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Différencier n’est pas dévaluer

Il enseigne depuis vingt-deux ans, une vocation pour lui qui voulait dès 13 ans travailler auprès des enfants. Il a fait un léger détour dans l’éducation populaire, aux Francas, et en a gardé le souci de l’inclusion. Il a fait ses gammes comme remplaçant pendant sept ans, en voyant des lieux et des pratiques différentes, s’est posé pendant quatorze ans dans une même école, pour rejoindre il y a deux ans celle où il enseigne aujourd’hui.

« Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est la différenciation pédagogique et l’inclusion scolaire. J’ai depuis longtemps une appétence pour l’informatique alors je mets le numérique au service de ça. » La formule semble simple comme la façon qu’il a de la déployer. Il a croisé, dans tous les niveaux de l’école élémentaire, des enfants dont les particularités les éloignent d’un parcours d’apprentissage classique, mais pas de l’apprentissage : des élèves malvoyants, en ULIS, primo-arrivants, malentendants, précoces, ou encore avec des troubles du comportement. « C’est notre quotidien de maître d’école. »

Chaque fois, il s’interroge sur comment ne pas laisser ces enfants-là de côté. Et comme il se dit partisan d’un effort mesuré, il cherche à optimiser son travail en évitant de multiplier les supports différents. « En s’économisant au maximum, on va aller à l’essentiel avec un document ouvert où tous peuvent se retrouver. » Il a aussi le souci de trouver la formule qui n’est préjudiciable pour personne, ni pour les élèves à besoins particuliers, ni pour le reste de la classe.

Un même support pour tous

Le support est donc le même pour tous, un support suffisamment ouvert pour que tous les enfants puissent travailler, pour que la différenciation soit possible. La réalité augmentée, en utilisant l’application Mirage Make, enrichit le document papier avec des QR codes qui renvoient vers des traces audio ou des diaporamas animés. Les enfants qui ont des difficultés avec la lecture peuvent ainsi recourir à un enregistrement pour accéder au texte. Ceux qui ont terminé l’exercice ont la possibilité d’aller plus loin dans les notions avec des ressources complémentaires. « Les enfants en grande difficulté et ceux à haut potentiel ont des problématiques de motivation proches. Il faut penser aussi à ceux qui marchent bien. »

Dans sa pratique, l’utilisation d’un document enrichi, plutôt qu’une adaptation allégée pour les élèves en difficulté, est fondamentale. Elle structure la différenciation des apprentissages qui se base sur un fractionnement des tâches. « Pour un élève dys, donner du temps supplémentaire est souvent contre-productif car son temps de concentration est limité. Cela peut rajouter de la souffrance. » Un contrat sera alors passé avec lui pour qu’il laisse la tâche en cours, lorsqu’il sent qu’il se démobilise, pour la reprendre plus tard. Il passera à l’évaluation lorsqu’il se sentira prêt. « Il y a un gros travail avec l’enfant et sa famille pour une prise de conscience des difficultés et des facilités sur lesquelles l’élève pourra s’appuyer. »

La différenciation s’opère dans l’entrée dans le travail et dans la façon de le restituer pour l’évaluation. Le développement de l’autonomie passe aussi par le choix de la modalité qui convient le mieux : écrit, audio ou sketchnoting. « La différenciation, c’est la possibilité pour chaque élève d’accéder au savoir ou de le restituer par le chemin qui lui est approprié.  »

Des tutos en vidéo

L’espace de la classe est aménagé pour que chacun adopte la position, debout, assis ou allongé, et le lieu qui lui semble le plus favorable au travail. Il est propice à une démarche classelab dans l’idée d’un espace créatif transdisciplinaire où sont utilisés des outils numériques. Là, par exemple, sont fabriqués des tutos vidéos. Les principaux auteurs sont des élèves très bons scolairement à qui il est demandé d’expliquer des notions, de les formuler de façon simple pour les expliquer à la classe.
Les élèves en grande difficulté en sont également friands. Pour eux, ce sera une façon de fixer une compétence, compliquée à acquérir, dans une capsule vidéo. « Si l’enfant est capable de synthétiser une notion, alors c’est qu’il a compris à l’instant où cela se passe. » Plus tard, en cas d’oubli de la notion, ils pourront y revenir, retrouvant d’un même coup la compétence associée et l’émotion positive ressentie lorsqu’ils ont su l’expliquer.

Les tutos sont visionnés par la classe qui donne son avis sur le fond et la forme. Gilles Tisseraud valide la rigueur de la terminologie, les élèves l’explication avec des retours constructifs. Si l’une ou l’autre ne sont pas satisfaisantes, l’auteur améliore sa vidéo. Les capsules sont réalisées en autonomie, seul ou à deux, après une formation sur les outils en début d’année. « Le risque si je suis présent, c’est que mon discours soit reproduit même s’il a été mal compris. Là, c’est le discours entre pairs qui est valorisé avec des explications formulées avec leurs mots et leur raisonnement. »

Les vidéos sont accessibles selon les besoins, rejoignant la bibliothèque de ressources. Elles le sont aussi pour les parents par le biais d’un espace numérique Klassroom. Car, pour l’enseignant, la coéducation est d’importance. Les parents d’élèves en difficulté sont parfois démunis et voir ce que leurs enfants ont réalisé les rassurent dans leur capacité à apprendre et à réussir. « C’est une façon d’éviter de ne regarder que le côté négatif, de changer de focale. »

Robots, légos, webradio

Le classelab regorge d’autres ressources : des robots, des légos, un microscope, des instruments de musique, une imprimante 3D et même une webradio. Ces deux dernières sont mutualisées avec les autres classes dans une école où les pratiques, même si elles sont différentes, sont partagées.

La webradio a démarré à la rentrée après une formation avec Canopé. « Constituée de bric et de broc, de matériel de récupération  », elle est alimentée par un atelier radio ouvert aux volontaires et par des émissions réalisées en classe. Son nom, « Radio sardine, la radio citadine », a été choisi en concertation avec les élèves en référence à l’étroitesse des locaux. Les matériels utilisés pour les différentes activités sont pour la plupart mis à disposition par l’enseignant, acquis par ses propres moyens. Certaines ressources ont été données par des éditeurs.

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Les échanges sur Twitter sont pour Gilles Tisseraud une véritable formation permanente pour trouver de nouvelles idées et des pistes numériques. Ils sont le prélude et le stimulant de réseaux qui se constituent autour de projets. Cette année, le projet Minestory regroupe sur une frise interactive modélisée sur Minetest des éléments du patrimoine local collectés par des classes partout en France.

« Twitter redynamise mes pratiques de classe. C’est intéressant ces collaborations pour apprendre entre pairs, pour avancer. » Il trouve là des encouragements, des retours, tous ces regards constructifs au quotidien qui manquent parfois du côté de l’institution. « L’Éducation nationale a de véritables trésors sur le terrain mais ne s’en rend pas compte. Les choses se font mine de rien.  »

Et ce « mine de rien » résonne dans sa classe des effusions joyeuses des apprentissages, avec parfois les sons des instruments de musique mis à disposition, des chants de la chorale. Il se partage avec les parents, avec les curieux qui participent aux ateliers animés par les élèves lors de manifestations autour de la science. Il fait écho au bonheur d’un enseignant d’œuvrer chaque jour de façon inventive pour une école inclusive.

Monique Royer


Pour en savoir plus:
Vidéo « Dys Evaluer »
Capsules de français réalisées par les élèves
Capsules de maths réalisées par les élèves
Reportage sur la participation de la classe à la Fête des sciences du Mans