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Du côté d’un territoire oublié

Sophie Gazel

Sophie GazelOn pourrait imaginer un tableau idyllique, celui d’une école d’une petite ville nichée dans les hauteurs de l’Hérault, les Hauts cantons, tout près du Tarn, là où les paysages arides méditerranéens tutoient les premières pentes du Massif Central. Un petit air suranné siffloté accentuerait l’impression. Oui, mais voilà, la réalité de Sophie Gazel est sensiblement différente.

Elle aime son école de Saint-Pons-de-Thomières. Dans cette école, Sophie Gazel a été élève et c’est là qu’elle enseigne depuis vingt-trois ans. Avant de revenir dans son village natal, elle a été professeure dans des écoles plus bas, dans la plaine héraultaise. « C’était compliqué d’avoir un poste ici à l’époque. Maintenant, on court après des titulaires. C’est triste. »

Quand elle est arrivée, elle a été nommée sur un poste en Rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté). Elle se forme alors pour obtenir le Cappei (Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive), une qualification précieuse dans une école, qui au côté des cinq classes, comprend un ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire). L’équipe est stable, les effectifs moins, une particularité dont les causes sont avant tout sociales.

Familles de passage

Ici, des familles passent, au gré des relogements liés à leur situation précaire, s’installent le temps de la trêve hivernale. Ils arrivent de Béziers et de l’est du département et repartent quelque temps après. « Quelques familles s’implantent, mais il y a peu d’activités, peu de transports publics et peu de structures de soins, pas de pédopsychiatre par exemple. » Le village est depuis longtemps une terre d’accueil et de passage, autrefois pour les immigrés italiens ou espagnols, les harkis.

Cette spécificité, Sophie Gazel l’a constatée en travaillant au sein du Rased. À quelques kilomètres de là, les publics sont différents, avec des familles plutôt néorurales qui restent, offrent un effectif stable pour des classes peu chargées. « Il y a une différence avec les autres villages des Hauts cantons. À Saint-Pons, il y a à la fois des problèmes liés à la faible présence des services publics dans la ruralité et aux catégories socioprofessionnelles modestes des parents. On a les curseurs un peu déréglés. »

Dans la commune, une partie de la population est stable, avec des revenus moyens et qui, pour la plupart du temps, préfère inscrire ses enfants dans l’école privée présente également sur le territoire. Les collectivités locales comme l’inspection de l’Éducation nationale sont conscientes de la situation et appuient l’équipe pédagogique pour que tout fonctionne au mieux, en mettant à disposition moyens et appui.

Culpabilité

L’année 2013-2014 a été le déclencheur d’une prise de conscience et d’une mobilisation importante, impliquant de multiples acteurs. « C’était une année compliquée avec des enfants violents qui fuguaient. L’équipe de circonscription est venue nous aider. On se sentait un peu en situation de coupables. Et puis, Sylvain Connac est venu nous parler de coopération, d’échelles de sanction. On a mis les mains dans le cambouis, on s’en est sortis même si on était un peu, voire beaucoup, abimés. »

Les enseignants mettent en place un système de classes hétérogènes que, tous ensemble, ils ont conçu. Dans chaque classe ; deux ou trois niveaux sont présents avec entre eux un niveau de décalage, CP-CE2-CM2 par exemple. L’objectif est de favoriser la coopération entre les élèves et entre les enseignants, d’être « tous ensemble dans le même bateau pour avancer et sortir des difficultés. Ça a marché même si cela a été difficile et couteux en travail et en temps. ».

Réfléchir aux sanctions

Un règlement commun est élaboré. Les infractions sont listées et classifiées pour uniformiser les réactions. « L’idée c’est que les enfants sachent ce qui les attend et les adultes ne soient pas tout seuls. » Le règlement prévoit également, en cas d’exclusion, l’accueil de l’élève concerné dans la classe d’à côté. « Il y a une grande souplesse dans l’organisation et beaucoup de coopération entre adultes. Nous avons travaillé ensemble le règlement de l’école et des cours et harmonisé les sanctions. » Pour les fautes graves, la qualification et la sanction sont réfléchies en binôme.

Tout ce qui a été mis en place en 2014 perdure, fonctionne et permet de s’adapter aux fluctuations d’effectifs avec des arrivées échelonnées à l’automne et des départs au printemps, et également aux changements dans l’équipe.

Une monnaie et des robots

L’école bénéficie aussi de l’appui de la mairie. Dès 2011, le maire a veillé à ce qu’elle soit équipée d’un tableau numérique interactif. Depuis toutes les classes en ont un. Elles bénéficient aussi de tablettes. L’inscription dans le TNE (territoire numérique éducatif) du département facilite l’acquisition d’équipements. Un fablab a été constitué avec une imprimante 3D et des robots. « C’est intéressant à utiliser avec des publics en difficulté. Ils apprennent par le faire, sont moins dans l’abattement de ne pas y arriver. C’est passionnant ! Et aussi parfois compliqué mais quand je suis coincée, les gosses me décoincent. » Le fablab est le support d’activités transversales où se mêlent notamment les maths et le français. Les CM2 ont ainsi créé une monnaie pour la fête de l’école, d’autres ont fabriqué une maison en 3D.

Et même si l’absence de fibre optique dans l’école ralentit parfois les travaux, les équipements sont un moyen de donner accès à des technologies pressenties comme lointaines, destinées à d’autres, plus privilégiés, plus citadins.

Ici, comme dans la plupart des zones rurales éloignées des grandes villes, la créativité est de mise pour rendre accessible ce qui est lointain, pour rompre l’isolement. « On organise des rencontres sportives entre écoles pour créer des évènements. Mais le prix des transports est un gros souci. L’an passé, nous avons payé plus de 700 euros pour faire un trajet de vingt-six kilomètres. » Aller à Montpellier, participer aux rencontres des TNE ou visiter un musée, nécessite de partir à 7 heures du matin avec un retour vers 20 heures. De même, les équipements sportifs de proximité sont limités et la piscine n’ouvre qu’à la belle saison.

Déterminisme local

Ici, l’école publique a un rôle primordial pour limiter les effets des inégalités sociales et territoriales. Et, ces inégalités se manifestent à l’heure des loisirs avec une offre culturelle et sportive limitée, malgré les efforts du département pour l’étoffer.

Ces inégalités se jouent aussi au moment de l’orientation. « Au collège de secteur, il n’y a pas d’options, pas de classe latin ou de musique, pas d’allemand première langue. Les élèves n’ont pas les mêmes chances qu’à Montpellier. Il y a une sorte de déterminisme social et local. »

Les parcours accessibles au lycée sont ainsi restreints d’autant que les établissements sont loin, qu’il faut souvent trouver une place en internat ou prendre le bus à 6h15 pour Béziers ou 6h40 pour Mazamet. « Nous avons le sentiment de vivre dans des territoires oubliés. » Elle dit cela tristement, car ce territoire, elle aime l’arpenter, y vivre, y enseigner. « Je vis ici, j’ai grandi ici. J’aime bien croiser les parents et les élèves dans la rue. Ils me font confiance. Je fais partie de leur monde. »

Monique Royer

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