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Le loup est rentré dans la classe

Pierre Peyret partage avec petits et grands sa passion de la montagne, de la nature et des grands prédateurs. Il le fait en classe, sur des chemins de randonnée ou encore dans la forêt, en misant sur la surprise, le conte et la théâtralisation, pour donner le goût de la découverte et de la science.

Il se dit chanceux de vivre tranquille dans un chalet niché dans la forêt provençale, d’avoir vécu cette chance avec ses enfants et, avec eux, d’avoir ouvert les yeux et les sens sur ce qui les entourait. « Les animaux, la forêt, je me nourris de tout ça. » Accompagnateur en montagne, « une sorte de mono qui s’occupe des petits et des grands », il aime aussi « faire venir les gens dans mon univers pour qu’ils décrochent ».

L’école dans la forêt serait pour lui un idéal. Comme ce rêve semble inaccessible, il va en nomade à la rencontre des adultes et des enfants. Il le fait dans sa région, en partenariat avec le Parc naturel régional du Mont Ventoux qui propose des activités de découverte de la nature. « Depuis quelques années, j’ai développé des sujets pour lesquels je me suis passionné, notamment le loup, la forêt du Ventoux, l’ornithologie. »

Il intervient auprès de classes de cours élémentaire et de cours moyen, parfois en collège. Il privilégie les jeux et les émotions pour intriguer, éveiller la curiosité et faire réfléchir. La séance commence par un travail sur le vocabulaire, pour partager le même langage. Ensuite, selon le sujet, Pierre Peyret puise dans sa boite à malices.

Entre ours et loup

Pour partir sur la piste du loup, il utilise sa marionnette Louryx, un intermédiaire pour faciliter l’expression et la circulation de la parole. « La peur du loup est ludique. Plus j’avance, plus je me dis que les gens peuvent s’inventer des choses, se faire peur pour se faire peur. On s’invente un monde car, déjà enfant, on se réfugie dans les histoires quand le monde est difficile à regarder. On sait que c’est inventé, mais on a envie de se raconter des histoires. »

Avant qu’il ne vienne, les enfants ont réfléchi avec leur enseignant ou enseignante sur les questions qu’ils aimeraient poser. Et une revient souvent : « entre le loup et l’ours, qui gagne ? », avec le besoin de savoir qui est le plus fort. La découverte du loup se fait aussi en sortie dans la forêt, un prétexte pour observer la nature, pour réfléchir aussi à la place des prédateurs dans une région où le pastoralisme est présent.

Il utilise souvent les contes, parce qu’ils « vont raconter des choses, ils parlent de nous ». Il transforme la classe en scène, dérange son ordonnancement. « Je cherche des trucs qui les surprennent. »

Surprendre les enfants, et les enseignants

Pour que les enfants réalisent mieux l’envergure d’un vautour, il demande à deux d’entre eux de s’allonger par terre pour dessiner leur contour à la craie. À la demande d’une enseignante, il est venu raconter à une classe son métier d’accompagnateur en montagne. Il est entré, déguisé en touriste perdu dans un aéroport, angoissé de savoir s’il avait ou non le bon équipement pour partir au Népal. Il a joué le personnage comme s’il était vraiment perdu, en attente de son vol, installant les interrogations chez les élèves surpris de voir entrer un personnage aussi étrange et angoissé dans le lieu.

« J’ai posé le décor en provoquant un choc d’entrée. Ensuite j’ai expliqué que j’emmenais des gens en randonnée comme ce touriste perdu dans l’aéroport. » La curiosité est éveillée pour la présentation de ce qu’est un itinéraire, une carte, les paysages et les animaux vus, ou encore l’équipement nécessaire pour marcher en montagne.

« Les enseignants sont souvent surpris. Les enfants aussi, car je fais des choses normalement interdites, comme écrire par terre avec de la craie. » En classe ou en extérieur, tout se déroule pourtant avec attention. Pour obtenir le silence, il passe par la responsabilisation avec un protocole partagé avec les élèves.

