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Confinement : ce qu’en disent les acteurs du film de Judith Grumbach, « Devenir grand »

 

Amélie Vacher, Professeure des Ecole à Langon (33)

En équipe, nous avons retenu des solutions en faisant en sorte que le numérique vienne compléter le papier, que les mails complètent les SMS et, pour ma part, que les appels téléphoniques complètent les classes virtuelles. Nous avons essayé de diversifier les moyens pour que les familles ne supportent pas seules cette période et pour ne pas accentuer les inégalités.

La consolidation de notions scolaires alterne avec des activités plus ouvertes telles que des romans photos (les élèves partagent leur vie quotidienne), des défis (géométrie, sciences etc.), des documentaires ou des programmes éducatifs. Si les modalités changent, le fonctionnement reste le même : des plans de travail, des moments collectifs et une aide individuelle, autant que possible.

Nathalie Duthieuw  et Olivier Llarc professeurs au collège Pons de Perpignan

Nathalie
Nous faisons le maximum pour garder le lien avec nos élèves, car nous savons que l’école, et l’enseignement dispensé par les professeurs, ne peuvent être que très difficilement palliés par l’entourage familial. Nous utilisons l’ENT et Pronote, mais nos élèves souffrent de la fracture numérique, l’ accès à internet n’est souvent obtenu que par le téléphone des parents. Pour les fratries, il est donc difficile de travailler ainsi. Avec mes collègues, nous avons privilégié des travaux qui nécessitent des temps de connexion courts, en ayant recours le plus souvent aux manuels scolaires. De plus, nous appelons régulièrement les familles pour prendre des nouvelles, les guider et les rassurer dans cette période compliquée.

Olivier
Je garde le contact essentiellement via 3 canaux d’informations. L’Environnement Numérique de travail, ENT), Pronote et une application qui s’appelle Discord.
En effet, en début de confinement, ENT et Pronote étaient saturés. Il a fallu trouver une solution d’urgence au plus vite.
Je voulais absolument garder le contact avec mes élèves; un collègue (Gilles) m’a demandé si je connaissais l’application Discord. Et du coup, après son explication, je l’ai téléchargé et cela fonctionne très bien.
Je suis en contact avec eux tous les jours sur des plages horaires très larges et cela me permet, nous permet (nous sommes plusieurs professeurs de la classe sur l’application) d’interagir avec eux, de garder un lien tout simplement (très important) et de donner des feedbacks en direct pour ceux qui le souhaitent. Ils ont aussi une planning d’organisation par matière avec le travail qu’il y a à effectué (Cela les rassure et les sécurise).

C’est aussi l’occasion pour moi, en tant que professeur d’EPS, de leur faire comprendre l’importante et la nécessité de faire du sport chez soi.
Je leur ai envoyé un dossier avec des fiches sportives sur différents thèmes (Circuit gymniques, jonglage, étirement, yoga, jeu de l’oie sous forme sportive à faire avec leurs proches dans le domicile..) mais aussi des conseils pour faire cela en toute sécurité!

Enfin, chaque 3 jours, ils ont un défi à relever. Je fais un tuto vidéo (défi sportif, d’adresse, de coordination) que je leur envoie. Cela constitue LE défi à relever. Ils ont ensuite 3 jours pour s’entraîner dessus sur leurs temps libres. Puis ils envoient leur vidéo sur ma boîte professionnelle et je valide le défi ou pas.

Timothée Deniset enseignant en sciences physiques, Au lycée Germaine Tillon du Bourget (93)

En cette période de confinement, l’intégralité des équipes s’est mobilisée pour proposer des contenus aux élèves. Des activités à imprimer aux exercices interactifs et passant par les cours en visio-conférence, les propositions ne manquent pas, en apparence la continuité pédagogique se porte bien si l’on ferme les yeux sur la réactivité et la quantité énorme de travail qu’elle a demandée aux enseignants.

Cependant, à mieux y regarder, plusieurs difficultés se présentent à nous.

