance et de la déportation, il invite élèves et enseignants ou enseignantes du primaire et du secondaire à mener un projet sur l’histoire de l’esclavage et des traites et leurs héritages contemporains, afin de construire une mémoire partagée sur ces sujets. Son président, l’historien Benoit Falaize, nous en présente le fonctionnement et les enjeux.
Pouvez-vous nous présenter le concours « La Flamme de l’égalité » ?

Il a été créé à l’été 2015 d’une initiative commune entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère des Outre-mer qui se sont logiquement appuyés sur l’expertise du Comité national de la mémoire et de l’histoire de l’esclavage, ancêtre de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Nous venons de remettre les prix de la septième édition. Sa création avait pour but de faire partager l’histoire de l’esclavage et des traites, dans un concours national conçu sur le modèle du CNRD (Concours national de la Résistance et de la déportation). L’idée est de redonner à l’esclavage la place qu’il mérite dans l’histoire nationale.

Ce concours de l’Éducation nationale est organisé en partenariat par la Fondation pour la mémoire de l’esclavage qui intervient principalement sur la question des contenus, avec la Dgesco (direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation nationale) pour le pilotage institutionnel, et la Ligue de l’enseignement de Paris pour la partie opérationnelle, admirable cheville ouvrière de ce concours. Le partenariat s’étend à de grands bailleurs, la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) et les ministères de l’Agriculture, des Outre-mer et de l’Intérieur.

« La Flamme de l’égalité » récompense des classes ou groupe d’élèves. Il n’y a pas de règles strictes, le nombre d’élèves peut varier, mais on ne récompensera pas un élève seul. Par exemple, nous avons donné cette année une mention spéciale à un groupe de trois élèves pour une chanson. Le projet peut être mené soit dans le cadre du cours, soit sur le temps libre, avec parfois un investissement extraordinaire des enseignants et élèves. Toutes les formes pédagogiques sont acceptées : padlet, chanson, vidéo, travail à partir d’un album de jeunesse, etc. Dans les faits, il faut reconnaitre que le format numérique d’envoi des projets empêche d’avoir une grande variété, d’autant que les vidéos sont limitées à quatre minutes. Mais quand même, cette année, nous avons primé une réalisation en lycée professionnel qui est une œuvre en maroquinerie sur le thème de l’esclavage et du travail. Nous n’avons pas pu voir l’œuvre elle-même, sa restitution s’est faite sous la forme d’une vidéo de making off et d’une description du résultat par les élèves.

Pourquoi est-ce important pour vous de présider ce concours ?

Je le préside depuis 2019. Quand j’étais chercheur à l’INRP (Institut national de recherche pédagogique), je menais des travaux en didactique sur les enjeux de mémoire à l’école française et plus particulièrement sur la place de l’esclavage et de la traite négrière en France. Mes travaux de recherche me portaient donc naturellement à rejoindre ce concours. Entretemps, je suis devenu inspecteur général et cela semblait bien aux différents partenaires d’avoir un inspecteur général à la tête du concours, comme il y en a un pour le CNRD (Tristan Lecoq). C’est une manière d’ancrer le concours dans sa dimension Éducation nationale. J’y suis donc à deux titres, au nom de l’Éducation nationale et au titre de mes travaux. Et puis, j’avais aussi participé aux travaux préparatoires à la Fondation et j’étais membre de son conseil scientifique la première année.

Qu’avez-vous appris depuis que vous présidez ce concours ?

Je dirais que j’ai surtout été confirmé, d’abord dans mes travaux de recherche, puisque j’ai beaucoup travaillé dans les classes au sein de l’INRP, et aussi comme observateur privilégié du système éducatif.

Ce que je vois, qui devrait nous enthousiasmer collectivement et nous permettre de dire du bien de l’école, y compris dans les quartiers populaires, c’est à quel point, quand enseignants et élèves partent dans une démarche de projet, ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Et ce n’est pas de la démagogie. La pédagogie de projet permet un travail en horizontalité, même si, évidemment, l’enseignant ou l’enseignante pilote, coordonne. C’est un travail en commun qui change les relations, les rapports entre maitre et élèves.