Il a développé son approche pédagogique en particulier grâce à ses collaborations avec l’ONG suisse « Objectif sciences international » dans des projets de sciences participatives. Il a accompagné des groupes d’adolescents au Kirghizistan, des adultes au Népal pour collecter des informations à destination de scientifiques sur les grands prédateurs, les loups, les ours, les panthères des neiges. Il s’est formé à la démarche de science participative mais aussi à la communication non violente, à la pédagogie circulaire qui permet d’apprendre les uns des autres. « Je rebondis beaucoup entre ce que je fais avec les adultes sur le terrain et les animations avec les enfants. »

Le procès du loup

Il pioche des idées dans les publications des associations d’éducation à la nature, comme celle de confier le procès du loup à une classe de CM2. Les élèves se répartissent les rôles pour lesquels quelques phrases d’argumentaire sont données. Ils organisent le procès, argumentent et décident de l’issue. « Ils se sont approprié le procès. Avec l’enseignante, nous les avons regardés faire. Elle a décidé de renouveler l’expérience sur un autre thème. »

Ses souvenirs d’enfance orientent son approche. Son instituteur de CM2 avait exercé au Vietnam et lorsque la classe avait bien travaillé, il contait le vendredi des histoires de jungle et d’animaux, de chasses au tigre. La passion pour les grands prédateurs et la nature, l’envie de la partager, d’ouvrir la curiosité sont sans doute nées là.

Lorsqu’il parle d’ornithologie, qu’il explique le vocabulaire, la migration des oiseaux, il raccroche à l’actualité, à la perte de la biodiversité. « Ça les touche, alors je leur dis que peut-être demain, ils auront des solutions. » Il a invité des CM2 à s’imaginer maires pour proposer des mesures permettant la sauvegarde de la biodiversité. « Ils sont souvent très pertinents. Là ils ont proposé la création d’espaces pour que les animaux puissent passer, sans connaitre l’existence des corridors écologiques. »

Il voit certains élèves d’une année à l’autre, leur raconte ses voyages, montre des photos des animaux vus, d’empreintes de loups, fait entendre des enregistrements. « Les enseignants s’approchent aussi, redeviennent enfants. »

Apprivoiser le dehors

Il constate que les enfants sortent peu dans la nature même lorsqu’ils habitent dans un village. Il les voit pourtant heureux lorsqu’ils viennent dans la forêt ou cheminent sur les sentiers. Ils apprennent, jouent à avoir peur de tout et de rien, du moindre insecte et en rient, se défoulent. Il apprécie animer des journées de cohésion en début d’année, avec une randonnée où enseignants et élèves sont détendus, font connaissance hors de l’école, dans une activité qui les rassemble.

Il raconte avoir accueilli dans un centre de vacances des adolescents d’un foyer, délocalisés pendant une partie du confinement. « J’ai travaillé avec eux pour qu’ils apprivoisent un dehors qu’ils voyaient comme un milieu hostile. On a fait un bivouac dans la forêt, ils avaient peur de tout, de dormir dans la nature, de faire de la confiture de pissenlits. Ils m’ont pris pour un fou, maintenant, ils sont fiers de cette expérience. »

Son partage va au-delà de sa passion pour la nature, il espère éveiller une envie d’apprendre tout le temps, de s’intéresser à beaucoup de choses, de disciplines. « Je leur dis : si vous vous intéressez à la science, travaillez en anglais pour que ce soit plus facile, car beaucoup d’articles sont en anglais. Ou : vous comprenez pourquoi vous apprenez les maths, on en a besoin pour compter les animaux. » Il voit dans des regards l’étoile de la passion s’allumer, alors il est heureux de cette transmission joyeuse.

Monique Royer

Sur notre librairie :

N°570 – Apprendre dehors

Dossier coordonné par Aurélie Zwang et Jean-Michel Zakhartchouk

Depuis les confinements successifs, l’intérêt pour les pratiques d’éducation en plein air est grandissant. Inscrites dans l’histoire de la pédagogie, elles sont non seulement mises en œuvre à l’école, de façon régulière ou lors de sorties de terrain plus ponctuelles, mais aussi dans le périscolaire. Ce dossier interroge ce qui s’apprend de spécifique dehors.

 

 

 


N°585 – Apprendre avec la nature

Dossier coordonné par Laurent Reynaud et Jean-Michel Zakhartchouk

Les expériences de « classes dehors » ont du succès. Une manière de se reconnecter avec la nature. Mais en quoi le contact avec la nature est-il nécessaire aux élèves, et à quelles conditions permet-il de mieux apprendre ?