Une première, plutôt technique : les usages du numérique recouvrent une grande hétérogénéité de pratique, d’équipement, le passage au « tout à distance » ne s’est pas fait sans mal. Des plateformes sécurisées et offrant des possibilités très intéressantes sont en place pour les établissements scolaires mais ne sont pas calibrées pour accueillir autant d’utilisateurs simultanés, ce qui a induit des bugs divers voire des indisponibilités de ressources. De plus, la centralisation des plateformes et des compétences de maintenance à l’intérêt d’harmoniser les pratiques mais montre ses limites en cas de dysfonctionnement qui devient par nature, un dysfonctionnement général.

Malgré une volonté initiale de centralisation, de clarté, d’uniformité au sein des équipes pédagogiques, face à ces problèmes techniques, certains enseignants se sont tournés vers des solutions autres, souvent privées, parfois complexes, en accord ou non avec le RGPD, créant ainsi une mille-feuille de protocoles la récupération des cours par les élèves et/ou les familles qu’il s’agit de clarifier par les professeurs principaux afin de faciliter l’accès aux familles et élèves.

La seconde problématique est davantage pédagogique : l’expérience du micro lycée 93 nous montre que la pédagogie 100% numérique, la distance à l’école dessert en premier lieu les élèves en difficulté ou en situation de décrochage qui ont besoin d’un suivi, d’un accompagnement au plus proche de leur scolarité. De plus, tous ne sont pas égaux face à cette mise à distance des salles de classes. Comme le dit Philipe Meirieu dans son ITW à Libération, « Être confiné à cinq dans un petit appartement ou travailler tranquillement dans une maison à la campagne avec des parents disponibles et une bibliothèque, cela n’a rien à voir ! »

S’additionne la problématique des élèves n’ayant pas accès à internet depuis leur domicile, ils sont peu, mais ils sont là, d’autant qu’ils font souvent partie des élèves déjà mis en difficultés par les questions précédentes.

Autant de questions auxquelles une classe virtuelle apporte difficilement des réponses. 

Et la situation actuelle ne rend-elle pas encore plus urgente la question d’organiser les « controverses » dont il est question dans le film ?

Timothée : Dans le contexte où l’information n’a jamais circulé aussi librement, mais malheureusement accompagnée de ses Fake news, l’analyse de sujets controversés nous apparait plus que nécessaire. Cet enseignement a pour objectif d’accompagner les élèves dans l’analyses des informations, des positions et prises de paroles autours de savoirs encore non stabilisés, donc de l’éducation aux médias. Décerner l’avis de l’expertise, hiérarchiser les prises de paroles, non pas en fonction de leur médiatisation mais bien de leur fiabilité. Comprendre aussi la construction du savoir, le principe de la démarche de recherche, apprendre la nuance et analyser des arguments, en reconnaitre la légitimité, parfois pour mieux y répondre.

La clef n’est pas de fournir aux élèves une boite à outils magique et prête à l’emploi, mais bien de leur faire construire une démarche, de les habituer à se demander d’où vient l’information, à ouvrir le champ des possibles et appréhender la complexité d’un sujet.

Cette période marquée par le coronavirus où les infox et autres avis, récoltés sur les réseaux sociaux ou au gré des micros-trottoirs par les chaines d’infos, côtoient les recommandations des spécialistes qui peinent à se faire entendre démontre le caractère indispensable de tels enseignements.

Dans ce contexte de réforme, la disparition des TPE nous ôte un espace souple et interdisciplinaire dans lequel nous avions mis en place l’étude par la cartographie des controverses. Nous espérons que le Grand oral permettra de maintenir cette approche, essentielle à la construction du parcours citoyen de nos élèves. Si rien dans les textes officiels n’oblige à ce que les questions traitées lors de cette épreuve soient transversales, il semble cependant qu’une approche interdisciplinaire ne soit pas impossible… Pour l’instant…

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk


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