Chaque année, à travers les projets qui nous sont soumis, on découvre des choses, je pense en particulier aux lycées professionnels et à l’école élémentaire qui font preuve d’une intense créativité ! Et partagée : nous avons des témoignages d’enseignants qui précisent ce qui est venu des élèves ; ce n’est bien souvent pas l’enseignante ou l’enseignant qui dicte mais un véritable travail en commun. Cela crée un enthousiasme pédagogique, et ça assure une dynamique pour la classe tout entière, même quand le projet n’est pas primé. Et les élèves apprennent beaucoup de choses en termes de compétences, au-delà des connaissances historiques. Cela incarne les compétences prescrites par les textes officiels.

Comment sont retenus les projets qui vont concourir ?

Un jury académique retient un projet dans chacune des catégories de participation (école, collège et lycée) lorsque celui-ci est de qualité suffisante, qu’il adresse au jury national. Celui-ci est composé de plus de vingt-cinq personnes. Chaque année, nous sommes absolument désolés de ne pas pouvoir primer tous les projets. C’est pourquoi aux trois prix initialement prévus (lycée, collège, premier degré), nous avons ajouté un prix spécial du jury et des mentions spéciales. Cette année, particulièrement, le palmarès est excellent et le jury était enthousiaste.

Il faut que les enseignants et les élèves sachent que, parfois, on promeut sur le site du concours des projets non primés mais qui méritent d’être distingués. Et puis des sujets font immédiatement l’unanimité. Je pense à un film sur l’histoire des esclaves, fait dans un collège REP (réseau d’éducation prioritaire) d’Arles qui repose sur la danse et l’histoire mélangée. Ce sujet a fait l’unanimité, sans discussion. On sent que les élèves ne font pas que réciter une leçon, ils s’en sont nourris, en tirent une philosophie plus globale (résistance des esclaves, résilience, capacité à transcender la violence). Cela montre une capacité à traiter le sujet d’histoire, en le médiatisant par d’autres disciplines qui enrichissent la connaissance du sujet par les élèves.

Cette histoire touche aux questions de discrimination, d’exploitation humaine, ainsi qu’aux engagements et aux combats pour l’abolition et pour l’universalisme des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Nous sommes aussi très vigilants sur l’impact que peut avoir l’annonce des palmarès, tant le sujet reste sensible dans les débats de société sur les dimensions raciales, l’histoire coloniale, etc. On n’en rabat pas pour autant sur notre niveau d’exigence, mais on sait que ce sujet n’est pas neutre dans la société, qu’il est sensible, et l’objet d’enjeux sociaux beaucoup plus larges. Nous avons cela en tête, et nous veillons à ne pas exposer les élèves et les enseignants lauréats.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

La 7e session du concours « La Flamme de l’égalité » a rassemblé plus de 5 135 élèves scolarisés au sein de 178 établissements.
Ont été récompensés :Prix école, ex æquo

  • Les élèves de CM2 de l’école Roland-Lucile de Kourou (académie de Guyane) ont réalisé une vidéo sur le travail en esclavage, Le regard de Copena pour comprendre l’esclavage en Guyane.
  • Les élèves de CM2 de l’école Jules-Ferry du Tampon (académie de La Réunion) ont fabriqué une maquette reprenant le parcours des esclaves réunionnais, Nout Zistoir.

Prix collège

  • Les élèves de 3e du collège Paul-Kapel de Cayenne (académie de Guyane) ont créé une vidéo sur l’esclavage en Guyane, Travailler en esclavage sur la terre de Guyane… un passé d’actualité.

Prix lycée

  • Les élèves de 2de option « métiers du cuir et de la maroquinerie » du lycée Flora-Tristan de Montereau-Fault-Yonne (académie de Créteil) ont confectionné une œuvre en cuir intitulée Criminelle gourmandise.

Prix spécial du jury

  • Les élèves de 4e du collège Roger-Salengro de Charleville-Mézières (académie de Reims) ont imaginé un projet de théâtre d’ombre interrompu par une panne d’électricité, restitué dans une vidéo, The Freeman Project.

Mentions spéciales

  • Les élèves de CM2 de l’école de Wandignies Hamage (académie de Lille) ont réalisé un film sur la condition des femmes esclaves en situation de travail, Le travail des femmes esclaves.
  • Les élèves de 2de du lycée Jean-Brito de Bain-de-Bretagne (académie de Rennes) ont composé une chanson dans laquelle ils s’adressent à des enfants contraints au travail forcé, intitulée Leurs corps volés.

Pour découvrir le palmarès 2022 en détail, c’est ici : https://www.laflammedelegalite.org/2022/palmares.php

Les inscriptions au concours 2023 sont ouvertes : https://www.laflammedelegalite.org/index.php